Car c’est ce qui risque de se passer si on prend au sérieux nombre des préconisations faites par le ministre de l’Education nationale dans sa circulaire de rentrée.
Ce serait rompre en effet avec ce qui a été doublement fondateur pour »l’école maternelle » et l »’école primaire ».
Une école primaire qui, selon les propres termes de Jules Ferry, se distingue de celle de »l’Ancien Régime » par tout ce qui n’est pas le »lire, écrire, compter »: « Pourquoi tous ces enseignements dits »accessoires » autour du »lire, écrire, compter »? Parce qu’ils sont à nos yeux la chose principale, parce qu’en eux réside la vertu éducative. Telle est la grande distinction , la grande ligne de séparation entre l’Ancien régime et le nouveau » (Jules Ferry au congrès pédagogique des instituteurs et institutrices de France du 19 avril 1881).
Et une école »maternelle » qui est certes une »école », mais avec des formes tout à fait spécifiques qui la distingue de »l’école primaire élémentaire » et a fortiori d’un élémentaire »très primaire », celui des »rudiments’‘ ( »lire, écrire, compter »).
L’arrêté du 28 juillet 1882 (écrit sous l’influence décisive de Pauline Kergomard) signe la naissance de « l’école maternelle » française (une quasi exception dans le paysage européen) : « l’école maternelle n’est pas une école au sens ordinaire du mot : elle forme le passage de la famille à l’école ; elle garde la douceur affectueuse et indulgente de la famille, en même temps qu’elle initie au travail et à la régularité de l’école […]. Tous les exercices de l’école maternelle doivent aider au développement des diverses facultés de l’enfant sans fatigue, sans contrainte ; ils sont destinés à lui faire aimer l’école et à lui donner de bonne heure le goût du travail, en ne lui imposant jamais un genre de travail incompatible avec la faiblesse et la mobilité du premier âge ».
Le décret du 18 janvier 1887 précise que « les écoles maternelles sont des établissements de première éducation ». Il s’agit bien d’éducation et non d’instruction.
Pauline Kergomard mènera durant trente ans une lutte incessante pour que l’école maternelle ne soit pas envahie par des programmes scolaires, mais soit le lieu où le jeu est reconnu comme étant l’activité la plus formatrice pour de jeunes enfants.
Si l’on juge par ce qu’en dit elle-même Pauline Kergomard, le bilan de cette orientation et de ces luttes persistantes n’a pas été pleinement satisfaisant, signe de difficultés récurrentes qui peuvent encore se poser aujourd’hui . « C’est là la grande faille de notre éducation maternelle : on y confond le développement intellectuel avec l’instruction ».
Eh bien, on n’en a pas fini avec cette confusion entre »développement intellectuel’‘ et »instruction » si l’on en juge par nombre des préconisations de Jean-Michel Blanquer. On risque même d’en finir avec l’école maternelle elle-même.
Quelques exemples (parmi bien d’autres possibles). Selon la circulaire, « il est attendu des enfants, à la fin de l’école maternelle, la capacité de discriminer des syllabes, des sons-voyelles et quelques sons-consonnes (hors des consonnes occlusives) comme p, b, t, d, k, g, voire m, n dans une moindre mesure, ces sons étant difficilement perceptibles. » Toujours selon la circulaire, »l‘enfant doit maîtriser la synchronisation du pointage des éléments de la collection avec la récitation des noms des nombres et apprendre à énumérer tous les éléments de la collection (pointer une et une seule fois, sans en oublier) ».
Dans le journal »La Croix » du 29 mai, Jean-Michel Blanquer explique ces textes réglementaires: « cette circulaire et les documents qui l’accompagnent détaillent ce que chaque élève doit acquérir pour mieux préparer encore l’entrée au CP. Pour enrichir leur vocabulaire et donc faciliter l’apprentissage de la lecture, il faut travailler sur les familles de mots, les synonymes, les antonymes. De même, les élèves doivent pouvoir lire l’écriture chiffrée jusqu’à dix, ordonner les nombres et dire combien il faut ajouter ou soustraire pour obtenir des quantités ne dépassant pas dix«
Une dernière question (et non des moindres): quelles sont les compétences du ministre de l’Education nationale Jean-Michel Blanquer pour assurer le choix de telles préconisations?