Les ministères de l’Education Nationale et de l’Enseignement Supérieur ont levé le voile sur l’organisation future des masters MEEF, après la mise en place du concours dans son nouveau format (en fin de M2). Ils prévoient notamment la mise en place d’un dispositif d’alternance en seconde année de master, les étudiants intervenant en responsabilité pour l’équivalent d’un tiers temps. Le document indique que la mise en place de ce stage en alternance « implique d’identifier dans les académies le vivier d’étudiants qui bénéficiera du dispositif et les berceaux d’accueil des futurs alternants ».
Les ministères se veulent rassurants : ils prévoient entre 10000 et 12000 alternants en seconde année de master MEEF. Dans la mesure où les M2 MEEF accueillent actuellement 24000 étudiants, dont seule la moitié provient du M1 MEEF, ils supposent que « l’équivalent de la population issue des masters 1 MEEF pourra être accueilli en stage alternant dans les établissements scolaires ».
C’est peut être plausible si l’on prend en compte l’ensemble des concours du second degré, mais cela a-t-il du sens pour les Master MEEF EPS ? Dans la mesure où les postes ouverts en EPS représentent un peu moins de 10% des postes ouverts aux concours du secondaire, on peut estimer qu’environ 1000 postes d’alternants pourraient être attribués à l’EPS au niveau national. Notons cependant qu’il y a cette année 2985 étudiants en master 1 MEEF EPS, sélectionnés sur un potentiel de 4671 étudiants de licence 3 EM, et qui risquent de passer en grande majorité en seconde année. Si l’on poursuit le raisonnement jusqu’au bout, ce n’est donc qu’un étudiant sur trois qui pourrait bénéficier en M2 d’un contrat d’alternance, les autres devant sans doute se contenter de stages d’observation, non rémunérés. Il reviendra aux universités, sur la base des résultats de M1, de désigner les heureux élus.
Le nouveau master MEEF, que l’on annonçait comme plus professionnalisant, ne le sera en fait que pour un tiers des étudiants, les autres se contentant d’une visite superficielle des établissements scolaires et d’une préparation désespérée aux épreuves du concours. Il suffit pourtant de consulter les étudiants de master MEEF pour comprendre que leur véritable formation professionnelle ne débute que lorsqu’ils se sont débarrassés des angoisses de la réussite au concours, et qu’ils se trouvent enfin en responsabilité face aux élèves. C’était vrai jusqu’à présent pour les étudiants de M2, on aurait pu étendre cette formation essentielle aux deux années de master MEEF, on a préféré la supprimer en repoussant le concours en fin de master.
On peut supposer que s’ils échouent au concours, les alternants se verront peut-être proposer des postes de contractuels. Les autres devront essayer de monnayer leur master MEEF sur le marché de l’emploi, un master qui ne fera guère que sanctionner deux années infructueuses de préparation au concours. Certains affirmeront bien sûr qu’un master est statistiquement un passeport pour l’emploi. En effet plus le niveau de diplomation est élevé, plus l’accès à l’emploi est aisé. A condition évidemment que les diplômes soient légitimes aux yeux des employeurs. Et ce n’est pas parce que l’on a passé 5 années à l’université, dont deux à se préparer aux épreuves formelles d’un concours de recrutement, que l’on a acquis les compétences attendues d’un titulaire du grade de master. Les employeurs risquent de finir par s’en rendre compte…
Les universités ont deux solutions : la première est d’aligner les capacités d’accueil des M2, et par voie de conséquence celles des M1, sur les « berceaux d’accueil » définis par les rectorats. On imagine le goulot d’étranglement que cela représenterait en fin de Licence, uniquement pour avoir le droit de se présenter au concours deux ans après… La seconde est de pousser tous les postulants à Bac + 5, en sachant qu’il s’agira d’un master à deux vitesses. Et là on imagine les frustrations de la majorité des étudiants, après cinq années d’études universitaires. Mais on pourra dire que tout le monde aura eu sa chance… On pourrait aussi (certains y pensent sans doute déjà) exiger que tous les étudiants de master MEEF obtiennent des contrats d’alternance. Cela fait quelques temps cependant que les universitaires ont cessé de croire au Père Noël, surtout quand à la fin ce sont les étudiants qui paient la note.
Ceux qui pensaient que le recul du concours en fin de master était une idée lumineuse, qui allait enfin permettre une formation professionnelle de qualité, risquent d’avoir des réveils difficiles.
Quelques billets récents sur ce sujet:
Vers un master MEEF « préparation aux concours », 4 juillet 2019
Le concours en M2 : c’était la pire des solutions !, 22 février 2019
Non, le concours enseignant n’a pas « vocation » à se dérouler en M2, 30 janvier 2019
Formation des enseignants : pour un concours en fin de Licence, 20 juin 2018
Formation des enseignants : où l’on reparle de la place du concours…. 9 janvier 2018
Bonjour Didier
Malheureusement les problèmes pointés ici ne sont qu’une partie des problèmes que pose la réforme. Par exemple le calibrage possible, à terme, des masters sur les postes berceaux proposés par le Rectorat. Avec les implications sur les flux (sélection drastique pour rentrer en M1, implication sur les postes de formateurs, variations importantes en fonction des postes au concours…), ou s’il n’y a pas de calibrage, des études à 2 vitesses, entre ceux qui devront faire un stage de contractuel (les plus pauvres) , et les autres (les plus riches) qui verront vite qu’ils n’ont peut être pas intérêt d’être en alternance pour bien préparer le concours et le master.
Il faut rajouter l’année de transition (2021) où les M1 inscrits dans la « nouvelle » formation pourront aussi passer l’ancien concours…. avec une répercussion sur les candidats de l’année suivante. Et si on leur interdisait, ça ferait quasiment une année blanche en terme de recrutement…
On pourrait rajouter la pression sur les enseignants qui doivent en aveugle quasiment proposer de nouvelles maquettes…
Bref j’espère que la C3D consciente de tout ça a demandé et demande comme le SNEP et la FSU la non application de la réforme à la rentrée prochaine… (voir les communiqués de presse sur lnternet).
Faire une formation de qualité n’a jamais été l’objectif de la réforme. Blanquer avait juste quelques économies à faire, augmenter le nombre de contractuels dans la fonction publique, et faire occuper des postes par des étudiants ! Ce qui va au passage bloquer un paquet de mutations dans le second degré. Donc, à part lui, je ne sais pas qui pensait que le recul du concours était une idée qui allait de facto améliorer la formation (en fait je crois qu’il avait absolument conscience que ça ne serait pas le cas, mais il s’en fiche pas mal). Encore une fois, l’objectif de supprimer la masse des enseignants sous statut par des contractuels n’est même pas un secret).
Espérons donc que la résistance (active ou passive) sera suffisamment large. Des INSPE sont déjà dans l’action…
Bonjour Christian,
Bravo pour cette clairvoyance, même si je la trouve un peu tardive. Les problèmes qui vont se poser étaient prévisibles, et nous avons suffisamment alerté à ce sujet. Mais pour nous le problème ne vient pas d’une gestion maladroite/libérale/macroniste du nouveau calendrier du master MEEF, mais de la décision même de reporter le concours en fin de master. La C3D était contre et proposait au contraire un concours en fin de Licence. Le SNEP s’est clairement positionné sur le placement du concours en 5ème année. Il était d’usage à l’époque de dire que la C3D « racontait n’importe quoi ». Qu’espériez vous alors ? Que l’Etat allait donner des contrats d’alternance à tous les étudiants désireux d’aller en master MEEF ? Qu’il allait distribuer à tout venant bourses et allocations, pour dégager de cette masse de candidats l’élite enseignante ? Comme je le dis à la fin du billet, nous avons cessé depuis longtemps de croire au Père Noël.
Malgré tout ce qui a été affirmé ici et là, cette réforme sonne le glas de la formation professionnelle des enseignants à l’université. Pire, elle va instituer des inégalités inacceptables entre étudiants, entre alternants et gueux, et dont la plupart se retrouveront certes avec un diplôme de master, mais qu’aucun employeur ne reconnaîtra réellement comme tel. Je sais que le SNEP a défendu l’idée selon laquelle un diplôme universitaire à Bac+5 était de toutes manières un passeport pour l’emploi. C’est statistiquement vrai, à partir du moment où les diplômes conservent une certaine attractivité sur le marché de l’emploi. Et la C3D a travaillé ardemment ces dernières années pour que ce soit le cas pour les diplômes STAPS. En ce qui concerne les masters MEEF, je crains que la plupart des reçus-collés n’aient à essayer de trouver du travail sur la base de leur Licence et de la carte professionnelle qui y est attachée, après deux ou trois années d’errance dans la préparation aux concours. Le positionnement du concours en fin de master va avant tout créer de la frustration et de la désespérance. C’était peut être le but recherché par certains. La C3D n’a jamais réfléchi comme ça, à un quelconque niveau de formation.
Le risque que les INSPE restreignent leurs capacités d’accueil en M1 sur la base des postes berceaux proposés par les rectorats est réel. Les masters MEEF ne feraient en cela que s’aligner sur la politique générale des masters professionnels, qui définissent leurs capacités d’accueil sur la base des lieux de stages, en laboratoire ou en entreprise. Quant à l’argument concernant les postes de formateurs, je doute que les universités soient enclines à autoriser des masses d’étudiants à poursuivre en master MEEF, sous le seul prétexte qu’il faille constituer les emplois du temps des enseignants. Les établissements qui croulent sous les heures complémentaires n’hésiteront pas à demander aux composantes de reverser les enseignants par ailleurs, notamment pour faire face à l’afflux d’étudiants en premier cycle. Là encore, nous avons cessé depuis longtemps de croire au Père Noël.
Je ne suis pas sûr que repousser la réforme soit la solution. Il faudrait surtout demander son abrogation. Les enseignants auront beau construire des maquettes plus sophistiquées, tracées au cordeau, le master MEEF ne restera qu’une interminable préparation au concours. Il aurait fallu avoir le courage, ou la lucidité de penser autrement, dès le début des discussions.
Je suis étonné aussi que le SNEP réclame la solidarité de la C3D, alors que depuis quelques années il s’est surtout illustré dans des attaques en règle contre la Conférence (notamment sur ParcourSup et sur les mentions de Licence). Mais c’est un autre problème.
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