On évoque de plus en plus dans nos universités la nécessité de réfléchir à une approche par compétences, dans les prochaines écritures de l’offre de formation. De manière surprenante, si le mot est souvent lâché, d’un air entendu, le débat est rarement engagé sur sa mise en œuvre. On pressent d’ailleurs que ce débat sera houleux. Vu les ambiguïtés et incompréhensions qui émaillent actuellement l’introduction de l’approche par compétences dans l’enseignement secondaire (Gottsmann & Delignières, 2015), on peut supposer que l’université n’échappera pas à de fortes controverses.
Notamment certains voient dans cette approche une sujétion de fait de la formation universitaire aux besoins du monde du travail, reléguant les missions de l’université à la production d’une main d’œuvre immédiatement opérationnelle (voir par exemple Boutin & Julien, 2000 ; Koebel, 2006). Il est vrai que la mission traditionnelle de l’université est souvent pensée comme la transmission de savoirs académiques et scientifiques, déconnectés des pratiques sociales et professionnelles (Perrenoud, 2004). La démarche par compétence est suspectée de remettre en cause ces principes, surtout à un moment où l’on demande aux universités de veiller à la professionnalisation et l’employabilité de leurs diplômés.
Il semble nécessaire de mener une réflexion de fond sur le concept de compétence, afin que l’évolution des formations universitaires s’effectue dans un climat constructif et apaisé. Ce que l’on appelle compétence ne se réduit pas aux compétences professionnelles. La compétence, c’est de manière plus générale la capacité à mobiliser l’ensemble de ses ressources (connaissances, savoir-faire, attitudes) pour faire face à des situations complexes. Il ne peut être question dans le cadre de ce billet de développer les aspects théoriques de ce concept. Une abondante littérature est disponible à ce sujet, à laquelle nous renvoyons les lecteurs (voir par exemple Perrenoud, 1996 ; Le Boterf, 1994 ; Delignières, 2009).
L’approche par compétences requiert avant tout de modifier le rapport au savoir. On se contente encore souvent d’enseignements magistraux au cours desquels les étudiants engrangent un ensemble de connaissances, dans une perspective avant tout analytique. L’approche par compétences suggère de veiller à ce que les étudiants s’entraînent à la mobilisation de ces connaissances, face à des problèmes complexes.
L’université a depuis longtemps développé une pratique de formation qui représente l’archétype parfait de l’approche par compétence : la thèse de doctorat. Un doctorant doit développer et mobiliser autour de son sujet de thèse un ensemble de savoirs académiques, de savoirs méthodologiques, de capacités d’écriture et de communication. L’attribution du titre de docteur est la reconnaissance de la construction d’une compétence de haut niveau dans le domaine de la recherche.
Si la thèse est exemplaire de l’approche par compétence, on ne peut évidemment envisager d’en étendre le modèle à l’ensemble des formations universitaires. Construire l’ensemble de la formation dans la logique des compétences signifie à mon sens avant tout de réfléchir à la mise en place d’unités d’enseignement cohérentes, coordonnant enseignements magistraux, travaux dirigés et travaux pratiques, et orientés vers la mobilisation conjointe des connaissances dans des situations sollicitant l’initiative et l’implication active des étudiants.
Beaucoup de diplômes sont déjà construits, au moins partiellement, sur cette logique. On peut sans doute faire mieux et étendre ces principes à l’ensemble des maquettes. Il ne s’agit pas à mon sens que d’une simple exigence formelle : l’approche par compétences est aussi un moyen pour permettre aux étudiants de trouver davantage de sens à leurs études, et sans doute de lutter contre l’échec massif que connaît actuellement l’université, notamment en première année.
Une formation construite dans cette logique devrait ainsi être constituée d’un ensemble réduit de compétences, dont on jugerait la maîtrise essentielle à l’attribution du diplôme. Une conséquence de cette évolution doit être pointée sans équivoque : une approche par compétences rend nécessairement caduque la compensation généralisée inscrite notamment dans l’arrêté Licence du 1er Aout 2011 (voir à ce sujet ce billet précédent). Ce serait sans doute une bonne nouvelle pour la qualité des formations universitaires.
Boutin, G. & Julien L. (2000). L’obsession des compétences. Montréal : Éditions Nouvelles
Delignières, D.(2009). Complexité et compétences. Paris : Editions revue EPS.
Gottsmann, L. & Delignières, D. (2015). A propos des obstacles épistémologiques à l’émergence du concept de compétence. Movement & Sport Sciences/Science & Motricité. DOI: 10.1051/sm/2015023
Le Bortef, G. (1994). De la compétence. Essai sur un attracteur étrange. Paris : Les Editions d’Organisation.
Koebel, M. (2006). Réflexions sur quelques enjeux liés à la notion de compétence. Utinam , 6, 53-74.
Perrenoud, Ph. (1996) Enseigner : agir dans l’urgence, décider dans l’incertitude. Savoirs et compétences dans un métier complexe. Paris : ESF.
Perrenoud, Ph. (2004). L’université entre transmission de savoirs et développement de compétences .Conférence au Congrès de l’enseignement universitaire et de l’innovation, Girona, Espagne, juin 2004.
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