L’école publique considère, la plupart du temps, toute école nouvelle comme un être d’exception qui ne ressemble en rien à ses congénères et peut être assez justement qualifié d’anormal.
D’un autre côté, nos amis de l’Education nouvelle jugent trop souvent l’Ecole officielle comme une majestueuse personne au corps usé et aux idées vieillottes, lente à comprendre et à se mouvoir, autoritaire et revêche, toute bardée de citations grecques et latines, gardant sévèrement dans une geôle toute une jeunesse captive. Rien à lui emprunter, rien à lui donner ; elle est d’un autre âge, d’une autre nature, d’un autre idéal ; gardons-nous comme un sacrilèges de tout contact avec elle.
Il y a le plus grand danger à laisser se perpétuer ce malentendu. L’école nouvelle doit se considérer (et être considérée par l’école officielle) comme une école expérimentale, comme chargée de tenter une épreuve, ou plus exactement de faire la preuve d’un certain nombre de principes et d’applications qui peuvent, qui doivent devenir un jour, s’ils sont démontrés valables, les principes et les règles de l’école officielle. Nous devons nous considérer – et tâcher d’être considérés – comme les pionniers de l’école d’Etat, chargés d’une tâche qu’elle ne peut faire, mais dont les fruits doivent un jour lui revenir.
Ne reprochons pas à l’école officielle d’Etat sa lenteur, sa prudence, et quelques défauts dus à l’âge comme, par exemple, une légère dureté d’oreille, et une myopie, d’ailleurs curable ; qu’elle veuille bien, de son côté, ne pas nous reprocher ce qui fait notre raison d’être et notre gloire, l’audace, la hâte de réaliser, la soif de liberté, la passion du progrès, la haine du préjugé et la routine.
Comme chacun des pionniers de l’éducation croit de toutes ses forces à ce qu’il fait, il est convaincu sans doute que l’école publique devrait dès aujourd’hui adopter tous les principes et toutes les méthodes de l’école nouvelle. N’allons pas si vite, sous peine de tout perdre et demandons-nous, en nous plaçant au point de vue même de nos collègues de l’Etat, ce qu’ils pourraient adopter de nos expériences sans bouleverser l’énorme machine et sans faire appel à la caisse publique, vide un peu partout comme chacun sait.
Georges Bertier, «L’utilité de l’Ecole nouvelle pour l’Ecole publique», in «Pour l’ère nouvelle», octobre 1923.