- 19 sept. 2015
- Par claude lelièvre
- Blog : Histoire et politiques scolaires dans Médiapart
A vrai dire, la façon de faire et de dire de Najat Vallaud-Belkacem en l’occurrence n’est pas sans rappeler celle de Jack Lang à la rentrée scolaire 2002 à propos des nouveaux programmes de l’enseignement primaire.
« Aux oubliettes la méthode globale ! Place à un horaire spécial pour la grammaire, elle-même recentrée sur la relation entre le verbe et son sujet, et entre le verbe et les compléments. Place au retour de l’orthographe reposant sur l’intelligence de la syntaxe et du lexique. Place à la connaissance exigeante des conjugaisons et à la découverte du vocabulaire. Place aussi à l’écriture cursive et à la prise de notes personnelles au lieu et place de la photocopie.
Autre nouveauté qui donnera chair et âme au voyage initiatique dans la langue : l’entrée en force de la littérature. Au moins cinq heures par semaine seront consacrées aux textes littéraires : lecture à haute voix, lecture silencieuse, récitation, jeu théâtral. Autre originalité des nouveaux programmes : chaque autre matière enseignée, tel l’affluent alimentant le fleuve principal, est appelée à nourrir l’apprentissage du français. : apprendre en mathématiques à lire et comprendre l’énoncé d’un problème, à rédiger en géographie la description d’un paysage, à tenir en sciences un cahier personnel de ses expériences ou encore à narrer en histoire une action et donc à découvrir simultanément la complexité des temps verbaux » ( « Le Monde » du 3 septembre 2002).
En tout état de cause, il ne faudrait pas prendre sans précaution cette édiction de la dictée comme une grande nouveauté dans les faits (elle est déjà assez souvent pratiquée de façon diversifiée et fluide par les enseignants) et elle requiert d’avoir une vue claire de jusqu’où il ne faut pas aller. En l’occurrence Jules Ferry (Jules, pas Luc..) a été très clair et peut être une référence »refondatrice » (même si cela a été quelque peu perdu de vue dans le passé) . « A la dictée – à l’abus de la dictée – il faut substituer un enseignement plus libre […]. C’est une bonne chose assurément que d’apprendre l’orthographe. Mais il y a deux parts à faire dans ce savoir éminemment français : qu’on soit mis au courant des règles fondamentales ; mais épargnons ce temps si précieux qu’on dépense trop souvent dans les vétilles de l’orthographe, dans les pièges de la dictée, qui font de cet exercice une manière de tour de force et une espèce de casse-tête chinois ».(Discours de Jules Ferry au Congrès pédagogique des directeurs et directrices d’écoles normales, et des inspecteurs primaires du 2 avril 1880).
Topaze (Pagnol) scène I : « Des moutons…Des moutons…étaient en sûreté dans un parc ; dans un parc (Il se penche sur l’épaule de l’Elève et reprend). Des moutons…moutonss (L’Elève le regarde ahuri). Voyons, mon enfant, faites un effort. Je dis moutonsse. Etaient (il reprend avec finesse) étai-eunnt. C’est-à-dire qu’il n’y avait pas qu’un moutonne. Il y avait plusieurs moutonsse ».
PS: « Si en effet il y a aujourd’hui une question orthographique vraiment digne d’attention , c’est qu’elle intéresse la totalité des enfants de France; c’est devenu une question d’ordre public. A vrai dire, l’enseignement de l’orthographe a d’autres défaveurs que d’être encombrant. Comme tout y est illogique, contradictoire, que, à peu près seule, la mémoire visuelle s’y exerce, il oblitère la faculté de raisonnement, pour tout dire il abétit..Il a le vice énorme d’incliner plus encore vers l’obéissance irraisonnée. Pourquoi faut-il deux p à apparaître et un seul à apaiser, il n’y a d’autre réponse que celle-ci: parce que cela est. Et comme les ukases de ce genre se répètent chaque jour, ce catéchisme prépare et habitue à la croyance, au dogme qu’on ne raisonne pas, à la soumission sans contrôle et sans critique. C’est pourtant d’un autre côté, n’est-ce pas, que l’Ecole républicaine entend conduire les esprits? » ( « Lettre ouverte adressée au ministre de l’Instruction publique à propos de la réforme de l’orthographe » par le grand grammairien Ferdinand Brunot en 1905)