APB, le retour. Les lycéens sont de nouveau confrontés à cette plate-forme qui leur ouvrira les portes de l’enseignement supérieur. Loin de moi l’idée de dénigrer cet outil. Je me souviens du temps où l’inscription à l’université se jouait sur le mode « premier arrivé, premier servi ». La plate-forme APB a apporté un peu de discipline dans cette course à l’inscription. Si ce n’est que quand il est question des disciplines « en tension », ce qui est le cas pour les STAPS, APB est le plus souvent synonyme de capacités d’accueil limitées et de tirage au sort. On parle plutôt officiellement de « traitement automatisé critérisé ». Mais au-delà des éléments de langage rassurants, c’est bien un tirage au sort qui sélectionnera les lycéens qui pourront accéder à ces filières. Reste à savoir quelle sera la sévérité de cette sélection aléatoire…
Il faut savoir que par rapport à l’année dernière, les UFR STAPS offriront sans doute moins de place sur APB. Certaines, qui n’affichaient pas de capacités limitées ont dû se résigner à le faire, souvent la mort dans l’âme. D’autres ont été amenées à réduire leurs capacités d’accueil antérieures : on peut ainsi estimer que le nombre total de places ouvert sur APB pour la filière STAPS sera réduit d’au moins un millier de places par rapport à l’année dernière. On peut en revanche s’attendre à un accroissement des premiers vœux académiques, qui devraient atteindre si l’on prolonge les tendances des années précédentes plus de 30000 candidats posant STAPS en premier vœu dans leur académie, pour une capacité nationale qui n’excédera sans doute guère 14000 places. La soustraction est facile à faire…
Comme les années précédentes, ce sont les directeurs d’UFR qui devront faire front face au désarroi des lycéens et de leurs familles, les pressions amicales des élus, des fédérations sportives, voire des rectorats. Plusieurs recours auprès des tribunaux administratifs ont été intentés et remportés l’année dernière, obligeant in fine les UFR STAPS à inscrire les candidats. Sans arrêté instituant clairement la légalité de cette procédure de tirage au sport, on peut évidemment craindre que ces recours se multiplient.
Je ne suis pas en train de défendre le tirage au sport, qui est la modalité la plus absurde qui puisse se concevoir, totalement illisible pour les familles et pour les candidats recalés, absolument incohérente pour les enseignants. Le tirage au sort, ce sont beaucoup d’étudiants qui arrivent sur les bancs de l’université sans avoir aucune chance d’arriver au terme de la première année. Des étudiants qui ont été attirés par le sport, sans se rendre compte que leur cursus antérieur ne les préparait absolument pas aux exigences d’une formation universitaire. Le tirage au sort, c’est à l’inverse des lycéens désemparés, qui avaient depuis des années le projet de poursuivre leurs études en STAPS, qui ont obtenu un baccalauréat tout à fait adapté, et qui se trouvent obligés d’opter par défaut pour une autre filière, en espérant bénéficier plus tard d’une hypothétique réorientation vers leur vœu d’origine.
Les UFR STAPS accueillent le maximum d’étudiants possible. Souvent dans des conditions précaires (amphis surchargés, encadrement insuffisant), et au prix d’un taux d’échec insupportable en première année. On peut certes estimer cet écrémage initial comme une étape nécessaire. Mais quand on en analyse le coût social, financier ou humain, on se dit que le dogme édictant que chaque bachelier doit pouvoir s’orienter vers la filière de son choix est un luxe que l’université et plus généralement la société n’a guère les moyens de s’offrir. Reconnaissons-le : la première année de Licence, c’est un peu comme les offensives Nivelle en 1917. Les bataillons sortent en masse des tranchées, mal équipés, mal soutenus par une logistique défaillante, et les quelques hectomètres gagnés se payent en pertes effroyables. On devrait rentrer à l’université pour suivre les études correspondant à son projet et pour obtenir ses diplômes. Pas pour tenter sa chance dans un combat perdu d’avance. Or c’est bien cela que l’université perpétue, par lâcheté : une banalisation de l’échec, considéré comme simple variable d’ajustement, dont seuls les étudiants sont en définitive considérés responsables.
Le législateur, qui a récemment levé le tabou de la sélection à l’entrée du master, pourrait utilement se poser la même question pour la licence. Les principes qui ont poussé à réformer le second cycle universitaire s’appliquent tout autant au premier. On peut les résumer autour de deux propositions essentielles :
(1) La qualité des formations ne peut être maintenue sans une adéquation des effectifs étudiants aux capacités objectives d’accueil.
J’adhère sans réserve à l’objectif d’élever le niveau général de diplomation. C’est une exigence sociétale évidente, un des seuls paris qui vaille sur le long terme. Mais il ne suffit pas de remplir les amphithéâtres pour y parvenir. Encore faut-il que les universités aient les moyens d’atteindre cet objectif, sans dévaloriser les diplômes qu’elles distribuent. Un master n’est pas une super-licence, une licence n’est pas un super-baccalauréat. Chaque niveau de graduation possède sa logique, ses exigences de formation. Y déroger serait catastrophique pour la crédibilité de l’université.
L’université se trouve face à un défi similaire à celui qui a été assigné à l’enseignement secondaire dans les années 80, mais sans disposer des moyens qui avaient été mobilisés à l’époque. On évoque beaucoup à l’heure actuelle le développement des nouvelles technologies numériques, qui peuvent en effet participer à ce défi, mais ne doivent pas servir de cache-sexe à l’insuffisance d’encadrement et à l’incurie de la formation pédagogique des enseignants du supérieur.
D’un autre côté je dois dire que je crains que se développe au sein des universités une tentation malthusianiste, restreignant l’atteinte de ces niveaux d’excellence à une élite soigneusement sélectionnée. Le distinguo peut parfois être se révéler ténu entre qualité des formations et confort de fonctionnement des équipes enseignantes.
(2) La réussite universitaire suppose des prérequis que la possession du diplôme couronnant le cycle précédent ne garantit pas nécessairement.
Au-delà de la définition de capacités d’accueil, la réforme du master reconnaît aux équipes pédagogiques un rôle d’orientation : sur la base du parcours antérieur de l’étudiant, on admet que les enseignants puissent émettre un avis sur la pertinence d’une poursuite d’étude. Cette réforme induit de fait un découplage entre obtention du diplôme et accès au cycle supérieur. Comme il a été dit précédemment, il ne s’agit pas de laisser les étudiants tenter leur chance dans un diplôme, mais de s’assurer qu’ils possèdent les ressources nécessaires pour mener à bien leurs projets.
Le problème est similaire pour l’entrée en Licence. On peut en effet considérer le baccalauréat comme le sésame absolu, permettant de poursuivre à l’université n’importe quel parcours. Mais les faits sont têtus : le cursus secondaire de l’étudiant est remarquablement prédictif de sa réussite universitaire. Il semblerait infiniment logique de fonder l’admission dans les filières en tension sur une analyse du parcours antérieur des lycéens, scolaire et même extra-scolaire. En ce qui concerne la Licence STAPS, il serait intéressant en effet de pouvoir examiner, au-delà même de l’obtention de tel ou tel baccalauréat, le profil scolaire des candidats, leurs expériences sportives et associatives, leurs projets de vie.
On dira sans doute que c’est introduire des critères subjectifs, une brisure inacceptable du contrat scolaire. Je parle avant tout de réintroduire de la relation pédagogique, de l’orientation concertée dans les grands paliers du système éducatif. Indiquer sur APB, comme il est proposé cette année, les pourcentages de réussite en fonction de la série de baccalauréat d’origine, peut sembler suffisant. Réponse technocratique à un problème où il faudrait plutôt mettre de la relation et de l’humain. Il faut avoir à un moment le courage de regarder un étudiant dans les yeux et de lui dire clairement que ses résultats ne lui permettront pas de poursuivre, et qu’il va devoir sans doute réviser ses projets.
Au-delà de la maîtrise de la qualité de ses formations principales et d’une orientation maîtrisée de ses étudiants, l’université doit être aussi capable de diversifier ses voies d’accès et de réussite. Le LMD est sans doute un bel objet, lisible et satisfaisant d’un point de vue technocratique. C’est aussi une redoutable machine à uniformiser, un filtre qui génère une terrible indifférence aux différences. Les responsables de l’enseignement secondaire avaient clairement pointé dans les années 80 cet effet pervers de l’uniformisation, créateur d’échec scolaire. Qui s’en souvient aujourd’hui à l’université ? Il est sans doute nécessaire d’inventer ou de développer des filières alternatives au sein de l’enseignement supérieur. Je reste notamment très attaché aux DEUST, qui permettent d’accrocher des étudiants qui seraient manifestement en échec dans le rouleau compresseur des licences académiques.
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