C’est ce qui a été mis en avant lors de la conférence de presse du 11 janvier tenue par Stanislas Dehaene (le président du Conseil scientifique nouvellement créé) en présence du ministre de l’Education nationale Jean-Michel Blanquer. Et c’est l’un des cinq axes choisis pour le travail du Conseil scientifique : « la métacognition, plus simplement »apprendre à apprendre » : il est intéressant pour les enfants de se comprendre soi-même, de comprendre comment ils apprennent, de maîtriser les stratégies d’apprentissage ».
Le mot d’ordre « apprendre à apprendre » a une longue histoire qui est loin d’être tranquille. Au contraire, il a été l’objet de furieuses controverses. Le choix de cet axe de travail, et en particulier celui de l’expression « apprendre à apprendre » revendiquée explicitement et publiquement, n’a donc rien d’anodin. Il est même, à certains égards, de l’ordre du »défi ».
« Apprendre à apprendre » est un mot d’ordre pédagogique qui n’est nullement apparu dans le cadre de la mouvance pédagogique de l’Education nouvelle comme on le croit souvent, et encore moins dans le cadre de »mai 68 » ou du début des années 1980 (des erreurs historiques qui ne sont pas pour rien dans la vivacité des controverses). Mais elles ont pu être partagées voire propagées, entre autres, par d’ex-ministres de l’Education nationale. On peut citer par exemple Luc Ferry : « Méfions-nous comme de la peste du slogan légué par la calamiteuse »rénovation pédagogique » de l’après-68, »apprendre à apprendre » , comme si on pouvait apprendre quoi que ce soit en dehors de tout contenu objectif» ( « Le Figaro » du 23 avril 2015). Ou bien encore Claude Allègre : « Rien ne m’a plus énervé que le slogan des années 1980 : »apprendre à apprendre ». Je sais que la formule vient de la fameuse formule de Mao Zedong : »Si un homme a faim, ne lui donne pas de poisson, apprends-lui à pêcher » » »Vive l’Ecole libre ! », Fayard, décembre 2000).
Et pourtant l’expression « apprendre à apprendre » a été de l’ordre de l’évidence pour les cadres de l’Ecole républicaine dès la fin du XIXe siècle. On peut en prendre pour exemple (parmi bien d’autres possibles) cet extrait banal d’un rapport annuel de l’inspecteur d’académie de la Somme adressé au Conseil général il y a plus de 120 ans: « Aucun de nos maîtres n’ignore que le but de l’enseignement primaire est double. On veut d’abord, dans nos écoles, donner aux enfants les connaissances nécessaires à la vie moderne ; on veut ensuite cultiver l’intelligence de l’enfant de façon à la rendre forte, souple, capable de réflexions et d’efforts, apte à se gouverner, à travailler, à produire d’elle-même. En deux mots : on veut apprendre, et apprendre à apprendre. De ces deux tâches là, la seconde est la plus importante »
Lors de son audition par la commission »Thélot » le 10 décembre 2004, le philosophe Marcel Gauchet a fait à ce sujet une intervention tout à fait significative : « Cette formule, »apprendre à apprendre » a ses premières racines chez Pestalozzi [l’une des références majeures de Jules Ferry lui-même]. C’est un idéal épistémique, qui relève des conditions les plus profondes de ce que veut dire la connaissance pour les Modernes – sujet de raison. Mais on peut aussi éclairer sa praticabilité, parce qu’en fait, si on veut efficacement agir avec une telle idée, il faut à la fois montrer aux acteurs les bonnes raisons qu’ils ont de penser comme cela, et le rapport ambigu que cette proposition entretient avec la réalité ».
Au niveau européen, huit compétences-clés avaient alors été définies dont « apprendre à apprendre ». La loi d’orientation (dite Fillon) de 2005 ne la reprend pas dans sa définition du »socle commun ». Et le le Haut conseil de l’éducation n’ose pas non plus reprendre le titre même de cette compétence-clé face aux difficultés et aux polémiques prévisibles en France. Il se contente (prudemment?) de reprendre (dans une certaine mesure) ce type de préoccupations sous l’intitulé »soft » « Autonomie et initiative » qui figure comme huitième »grande compétence » (ou »pilier ») dans le décret d’application de 2006.
Bis repetita le 25 mai 2013 lors de la discussion au Sénat du projet de loi pour la refondation de l’école porté par le ministre de l’Education nationale Vincent Peillon. Un amendement (venant du groupe écologiste et adopté en commission) indiquant que parmi les huit »compétences-clés » il devait y avoir notamment « apprendre à apprendre » est rejeté en séance en raison du tir croisé du groupe UMP et du groupe CRC (à savoir le PCF et ses alliés).
Certes, cela n’a pas empêché finalement le Conseil supérieur des programmes de définir pour le « Socle de connaissances , de compétences et de culture » « un domaine »méthodes et outils pour apprendre » », afin de permettre aux élèves « d’apprendre à apprendre ». Il est même précisé que « les méthodes et outils pour apprendre doivent faire l’objet d’un apprentissage explicite en situation, dans tous les enseignements ».
In fine, le défi semble relevé par Stanislas Dehaene et Jean-Michel Blanquer : « la métacognition [c’est à dire la »cognition sur la cognition » qui consiste à avoir une activité mentale sur ses propres processus mentaux ] plus simplement »apprendre à apprendre » : il est intéressant pour les enfants de se comprendre soi-même, de comprendre comment ils apprennent, de maîtriser les stratégies d’apprentissage »