On est d’abord passé de jurys d’universitaires hégémoniques à des jurys de professeurs de lycée hégémoniques. Mais cela fait si longtemps que l’on a tendance à l’oublier ; et à oublier l’importance et le sens de cet état de fait.
A l’origine, les jurys d’examens du baccalauréat sont composés exclusivement d’universitaires, puisque c’est un examen d’entrée à l’université (même s’il porte sur la fin du secondaire). Au tout début du baccalauréat, une circulaire du 5 avril 1810 prescrivait que les examens universitaires devaient commencer le 1er août. Les aspirants au doctorat subissaient les premiers les épreuves. Puis venaient les aspirants au grade de la licence. Les candidats au baccalauréat étaient examinés les derniers. Les professeurs d’université ne pouvaient partir en vacances que lorsque tous les examens étaient terminés.
Cette règle, respectée pour l’essentiel tout au long du XIX° siècle, va se heurter à la croissance du nombre des candidats qui devient relativement importante au début du XX° siècle. On va donc étoffer les jurys en y intégrant progressivement de plus en plus de professeurs du secondaire. D’abord des professeurs agrégés ou possédant le doctorat, directement choisis par le ministre. Puis le décret du 13 août 1931 fait passer du ministre au recteur la désignation des professeurs du secondaire ; et un autre texte du 23 mai 1934 oblige les professeurs agrégés et même certains professeurs non agrégés à siéger dans les jurys. Le recteur n’a plus la possibilité de choisir les professeurs du secondaire donnant les ‘’meilleures garanties’’ : il y a désormais le ‘’tour de rôle’’, et tout professeur du secondaire peut (et même éventuellement doit) être examinateur.
Toutefois, et actuellement encore, les jurys du baccalauréat restent présidés obligatoirement par un titulaire de l’enseignement supérieur. Mais finalement les professeurs du secondaire deviennent quasi hégémoniques dans les jurys du baccalauréat (censé être pourtant un examen d’entrée à l’Université).
Par ailleurs, si le bac est un passeport sans visa pour l’entrée dans les universités , il n’en est pas de même pour l’entrée dans les formations post-bacs dépendant des lycées (les classes préparatoires et les sections de techniciens supérieurs menant aux BTS) : il doit avoir en plus le visa de l’encadrement des lycées…
Cet état de fait dure depuis très longtemps pour l’accès aux classes préparatoires aux grandes écoles sises dans les lycées (et a paru »naturel »). Et cela s’est aussi instauré sans problème lors de l’institution des STS, à la fin des années 1960, dans la mesure où ces formations post-bac étaient abritées par les lycées, dans leur mouvance et finalement dans leur dépendance.
On a donc eu dès lors (sans délibération et sans discussion) un dispositif pour le moins paradoxal : une entrée dans les universités (pour des formations en principe »longues ») soumise à la seule condition du passeport de la détention de l’un des baccalauréats existants ; et une entrée dans des formations en principe »courtes » soumises elles aussi à ce passeport mais sous condition d’un visa du lycée à l’issue d’une sélection sur dossier (incluant ouvertement un aspect »maison » des lycées d’origine et d’arrivée).
Une drôle d’égalité de traitement…. Une égalité pourtant par ailleurs revendiquée comme principe »républicain » de base par beaucoup des acteurs !
Est-ce que la réforme en cours des entrées à l’université va changer grand-chose à cela ? C’est loin d’être évident. D’une part parce que Frédérique Vidal a été claire « concernant les filières sélectives (classes préparatoires, BTS, IUT, double licence) : le système d’admission restera le même » ( « Le Monde » du 31 octobre). D’autre part parce qu’il a été dit aussi par la ministre de l’Enseignement supérieur et par le ministre de l’Education nationale Jean-Michel Blanquer que « c’est l’étudiant qui aura le dernier mot » pour son inscription universitaire. Quid alors de la place effective des »attendus » (ou »pré-requis ») et éventuellement du rôle effectif de »périodes » universitaire préalables pour les acquérir (et de leurs »issues » )? A moins que l’on n’ait pas bien compris ?
Y aurait-il du flou « artistique », voire un « art poétique » dans tout cela ?
Il faut aussi que tu n’ailles point
Choisir tes mots sans quelque méprise :
Rien de plus cher que la chanson grise
Où l’Indécis au Précis se joint.
( Verlaine, « L’Art poétique ».)
Quoiqu’il en soit le problème de fond est toujours escamoté. Les différents acteurs publics et privés, du système éducatif et de la formation initiale et continue, travaillent-ils dans l’intérêt de leur « chapelle » ou des « formés » ou de la « nation » ou des intérêts économiques?
En effet, quel que soit le statut de l’organisme de formation, il y a toujours des contingences économiques, des idéologies en jeux, des « affichages d’intentions » … tout ceci dans un contexte concurrentiel.
Y compris les établissements publics du 1er et du second degré n’échappe pas à la concurrence sous toutes ses formes. Il n’est donc pas étonnant que dès qu’il s’agit de se poser des questions et d’envisager d’éventuelles modifications, chaque « acteur » y compris le public bénéficiaire (parents, élèves, étudiants,stagiaires …)réagit selon SES intérêts économiques à court, moyen et long terme, SA philosophie, SA représentation du système qui lui conviendrait le mieux, etc.
Exemple : l’activité d’un lycée est jugée par rapport à certains critères, % de réussite aux diplômes auxquels il prépare ses élèves, les PCS des parents des élèves qu’il scolarise, le % d’élèves qui entrent en seconde et qui sont bacheliers trois ans après. De ce fait, l’intérêt du lycée est d’attirer les élèves issus de troisième qui sont jugés comme les plus capables de réussir les cursus proposés. Ceci instaure donc une forme de concurrence entre les différents lycées d’un même secteur pour « capter » les profils d’élèves qui sont « jugés » comme correspondant aux mieux à leurs critères.
Cette exemple illustre la principale critique du système éducatif français révélée par les études PISA, c’est un système sélectif qui fait très bien réussir les « bons » élèves et qui est en 25ème position dans sa capacité à faire réussir TOUS les élèves.
Depuis la loi d’orientation de 1985 il est stipulé que l’élève doit être au centre du système éducatif! (si cette affirmation a été jugée nécessaire c’est bien qu’il a été constaté que cela n’était pas le cas)Est-ce le cas aujourd’hui? Est-ce que tous les acteurs concernés sont convaincus de cette affirmation? Est-ce que les moyens adaptés ont été attribués? Est-ce que le recrutement et la formation initiale et continue des personnels impliqués tiennent compte de cet enjeux? Est-ce que les organisations matérielles et pédagogiques mises en œuvre sont en phase?
Il est paradoxal de constater l’existence de 20 à 30 structures, initiatives expérimentales (lycées de la seconde chance, de la nouvelle chance …) mises en œuvre par l’institution scolaire, dans des établissement, par des équipes de l’éducation nationale, suivies par les corps d’inspections et par les autorités nationales et académiques restent « expérimentales »! Les leviers mis en œuvre : leu principe d’éducabilité, de « vrais » projets pédagogiques, un travail d’équipes interdisciplinaires, des instances de régulation dans lesquelles la parole des élèves et de leurs parents a un statut reconnu et intégré au fonctionnement du projet, une éthique de responsabilité partagée (structure, intervenants, partenaires et usagers)et une approche globale de l’éducatif, du pédagogique, du culturel, de méthodes d’apprentissages variées et alternatives qui s’appuient à la fois sur l’effort individuel et l’effort collectif.
Pourquoi ces initiatives s’adressent essentiellement aux publics « décrochés-décrocheurs » et essaiment rarement et en tous les cas, insuffisamment l’ensemble du système? Elles mettent en question l’ordre établi, la spécialisation des métiers éducatifs (personnels d’inspection, personnels de direction, personnels d’enseignement, personnels éducatifs, personnels sociaux, d’orientation et de psychologie, personnels de santé, personnels administratifs, etc ainsi que les avantages acquis.
L’Ecole française est le reflet des inégalités sociales, parfois elle les aggravent. Le plus souvent, les élèves qui « réussissent » le mieux dans le système actuel sont majoritairement issus des milieux sociaux favorisés qui connaissent et maitrisent parfaitement les « codes » qui régissent ce système.
Ces constats ne sont pas originaux. Ils sont connus et bien mieux détaillés et précisés que ci-dessus depuis longtemps dans de nombreux rapports effectués par de nombreuses instances différentes.
Tout est sujet à débats, à polémiques, à l’affirmation de postures politiques et idéologiques. D’un gouvernement à l’autre, d’un ministère à l’autre, la forme et l’équilibre des forces en présence prennent le plus souvent le pas sur le fond. Les acteurs impliqués dépensent l’essentiel de leur énergie pour montrer leur différence plutôt que de rechercher ce qui peut rassembler et faire consensus. Faire alliance, coopérer, collaborer sont des termes ressentis négativement dans notre culture française individualiste. Aller vers l’autre est vécu comme une faiblesse, un manque d’affirmation de soi et de sa différence. Dans les mots on prône les valeurs collectives affichées aux frontaux des mairies, mais dans les actes ont préfère exacerber « sa » différence, « son » originalité!
ce qui peut rassembler et faire consensus.