La nouvelle Loi de Modernisation de la Santé, en introduisant le principe de prescription médicale des Activités Physiques, a réactivé, au sujet des personnes atteintes de maladies chroniques, un vif débat autour de l’encadrement de l’activité physique pour les publics à besoins spécifiques et à des fins de santé. Alors que les professionnels de l’Activité Physique Adaptée ont démontré depuis la fin des années 90 leur expertise en la matière et ont co-construit avec les professionnels de santé des dispositifs qui s’intègrent dans le parcours de soins, deux groupes professionnels sont aujourd’hui entrés en concurrence en convoitant le marché ouvert par ces nouvelles perspectives.
Ce sont d’une part les Educateurs Sportifs, spécialistes de l’animation des activités sportives, formés soit par le mouvement sportif (diplômes fédéraux), soit par le Ministère de la Jeunesse et des Sports (Brevets Professionnels). Ce sont d’autre part les Masseurs-Kinésithérapeutes, professionnels de santé et diplômés d’Etat, qui visent à rééduquer par le mouvement.
Dans un premier temps, les formations complémentaires proposées aux éducateurs sportifs se sont multipliées, destinées à leur permettre de prendre en charge les patients porteurs de maladies chroniques. La Conférence des Directeurs de STAPS s’était à l’époque insurgée contre ce dispositif qui mettait en concurrence directe des diplômés de l’université (niveau de qualification II ou I) avec des éducateurs sportifs (niveau IV) ne disposant que de quelques dizaines d’heures de formation complémentaire au sujet des pathologies chroniques [lien]. Les interrogations de la C3D restent fortes sur la possibilité réelle des éducateurs sportifs d’assumer la pratique de personnes atteintes d’une maladie chronique quand elles n’ont pas encore appris à gérer concrètement leur maladie dans l’effort. Si les formations courtes dont bénéficient les éducateurs sportifs leur permettent certainement d’appliquer des recettes, comment imaginer qu’elles permettent d’anticiper les situations et les réactions des malades chroniques ? Comment croire enfin qu’elles puissent construire la distance critique nécessaire à la prise en charge de personnes fragilisées pour garantir une posture professionnelle éthique ?
Quant aux masseurs-kinésithérapeutes, leur Conseil de l’Ordre vient de publier un avis selon lequel ils disposeraient « de la qualification pour encadrer des activités physiques ou sportives adaptées à la pathologie, aux capacités physiques et au risque médical de tout patient » et seraient donc « autorisés à mentionner sur leurs documents et leurs plaques professionnelles le titre d’« éducateur sportif » ou « éducateur sportif en activités physiques et sportives adaptées ». Il est aussi précisé dans cet avis que « le kinésithérapeute enseigne des méthodes et techniques qui visent à entretenir et améliorer la condition physique, et il conduit des séances de préparation physique sportive ». Dans le contexte actuel cet avis est une véritable déclaration de guerre à l’égard des STAPS, dont les métiers cités constituent les cibles essentielles de l’offre de formation. De quels volumes de formation dans le domaine des activités physiques et sportives adaptées les kinésithérapeutes peuvent-ils se targuer au cours de leur cursus ? Les kinésithérapeutes ont-ils développé un corpus spécifique de recherche les autorisant à s’arroger ces compétences ? Pour un organisme prompt à accuser les autres d’exercice illégal de leur profession, cet avis « déontologique » est pour le moins outrancier.
Soyons clairs : les éducateurs sportifs et les kinésithérapeutes ne sont concernés que de manière marginale par la prise en charge de publics à besoins spécifiques pour les premiers, et par les activités physiques ou sportives pour les seconds. Educateurs sportifs et kinésithérapeutes tentent d’élargir leur domaine de compétence pour grignoter le marché ouvert par la Loi de Santé. Il s’agit d’étendre leurs prérogatives sur des activités de travail qui ne font pas partie de leur formation initiale. Nous voyons bien l’intérêt lucratif de la possibilité d’ouvrir une salle de remise en forme pour les masseurs-kinésithérapeutes : il s’agit de développer une activité complémentaire pour développer la surface de leurs revenus financiers en entrant en concurrence avec les jeunes professionnels dont c’est le cœur de formation. L’adaptation des activités physiques aux besoins spécifiques en termes de santé, et la mise en place de situations d’enseignement permettant aux personnes atteintes de maladie chronique de construire de nouvelles normes de pratiques physiques, constitue le cœur de métier des professionnels de l’APA, c’est à dire l’activité principale sur laquelle s’exerce la solvabilité de leur métier.
A l’heure actuelle les kinésithérapeutes s’inquiètent du succès rencontré par les professionnels en APA dans les établissements de santé. Mais si les diplômés en APA trouvent du travail dans les établissements de soin qui reconnaissent ainsi la plus-value de leur activité, ils n’y prennent certainement pas la place des kinésithérapeutes. Ils y exercent leurs propres compétences, spécifiques et clairement différentes de celles des seconds.
Les formations en Activité Physique Adaptée-Santé, apparues à partir de 1982 dans les UFR STAPS, se sont développées aujourd’hui dans une quarantaine d’universités. Elles sont proposées au niveau Licence et au niveau Master. Ces formations sont inscrites au Répertoire National des Certifications Professionnelles, et s’appuient sur une activité spécifique de recherche pluridisciplinaire développée dans les laboratoires universitaires. Les formations en APA ont développé un réseau international au sein de l’International Federation of Adapted Physical Activity dans le souci de rester au plus près des besoins des personnes atteintes d’une maladie et/ou de déficiences. Actuellement on compte chaque année au niveau national près de 2000 étudiants en dernière année de Licence APA-S, et 500 en Master.
Les décrets d’application de la Loi de Santé sont en cours d’écriture. Ils devront préciser les contributions de chacun dans le parcours de soin et la prévention à partir d’une prise en compte de l’ensemble des acteurs professionnels sur la base de leur formation initiale. A l’heure où les formations en STAPS connaissent une attractivité sans précédent, les jeunes étudiants qui ont fait confiance à l’université auraient du mal à admettre de se voir limités, voire privés d’un de leurs débouchés professionnels majeurs, pour lequel ils se sont investis pendant 3 à 5 années et ont acquis des compétences avérées. On comprendrait aussi difficilement que l’Etat (et les contribuables) financent des formations universitaires en APA-S tout en restreignant l’accès au marché de l’emploi de ces diplômés.
Didier Delignières
Président de la Conférence des Directeurs et Doyens de STAPS
Petit commentaire d’une vulgaire kinésithérapeute Bac +3 (enfin j’ai appris que nous sommes reconnus bac +5 depuis cette année) qui exerce depuis 25 ans ce métier. En effet, nous ne sommes pas des entraîneurs sportifs; nous n’en avons pas les compétences. En revanche, pour avoir travailler longtemps ans le milieu de l’obésité et du handicap, j’ai travaillé avec des enseignants APA. Nous sommes complémentaires. Ils nous apportent leurs connaissances sur les programmes de rééntrainement, la mise en place, la dynamique… Mais ils n’ont pas (enfin ceux avec qui j’ai travaillé , niveau Master 2) la connaissance pratique sur le terrain des problématiques articulaires, des risques liés à l’activité physique car ils ne sont pas soignants. Donc je ne suis pas d’accord pour qu’ils exercent auprès de patients porteurs de pathologies à risque sans le travail conjoint avec médecins et kinés. Certains gestes ne sont pas conseillés mais il faut une connaissance beaucoup plus pratique que théorique pour le savoir. Je suis pour un travail commun s’ils acceptent nos recommandations.D’autre part, je suis désolée mais je travaille actuellement en secteur hospitalier et je peux vous assurer que nos directions administratives nous proposent des enseignants en APA sur les postes de kinés non pourvus. Comprenez que cela nous chagrinent car là, clairement, il y a un problèmes de compétences.Je suis tout à fait d’accord pour travailler en collaboration avec une enseignant APA mais si leur poste est référencé avec des actes précis. Ce n’est pas le cas dans le milieu hospitalier et ce qu’ils sont amenés à y faire relève de la compétence des kinés. J’ai également une interrogation, Comment peuvent-ils avoir accès aux données médicales, participer à des staffs médicaux. Font-ils partie des professions de santé réglementées avec un code de déontologie ?
Vous auriez du travailler beaucoup plus conjointement avec les kinés. Nous ne sommes que des techniciens qui agissons sur prescription médicale mais nous avons quand même quelques années d’expérience faute d’avoir une formation théorique universitaire.
Bonne soirée
Il faut peut être considérer que les postes kiné sont proposés aux professionnels APAS probablement par manque de kiné pour répondre aux offres!! Préférence pour le libéral ou manque d’intérêt (financier??) pour le secteur hospitalier? En tout cas d’accord avec le commentaire précédent : la formation APAS est complémentaire avec la formation kine. Reste à tout le monde de travailler intelligemment ensemble afin de considérer les besoins du patient avant tout.
Petit commentaire d’une vulgaire docteur en STAPS qui traine depuis 30 ans avec une personne qui a une sclérose en plaque : quelle est la pertinence des spécialistes de la préparation physique et du sport dans le cadre de cette pathologie médicale qui affecte la mobilité ? Les cinés sont les seuls aptes a leur permettre le mouvement de leur corps (une fois par semaine) de par leur connaissance en iatromotricité. N’est-il pas ?
Je vois que le débat est ouvert. Nous ne parlons chacun que de notre propre expérience. Dans le milieu du handicap, j’ai travaillé avec différents corps de métiers sans aucun soucis. Ergothérapeute, orthophoniste, psychologue, educ spe, enseignant apa, psychomotricien; Nos compétences se croisaient et chacun y trouvait sa place. J’ai accompagné très longtemps des jeunes ados handicapés moteurs dans des pratiques sportives telles que l voile, le surf de mer, la plongée sous marine…et pourtant je ne suis pas éducatrice sportive. Ma connaissance de la pathologie et de la rééducation neuromotrice me permettait d’avoir les compétences pour indiquer telle installation, telle posture inhibant la spasticité et les enseignant APA avec qui je travaillais n’avait pas cette expertise. Il s’agissait vraiment d’un travail conjoint mais ils avaient vraiment besoin de ces conseils et ils étaient toujours demandeurs qu’un kiné les accompagne car ils avaient besoin de savoir si un geste n’étaient pas contre-indiqué, déclencher des douleurs,…Ils ne connaissait pas les risques liés au suite d’une injection de toxine botulique, à un allongement chirurgical d’un tendon…Je ne sais pas si la formation a changé mais en tout cas, clairement l’aspect médical ne leur était pas familier.
Je ne suis pas sure que vous connaissiez bien les champs de compétences de la kinésithérapie comme je ne connais pas bien votre formation (j’ai quand même parcouru le référentiel métier). Il y a plein de domaine dans lequel nous intervenons notamment à l’hôpital.C’est là où je ne comprend pas bien le rôle des enseignants APA dans le domaine hospitalier. Il y a des besoins dans des secteurs spécifiques comme le réentrainement à l’effort des obèses, la réhabilitation cardiaque et respiratoire, les diabétiques , pour les séquelles d’AVC je suis moins sûre et je suis la première à dire à la DRH que nous n’interviendrons pas dans ces domaines. Mais ce sont des postes en plus et pas à la place. Hors ce qui se passe actuellement, c’est bien un remplacement des kinés hospitaliers et là, cela pose problème. Pour le moment, je n’ai pas eu de réponses sur votre légitimité à avoir accès au dossier médical du patient et à assister à des staffs médicaux. Si vous intervenez à la place des kinés avec des patients atteints de troubles orthopédiques ou neurologique sans travailler conjointement avec des kinés, je ne comprend pas. En effet, il y a carence de postulants dans notre métier. Vous devez savoir que notre formation coûte chère contrairement à la vôtre et que les étudiants s’endettent. Nous avons également possibilité de travailler en libéral avec plus de revenus mais aussi plus de libertés. Notre combat est d’avoir une revalorisation salariale de notre professions. Le travail que nous faisons à l’hôpital est primordial mais nous sommes débordés. De plus nous avons des astreintes le week end. Alors, c’est vrai que nous avons dans notre petit hôpital 2 postes vacants mais quand la DRH nous envoie un CV d’enseignant en APA et que nous lui répondons que cela ne convient pas, il semble ne pas comprendre. Cela veut dire qu’un enseignant en APA va venir faire de la rééducation respiratoire le week end pour nous soulager ? Non, donc notre problème de non prise en charge par manque de moyen ne sera pas résolu avec cette embauche. Nous savons très bien que si nous acceptons il n’y aura pas de budget pour un poste de kiné. Donc, nous ne sommes pas d’accord et tant que nos postes ne seront pas pourvus, nous refuserons. Il faut que vos postes soient créés avec vos compétences propres donc battez vous auprès des pouvoirs publics pour faire reconnaître votre plus-value.
Bonjour et merci de relever ce débat. On arrive aujourd’hui à un chemin ou les métiers de STAPS et Kiné se croisent. Il faut à tout prix éviter que ces métiers se cannibalisent entre eux.
Je n’ai pu aller au bout de mon écrit. Dommage, ça a coupé ou décroché!?Ce que je voulais dire au final c’est que les APA sont la suite historique de ce qui existait dans nos formations 70-74 en Educ Posturale et rééducation , lié en ce qui concernait Bordeaux à un cours sur l’Histoire des Méthodes. Les Options sportives ayant éliminé la Rééduc , le champ s’est restructuré et bien heureusement autour des Besoins des Corps à éduquer , ré éduquer. Aussi, le cœur du sujet me semble être la question de l’intervention pédagogique auprès es sujets concernés..normaux ou handicapés.
Au lieu d’engager une guerre des méthodes, ne faudrait-il pas ingénieusement croiser les Savoirs pour toutes celles et ceux qui seront appelés à intervenir? Une approche trabnsdisciplinaire des problèmes à traiter s’imposerait . Mais un Tronc commun pourrait voir le jour à l’université pour tous ces futurs métiers de la relation au Corps.
Ainsi une paix sociale pourra