A l’heure où l’université croule sous les demandes d’inscription, auxquelles elle doit faire face avec des moyens toujours plus limités, je voudrais parler d’un problème rarement évoqué, à part dans le cénacle fermé des conseils universitaires : les positions de détachement de certains collègues, qui bloquent partiellement le fonctionnement des UFR. Je conçois de toucher ici à un droit fondamental des enseignants-chercheurs, mais l’université a aussi des devoirs, notamment celui d’accueillir de manière digne les étudiants qui lui font confiance.
A l’UFR STAPS de Montpellier, c’est à l’heure actuelle 4 enseignants-chercheurs, soit un peu plus de 10% de nos effectifs, qui sont actuellement en détachement dans des universités étrangères. Trois d’entre eux sont notamment accueillis à l’Institut des sciences du sport de l’Université de Lausanne. Il ne s’agit pas de détachements temporaires : l’un de ces enseignants est en position de détachement depuis 2004, parti comme maître de conférence, il a maintenant le statut de professeur dans sa nouvelle université.
Bien sûr, les services de ces enseignants sont compensés en heures complémentaires, ou en postes temporaires (ATER). On comprendra néanmoins que ces moyens supplétifs ne sauraient compenser l’investissement d’enseignants-chercheurs titulaires, en termes de responsabilités pédagogiques (directions de diplômes), de responsabilités d’équipes et de programmes de recherche. Et tant que leur détachement perdure, il est impossible de recruter sur les supports d’emploi dont ils sont titulaires, l’université devant les réintégrer à tout moment dès lors qu’ils en expriment le souhait.
L’université ne peut s’opposer au départ en détachement d’un fonctionnaire qu’en raison de nécessités de service, qui restent difficilement évocables au vu des mesures compensatoires dont il a été question précédemment. Normalement un détachement est limité à 5 ans. Mais la loi reste peu diserte sur les détachements à l’étranger. Si l’université qui l’accueille lui propose de poursuivre son détachement au-delà de 5 ans, un enseignant-chercheur peut choisir de rester dans cette position. J’avais demandé voici quelques mois à mon université si un directeur d’UFR pouvait refuser de prolonger un détachement. Il m’avait été répondu que je pouvais sans doute tenter l’aventure, mais que « toutefois, il [était] possible que les personnes faisant l’objet de ces décisions contestent. Il faut donc prévoir des coûts de procédure (et éventuellement des charges pour provisions) qui seraient alors supportées par le budget des structures ayant demandé la fin de la délégation ». Bref, des droits d’un côté, des devoirs de l’autre…
Alors, mes chers collègues qui poursuivez votre trajectoire dans les universités étrangères, pour des salaires sans commune mesure avec ceux que vous aviez en France, avec des charges d’enseignement moindres, qui avez eu la chance de bénéficier du système universitaire français pour construire votre carrière, ayez au moins la dignité de rendre vos postes, afin que nos jeunes doctorants aient la chance de débuter la leur dans des conditions décentes, et que nos étudiants bénéficient d’un encadrement de qualité.
Bravo ! Joli courage dans un système éducatif verticalisé où les réseaux et les intérêts personnels sont plus forts que les personnes et leurs compétences, où l’omerta l’emporte sur le débat et la transparence.
Cher Didier,toujours coutumié d’argumentaires très percutants et pertinents.Ce que tu soulèves,mériterait une introduction à une réflexion beaucoup plus large:Quel le but d’exercer un métier d’enseignant,si ce n’est l’envie de transmettre sa passion pour telle ou telle discipline et ce pour l’Intérêt général ? Ou bien,l’envie d’exercer une autre mission oû l’intérêt personnel, primera sur l’intérêt général ? Mais ne faut-il pas être en phase et en accord avec ses convictions profondes d’honnêteté et de respect;? Mais en fait,peut-être,que les Missions doivent être complémentaires uniquement? L’Enseignant Enseigne,et le Chercheur cherche… Amicalement tienne
D’abord, pointer la responsabilité individuelle quand le système est si défaillant, c’est un peu regarder le doigt quand la sagesse indiqué la lune… Entre les politiques ministérielles et les décisions aveugles des acteurs des STAPS pour plonger dans Parcoursup, il y a vraiment à balayer ailleurs d’abord.
Ensuite, rien n’empêche une université de créer un poste pour faire face à une situation de détachement lorsque les probabilités de retour sont faibles. En général, investir dans un poste en STAPS n’est jamais risqué et en cas de retour d’un personnel détaché, les choses peuvent se rééquilibrer, par exemple à l’occasion d’un départ en retraite. Le professeur détaché a un droit et il l’exerce. Aux directions et présidences d’exercer la responsabilité d’anticiper la gestion RH de leur structure.
Je vous laisse la responsabilité de l’ensemble de vos propos. « Le professeur détaché a un droit et il l’exerce ». Ses collègues, son université et ses étudiants doivent lui permettre d’exercer ce droit sacré. Une société de privilèges. J’ai une autre vision de l’université et du service public.
Enfin je ne vois pas le rapport entre les décisions des STAPS à propos de ParcourSup et l’argumentation défendue dans ce post. A part un effet rhétorique pour détourner l’attention.
Le rapport, c’est vous qui l’avez pointé en introduction : « A l’heure où l’université croule sous les demandes d’inscription, auxquelles elle doit faire face avec des moyens toujours plus limité »
Difficile de ne pas voir le rapport avec ce qui s’est passé concernant les STAPS au moment de Parcoursup, vous y avez d’ailleurs consacré plusieurs billets. Dans un contexte autre que la pénurie de moyens, aggravé en STAPS par Parcoursup et l’augmentation des capacités d’accueil que cela a occasionné sans les moyens en façade, vous n’auriez visiblement pas écrit ce billet.
Pour le reste, oui, je maintiens ce que j’écris : ce n’est pas aux individus de rogner sur leurs droits (qui n’ont rien de « sacrés » comme vous le présentez) pour pallier aux manquements politiques. Si vous estimez que ce droit est abusif, alors proposez de le supprimer plutôt que pointer du doigt ceux qui l’exercent. Moi c’est comme ça que j’envisage le sens du service public.
Quand un collègue bloque son poste depuis 14 ans et affirme qu’il emmerdera jusqu’au bout l’université de Montpellier, je pense en effet qu’il abuse…
Parce qu’un de vos collègues abuse, ça mérite un tel billet de blog ? Il est bon de prendre un peu de hauteur parfois…
Quatre enseignants chercheurs, deux PRAG. Ce n’est plus un cas isolé. Mais on peut évidemment préférer l’omerta
Ce billet ressemblait en effet à un règlement de compte.
Pour ce qui est du rapport à Parcoursup, À Rennes nous avons perdu 2 postes promis lors de la loi ORE. Nous explosons de toute part malgré la grande promesse de la sélection qui devait régler tous nos soucis.
Alors maintenant pointer le collègue en détachement (même pas le détachement) et la « société de privilèges » comme cause de la misere où on est après Parcoursup, postes promis et perdus, LPR, réforme de formation des enseignants ne me convainc pas vraiment.
Omerta ? Je crois au contraire que les conditions de travail à l’université et en STAPS en particulier sont largement connues…
Je pointe un problème particulièrement prégnant à Montpellier (4 EC et 2 PRAG en détachement prolongé). Mon post traduit le sentiment de beaucoup de mes collègues qui doivent compenser ces délégations, en termes de responsabilités administratives. Je ne dis évidemment pas que ces détachements sont la cause de tous nos problèmes, et je me suis suffisamment exprimé sur l’ensemble des points que tu évoques
Assez d’accord avec la plupart des commentaires (Aurélien, Gilles Renault).
Je ne connais pas la situation spécifique décrite dans ce cas apparemment extrêmement particulier. Je suis en poste dans la même université depuis plus de 20 ans et je n’ai connu qu’un seul cas de détachement dans mon département ayant dépassé 5 ans et il a été résolu à l’amiable quand l’intéressé a obtenu un poste permanent dans sa nouvelle université.
Il est évidemment politiquement plus correct de considérer que les collègues sont par essence irréprochables et que les problèmes ne viennent que des ministères. Ceux qui suivent mon blog savent que je ne suis n’ai guère de complaisance avec les politiques ministérielles, la LRU, la réforme de la formation des enseignants, la gestion des rectorats et des universités. Ce qui ne m’interdit pas aussi d’avoir des lectures non complaisantes de ce qui se passe dans mon environnement proche.
Nous vivons peut-être dans mon UFR une situation exceptionnelle. Mais elle signifie que des laboratoires perdent des titulaires, l’UFR des responsables potentiels, des postes sont perdus pour les thésards. Et ces détachements peuvent perdurer jusqu’à la retraite des collègues…
Un autre type de commentaire sur Twitter: « Merci de dire tout haut ce que beaucoup pensent tout bas mais n’osent exprimer de peur d’en subir des conséquences pour leur propre carrière«
Je me permets de répondre sur les différents points un peu emmêlés de votre commentaire :
– Je ne juge pas l’action de tel collègue qui serait ou non irréprochable. En revanche, je trouve stupéfiant de faire un billet de blog pour dénoncer des fautes individuelles (jusqu’à appeler à la dignité) plutôt que de poser par exemple le problème des règles du détachement et de ses conséquences. Les conséquences pour votre UFR seraient les mêmes pour des professeurs en congé parental ou longue maladie. S’en prendre aux individus à travers une dénonciation n’est donc pas le bon levier.
– Je ne comprends pas le passage sur la notion de complaisance. Aucun commentaire ne vous a fait ce reproche. S’en défendre ainsi en devient même suspect. Au passage, j’ose penser que votre farouche soutien à la loi ORE n’avait rien d’une complaisance avec les politiques ministérielles mais relevait plutôt d’une erreur d’appréciation.
– Quant aux commentaires Twitter, je trouve que ceux de Julien Gossa sont extrêmement justes. D’ailleurs, quand il pointe qu’une université peut créer un poste pour recruter face à une telle situation, vous en convenez en précisant que cela dépend du « rapport de force » dans l’université. Nous sommes donc d’accord. Et je crois que vos collègues comme moi soutiendront votre prochain billet de blog qui dénoncera le refus de votre présidence d’université de créer des postes pour pallier aux 6 professeurs en moins. Nul doute d’ailleurs qu’il sera plus efficace
Plutôt qu’une question de règlement de compte, ce billet fleurerait presque la jalousie. Les règles de détachement sont largement connues et dénoncer comme des privilèges individuels des parcours scientifiques remarquables (ou du moins tout à fait conformes à la légalité), plutôt que d’incriminer l’institution ESR qui n’accorde pas la possibilité de recrutement compensatoire (le voilà, le problème !), n’est pas tout à fait exempt d’indignité.
Merci pour vos commentaires, qui montrent que la perception de ce problème est fortement liée à ce que l’on est : responsable de laboratoire, responsable pédagogique, dans une grande université ou une petite structure, militant politique ou syndicaliste, enseignant dans une discipline en forte tension ou moins chargée, etc. J’ai apprécié le commentaire de SupAutonome sur Twitter : « Dans l’abstrait vous avez raison, mais concrètement nos ennemis se nourrissent de ce genre d’autocritique ». Comprenez quand même que je décris des situations qui pourraient perdurer jusqu’au départ à la retraite des collègues concernés. Nous avons d’autres situations (IUF, CPP) que nous prenons avec plaisir en compte car on peut en estimer la durée. Je trouve le dernier commentaire sur la « jalousie » un peu déplacé. Il correspond sans doute à la manière dont ces situations sont vécues dans certaines universités, ce n’est pas le cas dans l’UFR où je travaille.
Beau cadeau dans un système éducatif à la verticale où règnent les groupes et les centres d’intérêt privés au sein de la société.
Bonjour à tous, cher Didier,
Je croise au hasard de mes lectures cet échange d’idées et de positions! Un dimanche pluvieux a Sydney!
Je pense que la responsabilité individuelle est un élément important. Bien sur il y a des droits dont les enseignants du supérieur peuvent bénéficier et il faut les conserver car ils donnent des opportunités. Je les vois comme des tremplins pour ceux qui ont le goût de l’aventure et qui trouvent des synergies ailleurs. Mais on peut profiter de ces opportunités et être responsable. Il y a un moment ou il faut s’engager dans une institution ou une autre! Et donner la chance à un jeune qui pourra postuler sur un poste qui deviendra disponible.
C’est ce que j’ai fait il y a 15 ans. J’étais en poste Maître de Conférence à Montpellier et j’ai tenté l’aventure Australienne. J’ai établi ma carrière à l’Université de Sydney, où je suis maintenant Professeure, et j’ai démissionné de mon poste à l’UFR STAPS de Montpellier (que je n’oublie pas!). Voila je voulais apporter un témoignage…
Le sport c’est bon pour la santé