Tribune parue dans « Le Monde des Idées », il y a quatre ans…
Il faut déterminer les enseignements et former les maîtres avant de se pencher sur l’organisation de l’école et le statut des enseignants, estime Claude Lelièvre, historien de l’éducation.
LE MONDE | 12.03.2013 à 16h33 • Mis à jour le 12.03.2013 à 17h21 | Par Claude Lelièvre, historien de l’éducation
Il ne saurait s’agir de « révolutionner » ou de « réformer » d’un seul coup, globalement, le système éducatif dans toutes ses composantes – tâche impossible, et qui n’a jamais existé de près ou de loin dans l’histoire de l’éducation en France -, mais de commencer (enfin !) par le commencement, à savoir « les fondations » et ce qui apparaît « fondamental ». La « refondation de l’école républicaine » ne peut être possible et faisable que si, précisément, elle établit clairement des priorités et fait – momentanément ou non – des impasses sur certains secteurs ou certains sujets, et ne prétend pas tout traiter en même temps ou de la même façon.
Il doit être clair aussi qu’une vraie refondation doit prendre du temps et prendre son temps. Il y a lieu de se rappeler, à cet égard, que le moment fondateur de l’école républicaine, pour le « simple » secteur de l’enseignement primaire, a duré dix ans. Depuis la loi de 1879 sur la généralisation des écoles normales primaires de filles, jusqu’à la décision de faire des enseignants des écoles communales des fonctionnaires d’Etat en 1889, en passant par les premières Instructions de 1880, la loi de 1881 sur la gratuité, la loi de 1882 sur l’obligation et la laïcité, la loi dite « organique » de 1886 sur les types de personnels et l’organisation de l’école primaire, et les Instructions de 1887 enfin stabilisées et qui dureront jusqu’à celles de 1923.
On remarquera aussi que, pour l’essentiel, ce mouvement de fondation a commencé par les questions de la détermination des enseignements et de la formation des maîtres, pour se préoccuper ensuite des types de personnels, de l’organisation de l’école et enfin du statut des enseignants. Et l’on remarquera aussi que, pour l’essentiel également, c’est l’ordre de principe adopté pour la refondation de l’école républicaine ; contrairement à l’ordre inverse – si l’on peut dire -, préconisé avec constance par la droite, en particulier ces dernières années et dans le débat qui vient de s’ouvrir ; ce qui n’est pas un détail.
REVENIR AUX FONDAMENTAUX
Il faut par ailleurs mesurer la nouveauté historique du choix fondamental qui est fait. Au moment de la loi d’orientation Jospin de 1989, les sociologues Christian Baudelot et Roger Establet ont écrit qu’« il n’y a aucune raison que la situation s’améliore tant qu’on comptera sur la hausse du plafond pour relever le plancher ». Et ils ont préconisé de « ne plus considérer l’école depuis son sommet, mais à partir de sa base ». Les deux sociologues n’ont guère alors été entendus pour aller dans le sens de cette « révolution copernicienne » (à rebours de notre élitisme dit républicain). Mais on peut penser que l’on y est enfin.
Le thème de la refondation de l’école républicaine doit en effet d’abord et avant tout être compris comme la priorité enfin donnée aux fondations, c’est-à-dire à l’école maternelle dans sa spécificité et à l’école élémentaire dans toute son importance, puis au collège, ainsi qu’à ce qui est jugé fondamental, à savoir la qualité et la formation professionnelle des enseignants, la question de la culture qui doit être effectivement maîtrisée par chacun, l’attention privilégiée aux élèves « fragiles » [explicitation citée telle quelle par le rapporteur de la loi d’orientation Yves Durand ce même jour lors du débat du 12 mars 2013 sur le sens de la »refondation » à l’Assemblée nationale, et approuvée par le ministre de l’Education nationale Vincent Peillon]
Comme on a pour la première fois un projet de loi non seulement d’orientation mais aussi de programmation – une nouveauté effective historique aussi, trop souvent négligée par nombre d’observateurs et pourtant sans précédent -, on peut juger s’il y a bien un « amorçage du changement de cap » en ce sens.
Sur les 54 000 postes qui seront créés dans l’éducation nationale durant le quinquennat – 5 000 le seront dans le supérieur et 1 000 dans l’agriculture -, il est prévu que pas moins de la moitié ira à la formation des enseignants (26 000 postes d’enseignants stagiaires et 1 000 postes de formateurs) : un effort sans précédent là aussi, et un choix capital. La priorité à l’école primaire est, elle aussi, très clairement affirmée, en même temps que le souci de porter une attention privilégiée aux élèves « fragiles ». L’enseignement primaire bénéficiera en effet de 14 000 postes supplémentaires d’ici à 2017, dont 3 000 consacrés à la scolarisation des moins de 3 ans dans les zones « difficiles » ou rurales, et de 7 000 maîtres « surnuméraires » pour instaurer une prise en charge différente de la difficulté scolaire. L’enseignement secondaire n’aura que 7 000 postes supplémentaires qui devraient aller surtout aux collèges, dans des établissements « sensibles ». Sans compter 6 000 postes supplémentaires dans les domaines éducatifs, administratifs, sociaux ou de la santé.
Bien sûr, cela ne saurait suffire, et ce n’est qu’un cadre et un cap, même s’il est primordial d’en saisir l’importance et la nouveauté : l’essentiel se jouera dans les déclinaisons de tous ordres qui devront en être faites et dans lesquelles la prise de conscience, l’inventivité et les initiatives, la détermination des uns et des autres, individus comme collectifs, seront sans doute déterminantes. Une histoire à suivre et, si cela commence bien, à multiples épisodes.
Claude Lelièvre, historien de l’éducation
échec et mat…Le début …la fin…
…échec et mat…