Puisque l’on parle de plus en plus d’un repositionnement des concours de recrutement des enseignants en fin de licence, il me semble qu’il est opportun de réactiver quelques arguments, précédemment développés. Je suis absolument favorable à cette évolution, et dès la mise en place de la réforme de la mastérisation j’ai milité pour un concours précoce, situé en amont du master[1].
L’idée principale est de permettre aux masters enseignement de pleinement jouer leur rôle : donner aux enseignants une véritable formation universitaire, mêlant apprentissage du métier et formation à et par la recherche. Il ne s’agit pas uniquement d’apprendre à « faire la classe ». Les futurs enseignants devront être capables de s’adapter aux futures mutations de l’Ecole, et c’est tout le sens de la réforme de mastérisation de ne pas s’en tenir à une formation professionnelle à court terme, mais de former des professeurs capables de faire face aux défis à venir. A l’heure actuelle le concours situé en fin de master 1 réduit considérablement ces ambitions, les étudiants restant obnubilés en première année par la préparation du concours et en seconde année écrasés par leurs nouvelles responsabilités de fonctionnaire-stagiaire. Placer le concours en fin de Licence, c’est libérer un temps effectif de formation au métier d’enseignant, dans sa réalité et son devenir.
Certains, admettant cette idée d’un concours plus précoce, pensent néanmoins qu’il ne devrait s’agir que d’épreuves d’admissibilité, qui devraient être complétées par des épreuves d’admission en fin de M1 ou de M2. Il ne s’agirait à mes yeux que d’une solution hybride qui ne solutionnerait aucun problème. Comme l’affirmait François Dubet en 2014, il ne faut pas confondre formation à bac+5 et recrutement à bac+5[2]. A partir du moment où les étudiants auraient réussi le concours en fin de Licence, l’obtention du master devrait suffire à prononcer leur titularisation. Le master MEEF ne doit plus être pollué par des préparations à des épreuves de concours, quelles qu’elles soient.
Il ne s’agit pas là de dessaisir l’employeur de la prérogative de recrutement. Les ESPE travaillent sur la base d’équipes plurielles, regroupant universitaires, tuteurs et inspecteurs pédagogiques, assurant une place essentielle à l’Education Nationale. Il s’agit avant tout d’éviter de mener des cohortes d’étudiants à bac+5, où ils se retrouveraient face à un nouveau concours qui ne laisserait une bonne part d’entre eux qu’avec un master sans grande utilité, si ce n’est de pouvoir postuler sur des postes de contractuels pour pallier temporairement aux déficits du système scolaire. Je ne pense pas que l’ambition des masters MEEF puisse être de placer la moitié de leurs étudiants dans un sous-prolétariat enseignant à l’avenir incertain. Un concours précoce, assurant les lauréats d’une entrée dans la carrière d’enseignant à condition de réussir leur master, permettrait aussi sans doute une attractivité plus grande pour ces métiers[3].
Le repositionnement du concours en fin de Licence posera de toute évidence le problème du statut des lauréats lors de leurs deux années de master. L’idéal serait évidemment qu’ils puissent avoir un statut de fonctionnaire-stagiaire durant ces deux années. On peut aussi penser à une montée en puissance du dispositif, les étudiants pouvant être à temps partiel la première année et à temps plein la seconde. Il devrait être hors de question de penser faire des économies à ce niveau : la prise en charge des élèves en responsabilité totale est essentielle à la formation des futurs enseignants. Ce qui évidemment pose des problèmes budgétaires mais rend évidente l’idée que le concours placé en licence devrait être un concours d’admission et non simplement d’admissibilité : cet effort budgétaire doit être focalisé sur ceux qui deviendront effectivement enseignants.
Il est évident qu’un concours placé en fin de Licence ne pourrait pas correspondre au concours actuel : ce devrait nécessairement être un concours académique, évaluant essentiellement la maîtrise de contenus disciplinaires. On me répondra sans doute qu’un tel concours académique ne permet pas de sélectionner les meilleurs enseignants. Il se trouve justement que le master devrait être là pour les former en tant qu’enseignants, ce qu’il ne peut pas faire actuellement, et que par ailleurs j’ai des doutes sur le caractère inné du contact pédagogique. Comme tous les métiers, cela s’apprend. Enfin dans la mesure où l’on critique souvent le manque de maîtrise des contenus disciplinaires chez les enseignants, baser le concours sur cette maîtrise ne serait pas incongru. Et pour finir, pour ceux qui auraient peur que les forts en thème squattent ces concours au détriment de candidats à la vocation pédagogique plus affirmée, rappelons que ces forts en thème ont généralement d’autres ambitions que les concours d’enseignement…
Evidemment, il ne serait pas inutile pour les candidats de tester leurs motivations avant de se présenter au concours, et la mise en place de licences préprofessionnelles, sur le mode de la Licence Education et Motricité proposée en STAPS, associant formation au métier et mise en stage en établissement, semble nécessaire dans toutes les disciplines.
Pour résumer, une réforme du cursus des futurs enseignants doit poursuivre deux objectifs essentiels : sécuriser précocement le parcours des étudiants, et leur donner une formation professionnelle et universitaire de qualité. Le repositionnement en fin de Licence du concours national permettra d’aller dans le sens de ces deux objectifs. Je conçois les problèmes que cette réforme pourrait poser : un engagement sur une politique de recrutement à deux ans, la détermination probabiliste du ratio postes ouverts au concours/titularisation effective en fin de master, l’adaptation des procédures pour les candidats non issus des formations initiales, etc. Les solutions sont à déterminer point par point, mais l’Education Nationale est un système suffisamment complexe à mon sens pour absorber ces difficultés.
[1] Voir notamment les billets suivants :
Mastérisation et formation des enseignants: Plaidoyer pour un pré-recrutement en Licence. Blog Educpros, 17 novembre 2012.
Formation des enseignants et concours de recrutement. Blog Educpros, 6 janvier 2013.
Réforme du collège : la formation des enseignants sera-t-elle à la hauteur ? Blog, 28 octobre 2016.
Formation des enseignants : où l’on reparle de la place du concours… Blog, 28 décembre 2017.
[2] François Dubet : « Recruter les profs à bac+5, c’est une erreur ». L’Obs, 14 juin 2014.
[3] François Dubet, dans le billet précédemment cité, évoquait même un recrutement à bac+1 ou bac+2, sur le modèle des Ipes.
Cher collègue,
Quatre, au mieux cinq, semestres universitaires pour former à la discipline, sachant que le cursus universitaire accorde une part importante au non-disciplinaire, cela me paraît impossible avec le niveau actuel des L1. C’est pourquoi la part de disciplinaire dans le MEEF 1 demeure cruciale…
Cordialement,
M.
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