L’Université, les STAPS, l’Education Physique et Sportive

Formation des enseignants : où l’on reparle de la place du concours…

Le réseau national des ESPE organise le 11 janvier 2018 une journée de réflexion, et annonce dans sa note d’attention les données essentielles du problème : « Actuellement […], il y a une confusion entre le processus de formation des enseignants et le processus de recrutement des fonctionnaires de l’Éducation nationale ; la place et la nature du concours sont largement interrogées, dans la forme actuelle, le concours en 1re année de master crée une rupture entre avant et après le concours. Cette rupture impacte largement tous les volets des missions des ESPE… ». Je suis ravi que cette question soit à nouveau posée, après quatre années de fonctionnement de la réforme dite de mastérisation de la formation des enseignants.

La majeure partie des arguments développés dans ce billet a déjà été présentée depuis quelques années dans ce blog (voir notamment [1], [2], [3], et [4]). Il me semble cependant nécessaire de les remettre en mémoire, afin de contribuer au débat qui s’ouvre. Ce texte est évidemment fortement marqué par la discipline EPS, le concours du CAPEPS, et les formations STAPS qui en constituent la propédeutique naturelle. Je m’en excuse d’avance auprès des lecteurs issus d’autres disciplines, je leur fais confiance pour traduire mes propos dans leurs idiomes respectifs.

La réforme de mastérisation visait avant tout à élever le niveau de formation des enseignants. Il ne s’agissait pas uniquement de prolonger la formation de BAC+3 à BAC+5, mais de faire passer la qualification des enseignants du niveau Licence, c’est-à-dire un niveau de technicien supérieur, capable d’appliquer des procédures en les adaptant au public, à un niveau Master, celui d’un ingénieur capable de mettre au point des procédures adaptées. Les récents programmes du collège, insistant sur le rôle de concepteur des enseignants, ont clairement renforcé cette nécessité.

Force est de constater que la mastérisation est loin d’avoir atteint cet objectif. La première année du master est définitivement polluée par la préparation des concours. Le CAPEPS se réduit de fait à l’herméneutique[5] des programmes de l’Ecole. Les candidats s’efforcent avant tout à tenter de coller aux attendus supposés des correcteurs. Lors de cette première année ils ne touchent guère à l’exercice effectif du métier, mais deviennent experts d’un formalisme étroit et rigide. C’est loin de ce que l’on peut espérer d’une quatrième année à l’université…

La seconde année du master est de l’avis de tous extrêmement contraignante, pour des étudiants écartelés entre leurs responsabilités nouvelles en établissement, et l’exigence d’une formation universitaire à et par la recherche, à laquelle la première année du master n’a pas eu le loisir de les préparer.

Il me semble nécessaire d’enfin évaluer sans concessions le dispositif actuel, d’en élucider les limites, avant tout vis-à-vis de son objectif premier : former les enseignants dont l’Ecole de la République a besoin.

Tout d’abord, afin de consacrer réellement les deux années de master à la formation professionnelle, il est essentiel d’organiser le concours de recrutement en fin de Licence. Bien sûr, un concours si précoce n’aurait pas vocation à évaluer des compétences professionnelles, mais uniquement la capacité à poursuivre un master professionnel. Ce concours devrait se limiter à des épreuves écrites, essentiellement académiques (dans la logique, par exemple, du concours d’entrée à l’Ecole Normale Supérieure).

On me dira sans doute qu’un tel concours ne sélectionnerait que des forts en thèmes, mais ne donnerait aucune assurance sur la capacité des lauréats à devenir de bons enseignants. Je pense en effet qu’il serait nécessaire que ce concours ne soit ouvert qu’aux candidats titulaires d’une licence à forte orientation préprofessionnelle. Pour le CAPEPS, la licence STAPS « Education et Motricité » en est un bon exemple : les étudiants y suivent des enseignements professionnels, réalisent des stages à chaque semestre en établissements scolaires. Il me semble que l’obtention de cette licence pourrait attester d’une capacité à devenir enseignant (surtout si la règle absurde de compensation entre unités d’enseignement est enfin supprimée[6], ce qui aurait pour conséquence d’obliger à l’acquisition indépendante des contenus de formation préprofessionnelle).

De ce fait, les deux années de master pourraient être effectivement consacrées à la formation au métier, comme c’est d’ailleurs le cas pour l’ensemble des masters professionnels à l’université. Non pas d’ailleurs au métier tel qu’il est, mais surtout au métier tel qu’il risque de se profiler dans quelques années, lorsque les étudiants seront ancrés dans leur fonction enseignante. C’est sans doute la promesse ultime de la mastérisation, de cette collaboration nouvelle entre universitaires et professionnels de l’Education Nationale : former les enseignants qui construiront l’Ecole de demain. Ceci mérite mieux que l’année d’alternance actuelle, le plus souvent subie dans l’urgence.

J’anticipe déjà quelques objections : la première est que suite à l’obtention d’un concours de la fonction publique, la titularisation doit être prononcée au bout d’une année. Je répondrais volontiers que le service public devrait avoir la sagesse de faire évoluer ses dogmes, lorsque ceux-ci se révèlent abscons. On pourrait aussi objecter le problème des coûts, si l’on considère que dès l’obtention du concours les lauréats devraient devenir fonctionnaires stagiaires. Il me semble que ce statut pourrait être réservé aux étudiants ayant obtenu la première année de master : la seconde année se passerait alors, comme c’est le cas actuellement, en alternance entre université et établissements scolaires.

Enfin je ne vois absolument aucun intérêt à conserver des épreuves nationales d’admission en fin de master. Je sais que je touche là à un tabou de la geste enseignante : le concours, le bizutage ultime, la grand-messe vichyssoise. Certains seraient prêts à avancer les épreuves d’admissibilité en fin de Licence, à condition de conserver les sacro-saintes épreuves d’admission en fin de master. Je sais que supprimer ces épreuves serait pour beaucoup un déchirement comparable à celui engendré par la suppression du service militaire en 1997. Je sais aussi que pour certains membres du jury, ce concours représente l’apogée de leur année professionnelle. En tant que formateur, je dois dire que j’ai peu de tendresse pour cette cérémonie initiatique. Lorsque j’entends évoquer ces candidats qui échouent à cause d’un claquage musculaire ou d’un ciseau dissymétrique en brasse, je pense vraiment que l’entrée dans la profession mérite mieux que ça…

Je pense par contre que la titularisation des candidats devrait être prononcée automatiquement suite à l’obtention du master. Il me semble que les équipes qui pilotent actuellement les masters MEEF, regroupant enseignants, inspecteurs, tuteurs pédagogiques, chefs d’établissement, suivant sur le temps long et dans des situations diversifiées les étudiants, ont toute légitimité pour évaluer de manière définitive leurs compétences professionnelles. En tous cas davantage qu’un jury ponctuel. Et on peut leur faire confiance pour que leur jugement ne soit pas dévoyé par la proximité des candidats : même dans le système actuel, les exemples ne manquent pas de non-titularisation au terme du master, malgré la réussite au concours.

Ces propositions suggèrent évidemment un certain nombre de bouleversements dans les représentations « habituelles » des concours. Tout d’abord, il serait nécessaire pour le ministère de l’Education Nationale de s’engager en fonction de besoins prévisibles deux années après le concours. Cela ne me semble pas insurmontable, y compris en cas d’alternances politiques. En second lieu, le nombre de places ouvertes au concours national, en fin de Licence, devrait prendre en compte un taux d’échec prévisible au master. Par exemple, pour 100 enseignants titularisés en fin de master, le concours pourrait ouvrir 120 places. Je ne pense pas que le décompte des emplois vacants dans l’Education Nationale soit à l’unité près…

On pourrait aussi reprocher à ces propositions de n’offrir qu’une voie monolithique à l’accès à l’enseignement (licence pré-professionnelle-concours- master), interdisant toute trajectoire moins linéaire. En effet. Mais comme dit en introduction l’objectif est de former les enseignants dont l’Ecole de la République a besoin. Non de permettre à tous de tenter leur chance dans des concours tardifs, à l’issue incertaine.

[1] La formation des enseignants à l’université (26 avril 2012)
[2] Mastérisation et formation des enseignants: Plaidoyer pour un pré-recrutement en Licence (17 novembre 2012)
[3] Formation des enseignants et concours de recrutement (6 janvier 2013)
[4] Réforme du collège : la formation des enseignants sera-t-elle à la hauteur ? (28 octobre 2016)
[5] L’herméneutique désigne originellement l’interprétation des Textes Sacrés. On ne saurait mieux dire…
[6] La compensation : une insulte au bon sens, un profond mépris pour les étudiants (1 décembre 2012)

Commentaires (6)

  1. Emeline

    Et que faites-vous de ceux qui ont un master meef mais pas le concours ? Ah oui, j’avais oublié, un diplôme bon à être mis à la poubelle…. Au lieu de cela, pourquoi ne pas supprimer le concours et être titularisé après un an d’exercice…. Avec un contrat uniquement sur diplôme master meef. Nous avons des diplômes qui ne peuvent pas être reconnus à l’étranger car nous n’avons pas le concours…. Je vais donc, donner un conseil au futur étudiant : ne pas faire ce diplôme, mais si souhaitez quand même devenir enseignant, préparez un diplôme à l’étranger, car vous aurez, de fait, l’autorisation d’enseigner ( ou presque) et vous pourrez peut-être exercer votre métier au lieu de faire comme moi, visiter Pole emploi…. depuis deux ans, car même à bac +5, vous avez du mal à vous recycler.

  2. Didier Delignières (Auteur de l'article)

    A Montpellier nous nous sommes refusés à ouvrir un parcours B en seconde année, justement parce qu’un master MEEF sans le concours ne sert pas à grand chose

  3. martin

    Bonjour,
    Je suis bien d’accord avec vous concernant la nécessité de changer le mode de formation des enseignants et notamment de modifier l’année de stage actuelle qui consiste à enseigner dans une classe tout en suivant des cours à l’ESPE pour l’obtention du M2!
    Par contre, lorsque vous dîtes : « On pourrait aussi reprocher à ces propositions de n’offrir qu’une voie monolithique à l’accès à l’enseignement (licence pré-professionnelle-concours- master), interdisant toute trajectoire moins linéaire. En effet. Mais comme dit en introduction l’objectif est de former les enseignants dont l’Ecole de la République a besoin. Non de permettre à tous de tenter leur chance dans des concours tardifs, à l’issue incertaine », je trouve vos propos quelque peu blessants et votre jugement un peu hâtif!
    En effet, il me semblait que tout individu avait droit à une formation tout au long de sa vie ( c’est en tout cas ce qu’indiquent les textes officiels)en vue d’une reconversion! Ce droit n’est-il donc pas légitime?
    Parce que selon vos propos « Non de permettre à tous de tenter leur chance dans des concours tardifs, à l’issue incertaine », voulez-vous insinuez que les personnes salariées qui souhaitent devenir enseignants ne seraient pas réellement et profondément motivées pour ce métier? Pensez-vous vraiment que ces personnes choisissent de s’engager dans cette voie par pur hasard ? Leur maturité et leurs expériences sont également un atout, ne croyez-vous pas ? Voulez-vous dire que ces personnes ne pourraient pas elles-aussi devenir des enseignants dont l’Ecole de la République a besoin et donc correspondre à vos objectifs ???
    Il semblerait que vous ne réalisez pas l’investissement personnel que demande une reconversion. Parce qu’obtenir un congés de formation est déjà en soi un parcours du combattant. Obtenir un master 1 MEEF, préparer le concours et être parents (et parfois même continuer à travailler car non obtention du congés de formation !), tout cela dans la même année me semble être suffisant pour démontrer la motivation des personnes en reconversion et leur capacité de travail ! (même si échec au concours ! Ce qui peut très bien arriver à un étudiant me semble-t-il !!!!)
    Alors je pense que le projet de recrutement des enseignants devrait laisser une place à ces personnes tout autant qu’aux jeunes étudiants de Licence et permettre à ceux qui ont déjà obtenu le M1 MEEF de pouvoir également intégrer la formation des futurs enseignants et envisager d’obtenir le concours quelle que soit sa future forme !
    La non discrimination et le non jugement ne sont-ils pas les bases de l’Ecole de la République et du métier d’enseignant justement ?

  4. Schneider

    Bonjour, avez vous une idée de la période à laquelle le gouvernement va pouvoir annoncer les modalités de cette réforme? Merci

  5. Didier Delignières (Auteur de l'article)

    Aucune idée…

  6. Pingback: Quelles maquettes d’enseignement pour les futurs masters MEEF ? | Le site de Didier Delignières

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *