Dans le contexte sanitaire actuel, les universités sont en souffrance. Je pense surtout aux étudiants, qui traversent « les plus belles années de leur vie » dans l’isolement et souvent la précarité. Le passage à l’université, qui devrait être un lieu de rencontre, d’échange, d’ouverture, est depuis un an confiné dans un distanciel qui lui fait perdre toute sa substance. On ne mesure sans doute pas encore les dégâts que cet épisode va engendrer dans cette génération. Deux années blanches dans un parcours de formation supérieure. Lors de mon dernier cours, pourtant explicitement dédié à la préparation des examens, seuls 96 étudiants se sont connectés, sur 700 inscrits…
Les STAPS endurent une situation particulièrement pénible, la crise sanitaire n’ayant fait qu’aggraver une crise structurelle déjà ancienne. La conférence des directeurs de STAPS (C3D) et l’association nationale des étudiants de STAPS (ANESTAPS) se sont récemment exprimées sur la pénurie endémique de moyens dont souffre cette discipline universitaire, qui a doublé ses effectifs depuis 10 ans sans accroissement significatif de son taux d’encadrement. Le ministère de l’enseignement supérieur a évidemment conscience du problème et de la forte tension que les STAPS continuent à subir. Mais au-delà des efforts consentis au niveau national (notamment en 2018 pour l’accompagnement de la loi ORE), les moyens ont bien du mal à arriver dans les structures STAPS, au travers des filtres des rectorats et de la sacro-sainte autonomie des universités. On se souvient sans doute de la fermeture du département STAPS de l’Université de Versailles – Saint Quentin en Yvelines, en 2014, alors que la tension dans les formations STAPS était déjà importante. On se souvient aussi des 100 millions d’euros débloqués par Thierry Mandon en 2017 au profit des disciplines en tension, dont les STAPS (officiellement seule discipline en tension à l’époque) n’ont jamais vu la couleur. Un certain nombre de postes théoriquement financés par le ministère en 2018 se sont aussi évaporés dans les rouages administratifs des universités.
C’est dans ce contexte particulier que les équipes pédagogiques des INSPE travaillent à la mise en place des nouveaux master MEEF, marqués par le report du concours en seconde année, qui devront être opérationnels à la rentrée de septembre 2021. Je parle ici avant tout du point de vue des parcours EPS, qui présentent certaines particularités qui orientent quelque peu mes propos. Il faut déjà savoir que si les métiers de l’enseignement représentent pour beaucoup d’étudiants des autres disciplines un choix par défaut, lorsque les orientations plus prestigieuses et plus lucratives se sont fermées, les étudiants entrent souvent en STAPS avec le projet de devenir enseignants d’EPS. Cette vocation précoce trouve son accomplissement dans une licence spécifique « Éducation et Motricité », particulièrement exigeante, qui constitue sans doute la seule licence préprofessionnelle aux métiers de l’enseignement à couvrir l’ensemble du territoire national. Le master MEEF EPS ne manque donc pas de candidats. La licence Éducation et Motricité accueille 4600 étudiants au niveau national, mais les masters MEEF EPS ne proposent actuellement que 2500 places en première année. L’entrée en master MEEF constitue pour les étudiants une première étape sélective, qui peut se révéler plus décisive encore que les concours auxquels ils se prépareront ensuite (on peut toujours repasser un concours, mais l’accès à un master sélectif est souvent un fusil à un coup).
Les concours de recrutement en EPS ont également des spécificités. On pourra pour s’en convaincre comparer les sujets 0 du CAPEPS et ceux des CAPES. La distinction disciplinaire/didactique qui organise les autres concours et les maquettes d’enseignement des masters MEEF y est beaucoup moins structurante, et la réflexion historique, sociologique, axiologique, sur le système scolaire en général et l’EPS en particulier y reste prégnante. On conçoit dès lors que l’alignement des maquettes EPS sur celles des autres parcours du master MEEF est un exercice assez délicat.
Je me suis exprimé à de multiples reprises sur les aberrations de cette réforme des masters MEEF (voir notamment Delignières, 2018, 2019a, 2019b, 2020, 2021). Le report du concours en seconde année de master sonne clairement le glas de la formation professionnelle des enseignants à l’université, qui était pourtant l’objectif premier de la mastérisation, et met les étudiants face à des exigences difficilement conciliables (stage en établissement, mémoire de recherche, préparation au concours). L’imposition en seconde année de stages à 1/3 temps, en responsabilité et rémunérés pour les uns, d’observation et non rémunérés pour les autres, va poser des problèmes logistiques inédits, tant pour les rectorats que pour les responsables de parcours, et un traitement différencié des étudiants qui cadre mal avec les objectifs de démocratisation de l’accès aux métiers de l’enseignement. Les équipes pédagogiques prennent maintenant conscience de l’absurdité des évolutions décrétées par le ministère, qui au-delà du délitement de la formation professionnelle, entraînera une baisse de l’attractivité des concours nationaux et une réduction à portion congrue de la formation à et par la recherche. Bilan remarquable, dont l’histoire dira s’il relève d’un amateurisme total du ministère ou d’un projet délibéré de destruction du système scolaire. Ou des deux simultanément.
La réforme va très vite induire un accroissement des effectifs en seconde année de master, d’une part parce qu’il n’y aura guère de sens à laisser végéter les étudiants en première année sans leur laisser l’opportunité de passer le concours, et d’autre part par la reprise d’étude d’étudiants titulaires du master 1, qui ont vite compris que la réforme leur permettait une nouvelle possibilité de bénéficier d’une préparation encadrée au concours. On peut s’attendre aussi à ce que nombre d’étudiants de master 2, ayant échoué au concours, se débrouillent pour être admis au redoublement, ce qui pourrait accroître de manière exponentielle les effectifs. Ni le ministère, ni les universités n’avaient envisagé ces effets secondaires de la réforme, qui risquent de peser lourdement sur le budget des établissements supérieurs, et sur les rectorats que la réforme oblige à proposer des lieux de stage à l’ensemble des étudiants inscrits en master 2. A Montpellier nous allons ainsi passer dès la rentrée prochaine de 35 étudiants en seconde année à plus de 100, qu’il faudra bien accueillir de façon décente. Dans la panique de la préparation de l’année de transition qui verra cohabiter des fonctionnaires-stagiaires, lauréats du concours 2021, et des candidats aux concours 2022, l’université et le rectorat ont suggéré dans un premier temps d’aligner les deux groupes sur la même maquette, ce qui révèle de manière dramatique le désarroi des institutions pour gérer cette réforme. Il est à prévoir que les universités régulent ces coûts en incitant à réduire fortement les capacités d’accueil en première année de master MEEF. Dans un contexte où les STAPS manquent déjà de perspectives de poursuite d’étude au niveau master, cette perspective ne risque pas d’arranger les choses…
Derrière les annonces lénifiantes des ministères de tutelle, les dysfonctionnements locaux se multiplient. L’Université Polytechnique des Hauts de France a ainsi décidé de fermer le parcours EPS du master MEEF sur le site de l’INSPE de Valenciennes, au motif que l’université n’a pas à supporter financièrement des réformes structurelles qu’elle n’a pas décidé. C’est une centaine d’étudiants de Licence Éducation et Motricité qui devront trouver une place dans les masters MEEF d’autres universités, déjà surchargés, ou abandonner leurs projets professionnels. A Toulon, les enseignants et les étudiants se battent pour l’ouverture d’un second groupe dans le parcours EPS du master MEEF, nettement sous-dimensionné par rapport à la demande. Les responsables des master MEEF de Toulon et de Nice ont démissionné suite au refus du rectorat d’accroître les capacités d’accueil. A Dijon, les collègues en charge de la préparation à l’Écrit 1 ont décidé de se retirer du master MEEF, écœurés par les évolutions de la formation. A l’université d’Évry-Val d’Essonne, on s’oriente vers la fermeture de la Licence STAPS Éducation et Motricité, suite au départ à la retraite d’un enseignant, poste non reconduit par l’université. Il est clair que la préparation aux concours et la formation des enseignants, qui devraient constituer des missions essentielles du service public de l’enseignement supérieur, s’accordent mal avec l’évolution néo-libérale des universités.
Bonjour
Tout à fait d’accord sur le constat de Didier Delignière. Mais je tiens juste à rappeler qu’il n’y a pas que la C3D et ANESTAPS qui s’expriment sur le manque de moyen endémique. Depuis des années, le SNESUP-FSU et le SNEP-FSU réclament un plan d’urgence par de nombreux courriers au MESRI depuis 2017 et nombre cette année 2020-21. De plus nous menons aussi une concertation sur nos actions respectives avec la CD3 et l’ANESTAPS sur ces revendications (cf CP urgence en STAPS).Nous soutenons, aidons au plus près les luttes locales menées par les collègues et étudiants en STAPS et plus particulièrement cette année à Valenciennes /EVry/ Font Romeu etc…Bien cordialement
Sans doute. Mais lorsque Jean-Michel Blanquer a décidé de repousser le concours en fin de master, seules la C3D et l’ANESTAPS en ont anticipé les conséquences et dénoncé les évolutions auxquelles nous sommes actuellement confrontés. A l’époque le SNEP militait explicitement pour ce report du concours en 5ème année, et clamait que la C3D « racontait n’importe quoi ».
la reforme conduira très prochainement à une augmentation du nombre de fonctionnaires.