La loi d’ « orientation de l’enseignement supérieur » dite loi »Edgar Faure » a été votée, le 7 novembre 1968. Et on peut tout à fait souscrire au jugement de l’historien Antoine Prost: « cette loi d’orientation de l’enseignement supérieur marque une rupture capitale dans l’histoire des universités françaises. Elle leur a donné un cadre administratif et institutionnel qui a globalement résisté aux alternances politiques. Sur la durée, il s’est même plutôt renforcé qu’altéré » (« Du changement dans l’école ; les réformes de l’éducation de 1936 à nos jours », 2015, Seuil, p. 167).
Les universités disposaient jusque là d’une administration faible et dispersée. Elles étaient structurées en facultés quasi indépendantes (lettres, sciences, droit, médecine) dont chacune était dirigée par un doyen élu, assisté de deux assesseurs, et par un conseil où les professeurs seuls se taillaient la part du lion. La loi ‘’Edgar Faure’’ chamboule ces anciennes structures ‘’facultaires’’, et l’on va assister à la naissance de vraies ‘’universités’’.
La loi fait éclater le cadre des anciennes facultés en deux instances nouvelles, les unes plus restreintes (les Unités d’Enseignement et de Recherche), l’autre plus large (l’Université). A la tête des UER sont élus des directeurs sans autres pouvoirs que de coordination pédagogique. A la tête des universités, il y a désormais des présidents qui ont une toute autre stature que les doyens de facultés. Elus pour cinq ans et dotés d’une administration étoffée comprenant un secrétariat général et des services financiers, les présidents d’universités ont de véritables pouvoirs. L’année 1968 est donc celle de la fin de l’université telle qu’elle avait été organisée sous la troisième République triomphante sous l’égide de Louis Liard et de la loi de 1896. Le pouvoir universitaire se distribue désormais à d’autres niveaux, en particulier à celui de l’université elle-même, et procède d’élections plus démocratiques. Alors que les conseils étaient jusqu’alors quasiment restreints aux professeurs et assimilés, les maîtres-assistants et les étudiants en font désormais partie de façon non négligeable
De 1958 à 1968, le général de Gaulle avait mené une politique volontariste d’expansion des enseignements supérieurs. En dix ans, le nombre d’étudiants avait été multiplié par 2,5 et le budget du supérieur par 4 (en francs constants). Et il avait été »récompensé » en Mai 68 par la plus grande révolte étudiante de l’Histoire…Un temps quelque peu déboussolé, le président de la République Charles de Gaulle choisit l’avenir et le renouveau ; et il nomme à la tête du ministère de l’Education nationale (et des enseignements supérieurs), un homme à l’esprit disponible : Edgar Faure .
Le président Charles de Gaulle presse Edgar Faure de faire vite, et d’inscrire son projet dans le cadre dominant de la »participation » : « On va appliquer la politique de participation, lui dit-il; et je vous demande de la faire, d’abord à l’université. Les professeurs sont des gens instruits, cultivés ; les étudiants sont des gens qui aiment apprendre ; c’est vraiment un milieu très propice pour entendre le message de la participation ». Un projet reposant notamment sur la »participation » et l »autonomie des universités » est élaboré courant août 1968.
La loi »Edgar Faure » la été conçue et adoptée dans la rapidité voire la précipitation. Et même si elle a été votée le 7 novembre 1968 par la quasi unanimité des députés (451 voix pour et 37 abstentions), ce n’est pas sans arrières-pensées, agacements voire fortes réticences contenues de beaucoup (y compris dans la majorité présidentielle, avec au premier rang Georges Pompidou qui s’y est résigné du bout des lèvres après avoir obtenu qu’elle ne touche pas aux »’grandes écoles »). Mais le contexte d’après mai 68 et l’engagement décidé du président de la République Charles de Gaulle en faveur du projet de loi Edgar Faure ont joué alors à plein.
En février-mars 1969 le processus de »participation » est mis à l’épreuve des faits lors des premières élections étudiantes. Et c’est plutôt un succès (surtout si on les compare aux participations actuelles) : 42% en lettres, 46% en sciences, 60% en droit et sciences économiques, 65% en médecine. Quant à »l’autonomie des universités », une longue histoire commence. Le président de la République Charles de Gaulle avait choisi d’aller dans ce sens, mais non sans interrogations. A propos des dispositions relatives à l’autonomie financière : « Pourquoi l’université, qui est un service public, disposerait-elle, pratiquement sans contrôle dans chacun de ses établissements, des fonds publics qui lui sont affectés ? » avait-il noté en marge du texte de projet de loi ; et à propos des contrôles a posteriori de la gestion : « Quelle sanction ? ».
Dans ses » Mémoires d’espoir « , Charles de Gaulle conclut : » En 1968, l’ouragan soufflera. Dès qu’il aura passé […] l’université sous l’impulsion du grand ministre que j’y aurai appelé, sera, de par la loi, réformée de fond en comble sur la base jusqu’alors réprouvée de la participation […]. Il s’agit de bâtir un édifice tel que tous ceux qui auront à l’habiter ou à l’utiliser (professeurs, administrateurs, étudiants) prendront part directement à la marche, à la gestion, à l’ordre, aux sanctions et aux résultats d’établissements devenus autonomes et qui devront, ou bien fonctionner comme il faut, ou bien fermer leurs portes et cesser de gaspiller le temps des maîtres et des disciples ainsi que l’argent de l’Etat « .