L’arrêté du 11 Août 2011 relatif à la Licence régit depuis plus d’une année des modalités d’attribution de ce diplôme. L’article 16 précise en particulier les modalités de compensation : « la compensation est organisée sur le semestre, sans note éliminatoire et sur la base de la moyenne générale des notes obtenues pour les diverses unités d’enseignement, pondérées par les coefficients ; d’autre part, elle est organisée entre deux semestres immédiatement consécutifs en application de l’article L. 613-1 du code de l’éducation ».
Je dois dire que je reste sidéré de l’infinie docilité avec laquelle les universités se sont rangées derrière ce principe. Lorsque nous avons engagé la discussion sur cet article en Conseil d’UFR, la première remarque est venue contre toute attente d’une représentante étudiante, au moyen d’un sanglant « Et vous trouvez ça bien, vous ? ». Le Conseil était en effet peu enclin à accepter ce principe de compensation totale, entre UE et entre semestres, et s’est penché sur les interprétations possibles de l’article 15, qui dit que « le diplôme s’obtient soit par acquisition de chaque unité d’enseignement constitutive du parcours correspondant, soit par application des modalités de compensation telles que décrites à l’article 16. Un diplôme obtenu par l’une ou l’autre voie confère la totalité des crédits prévus pour le diplôme ». En d’autres termes, l’article 15 propose deux voies d’obtention des diplômes, et notre Conseil d’UFR a proposé d’opter pour la première.
L’université a cependant jugé opportun de prendre l’attache du Ministère, qui nous a invité à considérer que la voie de l’acquisition séparée des UE devait être réservée aux étudiants présentant des parcours discontinus (avec mobilité internationale ou changement de spécialité par exemple), mais que pour un cursus « normal », les règles de compensation édictées à l’article 16 devaient être impérativement respectées.
Même si nous avons dû finalement renoncer à l’abandon de la compensation généralisée, je voudrais retracer les lignes argumentaires qui nous ont amenés à proposer le principe de l’acquisition séparée des Unités d’Enseignement.
L’argument principal a émergé des principes de la pédagogie des compétences, évoquée de manière répétée par ce fameux arrêté du 11 Aout 2011. L’article 3 dit notamment que « des référentiels de compétences sont définis pour une discipline ou un ensemble de disciplines », et l’article 6 précise la nature des compétences visées. Cette organisation des enseignements sous forme de compétence est par ailleurs consistante avec l’effort d’écriture des fiches RNCP, qui permettent l’affichage des diplômes auprès des employeurs et leur reconnaissance.
Il convient sans doute de revenir rapidement sur ce concept, qui s’est depuis quelques années imposé dans l’enseignement secondaire, mais reste étranger aux représentations universitaires. Les compétences renvoient à la capacité à gérer de manière satisfaisante des situations complexes[1] . Ce concept est apparu dans le cadre de la psychologie du travail, dans lequel il caractérise la capacité à faire face à l’exercice du métier, dans toutes ses facettes. Un professionnel est ainsi supposé disposer d’une compétence spécifique, ou d’un ensemble de compétences si le métier est plus complexe. Deux caractéristiques des compétences sont à retenir:
1. Tout d’abord, même si l’on peut définir des niveaux de compétence (du débrouillé à l’expert), la compétence est binaire : pour un niveau donné de complexité des situations à maîtriser, on est compétent ou on ne l’est pas. En d’autres termes, nos habitudes de notation, basées sur une distribution des notes sur une échelle de 0 à 20, sont peu adaptées à l’évaluation des compétences.
2. Les compétences ne peuvent pas se compenser. Pour évoquer un exemple caricatural, un pilote d’avion doit savoir gérer la phase de décollage, celle du vol, et l’atterrissage. Le fait qu’il sache très bien décoller ne compense pas celui qu’il ne sache pas atterrir. On peut faire le parallèle avec nos formations. Si nous formons de futurs enseignants, une bonne maîtrise de la matière enseignée ne peut compenser une incompétence pédagogique face aux élèves. Pour prendre un exemple dans nos UFR STAPS, peut-on accepter qu’une compétence avérée en rugby puisse compenser une incurie dans le traitement statistique des données ?
La voie de la compensation semble évidemment offrir plus de chances à l’étudiant d’obtenir son diplôme : il peut compenser ses points faibles par ses points forts, et distribuer stratégiquement ses efforts sur les différents enseignements du programme. La compensation permet aussi de récupérer des accidents de parcours. D’un autre côté, le système de compensation peut virtuellement amener à des cas de figures difficilement défendables, et notamment de diplômes obtenus sans que des UE jugées indispensables ne soient indépendamment acquises (mémoires, TP, etc.).
On conçoit cependant que l’accent mis sur les compétences et la possibilité d’une compensation entre UE et entre semestres sont absolument antinomiques. Il nous semblait donc légitime de s’interroger sur la pertinence de l’autre voie, l’acquisition séparée des UE.
Ces réflexions s’inscrivent évidemment dans une recherche d’excellence qui motive actuellement l’université. On peut concevoir d’afficher des masters internationaux, des parcours d’excellence, etc. C’est utile et essentiel. Mais l’excellence des formations doit aussi s’appliquer à la masse de nos étudiants, et notamment à la licence. Si nous inscrivons nos licences dans le périmètre d’excellence, peut-on admettre que les pratiques évoquées précédemment (stratégies d’évitement, compétences essentielles non acquises) puissent perdurer ?
Si les diverses modalités de compensation peuvent paraître favorables aux étudiants, il nous semble qu’ils ne peuvent vivre de manière réellement positive le fait de pouvoir obtenir leurs diplômes au prix d’impasses ou de stratégies d’évitement. L’essentiel n’est pas de décrocher le diplôme, mais un passeport pour l’emploi et des compétences reconnues. Par ailleurs, on peut faire le pari qu’un diplôme attribué sur ces principes, pour peu qu’une communication soit assurée, sera davantage reconnu par le milieu professionnel.
On peut penser que l’acquisition séparée des UE permettrait aux étudiants d’avoir davantage de respect pour leur formation et leurs diplômes. Ce serait aussi leur montrer du respect que de ne pas autoriser des parcours qui pourraient s’apparenter à de l’évitement ou de la triche. On peut aussi penser que ce serait accorder davantage de respect aux enseignants, car chaque enseignement serait alors jugé important, non compensable.
On peut évidemment se demander si ces principes ne déboucheraient pas sur un accroissement de l’échec. Il est clair que l’abandon de la compensation, sans modifier les pratiques pédagogiques, pourrait mettre les étudiants en difficulté. Mais il est clair aussi que si chaque UE doit être acquise séparément, l’exigence de réussite, actuellement « diluée » sur le semestre ou l’année, reviendrait au niveau des UE. Les responsables de chaque UE devraient prendre conscience que les résultats obtenus dans leur UE ne pourraient pas être compensés. Un enseignant ne pourrait plus se targuer de planter 80% des étudiants, en se disant que de toutes façons les notes obtenues dans un autre enseignement plus coulant permettraient de compenser sa rigueur. De même, les étudiants ne pourraient plus se permettre de négliger tel ou tel aspect de la formation, en espérant compenser grâce à des UE où ils se sentiraient plus à l’aise.
[1] Delignières, D. (2009). Complexité et compétences. Paris : Editions Revue EPS.
Mille fois d’accord avec le fond de ce post, l’approche par compétences est antinomique de la compensation et n’a de sens que dans le cadre d’UE validées séparément. Mais effectivement, la conséquence immédiate de cette dernière approche serait une hausse faramineuse du taux d’échec. Hors, de mon point de vue, et j’aimerais qu’on m’explique que je fais fausse route (n’ayant jamais été au fait des discussions ayant mené à cet état de fait il se peut qu’il soit dû à une certaine paranoia), le passage d’une validation de connaissances à une validation de compétences n’a pas seulement eu pour but de faire plaisir aux entreprises en leur faisant croire que les diplômés seraient plus rapidement opérationnels, il a surtout eu pour but d’adapter le niveau des diplômes au niveau des élèves, en forte baisse pour tout ce qui concerne les domaines plus théoriques, plus abstraits.
On s’est réfugié derrière ces mots d' »approche par compétence » pour entériner plus ou moins discrètement une baisse d’exigence des diplômes, et en effet dans le plus grand silence des universités. Je reste comme vous « sidéré de l’infinie docilité avec laquelle les universités se sont rangées derrière ce principe. »
C’est pourquoi je ne vous suis plus du tout quand vous écrivez que « Ces réflexions s’inscrivent évidemment dans une recherche d’excellence qui motive actuellement l’université. » Ce qui motive prioritairement les universités ces temps-ci est plus simplement un AFFICHAGE d’excellence, et surtout ne pas se faire remarquer avec des taux d’échec trop élevés, c’est tout! Ce qui est parfaitement cohérent dans un système d’évaluation débile considérant que plus le taux de réussite à un diplôme est élevé, meilleure est la qualité de la formation!!
Mais visiblement cela n’a pas suffi puisque la loi Fioraso comporte une partie « -3/+3 » pour faciliter le passage du lycée à l’université (traduire « considérer les arrivants en fac comme niveau bac -1 ou -2 »). Que Mme la ministre se rassure, pas besoin d’attendre les effets d’une telle loi, on a déjà plein d’étudiants en 1ere année d’ingénieur (année bac+3) qui sont tout juste (voire pas tout à fait..) niveau bac!
Ce qui explique que je ne sache pas si ce passage est à prendre au 1er degré ou ironiquement: « Si les diverses modalités de compensation peuvent paraître favorables aux étudiants, il nous semble qu’ils ne peuvent vivre de manière réellement positive le fait de pouvoir obtenir leurs diplômes au prix d’impasses ou de stratégies d’évitement. L’essentiel n’est pas de décrocher le diplôme, mais un passeport pour l’emploi et des compétences reconnues. »
La plupart d’entre eux n’ont que faire de la dévalorisation de leur diplôme qui arrivera bien après qu’ils aient franchi les portes du milieu professionnel, la plupart sont juste contents d’obtenir un diplôme inespéré, qu’ils n’auraient pas pensé pouvoir obtenir au vu de leurs parcours et résultats antérieurs! ok, peut-être ne le vivent-ils pas de façon si positive, d’obtenir un diplôme avec impasses, compensations, voire triche (mais les commissions de discipline bottent le plus souvent en touche, vous comprenez même quand 2 copies sont identiques à la lettre près on ne peut pas prouver qu’il y a eu triche, et quand un étudiant est pris avec des documents interdits c’est qu’il n’avait pas bien compris, et il a dit qu’il ne recommencerait pas…), mais ils préfèrent tout de même vivre ainsi l’obtention de leur diplôme que ne pas l’obtenir du tout! Pour répondre au titre de ce post, je dirais que les étudiants se moquent d’être profondément méprisés, tant qu’ils ont leur diplôme au bout!
Une difficulté même en imaginant une validation séparée des UE (ce qui est officiellement le cas dans mon institution mais qui est souvent détournée au prix de mille artifices) est que dans certains cas les UE sont constituées de 2 (voire plus) sous-matières, plus ou moins liées, et que s’installe une dynamique toxique d’ajustement des notes de certains profs en fonction du niveau d’exigence des autres profs! Certains trouvent que les autres surnotent trop, ils mettent des notes extrêmement basses pour empêcher que les élèves trop mauvais ne valident l’UE, et inversement, quand certains trouvent un enseignant trop dur, ils surélèvent leurs notes pour permettre la validation de l’UE.
Bref, tant que les directions (de jurys, d’études, de composantes…) appliqueront bêtement les ordres du ministère et que la pédagogie se résumera à de la bidouille pour garder un taux d’échec acceptable, sans se soucier du niveau du diplômé, il n’y a pas grand chose à faire… Ce serait tellement plus simple de reconnaitre que OUI, le niveau du bac a baissé, OUI les nouvelles licences seront d’un niveau équivalent à ce qu’était un bac +1 ou 2, etc… Au lieu de nous faire des usines à gaz entre processus de réorientations, passerelles, rattrapages, semestres décalés, tutorats, plans licences, et j’en passe!
Je viens d’avoir une discussion avec le président de l’association Nationale des Etudiants en STAPS (ANESTAPS), qui me rejoignait complètement sur le problème de la compensation et de l’approche par compétences. Cela montre que les étudiants sont tout à fait concernés par la dévalorisation de leurs diplômes.
Cela me console pas mal de savoir que mes étudiants ne sont pas représentatifs de l’ensemble et que certains étudiants (les bons?) sont d’eux-mêmes demandeurs d’exigence! Du coup je crois que leur appui pourrait devenir essentiel dans notre lutte pour le maintien du niveau des diplômes (en tous cas dans mon cas car tout ce qui intéresse la direction des études est le taux d’échec).
Merci pour cette info intéressante.
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