Après le rapport de la Cour des Comptes publié en janvier, le Conseil Supérieur des Programmes vient de sortir un avis sur la formation et le recrutement des enseignants. Même si l’avis du CSP égrène une série de scénarios alternatifs, on sent que le dernier proposé, suggérant une suppression pure et simple des concours nationaux, a la faveur des rédacteurs.
Dans ces deux documents, on fait le constat de la baisse d’attractivité des concours de recrutement, qui ne permettent plus aujourd’hui de pourvoir tous les postes. On pointe aussi la baisse du niveau disciplinaire des candidats. Mais plutôt que de réfléchir aux raisons qui peuvent affecter cette attractivité (la question salariale, les conditions d’exercice du métier, le prof-bashing systématique relayé au plus haut niveau), on s’oriente vers une solution semble-t-il miracle : supprimer ces concours nationaux. Comme s’il suffisait de casser le thermomètre pour faire baisser la fièvre…
Le septième scénario proposé par le CSP, pour le recrutement des enseignants du secondaire, suggère ainsi que les titulaires d’un master MEEF soient automatiquement inscrits sur une liste d’aptitude à l’exercice du métier, académique ou nationale, pour une durée maximale de cinq ans après l’obtention du master. Ceci permettrait de postuler sélectivement sur un poste ouvert au recrutement dans un établissement donné. Une commission, comprenant le chef de l’établissement concerné, des inspecteurs pédagogiques et des enseignants de la discipline, sur la base de l’examen des dossiers et d’entretiens de motivation, retiendra un candidat, qui aurait le statut de professeur stagiaire et pourrait être titularisé au terme d’une année d’exercice.
On retrouve dans ces propositions tous les mantras de l’approche néolibérale de l’Éducation. C’est d’abord l’idée sacro-sainte de l’autonomie des établissements, clairement évoquée dans le titre du rapport de la Cour des Comptes : « Mobiliser la communauté éducative autour du projet d’établissement ». Slogan auquel on est évidemment tenté d’adhérer. Mais dans cette optique, le chef d’établissement devient de plus en plus un patron d’entreprise moyenne, pilotant un projet pédagogique au plus près des demandes locales, évalué sur ses résultats, et pouvant recruter à sa guise les profils qui lui conviennent. Ces propositions renvoient peu ou prou à une extension à l’ensemble du système du modèle de l’enseignement privé sous contrat (voir à ce niveau les analyses de François Jarraud), un modèle dont la valeur ajoutée reste sujette à caution… On peut se demander si dans cette optique on peut encore parler d’Éducation Nationale.
On peut notamment craindre (et le CSP le note dans son avis), que cette évolution n’accroisse fortement les inégalités sociales au sein du système éducatif. Les établissements favorisés pourront sans doute préserver leur pré carré d’excellence. En revanche, les établissements en difficulté pourront-ils susciter les candidatures de qualité ? Alors que le ministère communique sur la nécessaire mixité sociale et la réduction des inégalités entre établissements, la suppression du recrutement national serait peu entendable.
Il est clair aussi que la suppression des concours entrainerait de facto l’abandon du statut national des enseignants, qui deviendraient de « simples » employés, recrutés localement sur une adéquation de profil, et sans doute révocables en cas d’évolution des attentes. Quel statut et quelle évolution de carrière pour ces enseignants qui ne seraient pas protégés par l’obtention d’un concours national ? Quelles possibilités de mobilité, de mutation, dans un contexte où les recrutements ne seraient opérés que selon des règles locales ? Les textes analysés ici n’évoquent pas ces aspects essentiels.
Tout ceci résonne avec les déclarations récentes du ministre, suggérant que le métier d’enseignant ne représenterait plus nécessairement une vocation emplissant toute une carrière, mais pourrait ne constituer qu’une fenêtre professionnelle, un palier initial ou une perspective de reconversion plus tardive. C’est une manière de voir les choses. Mais il me semble que les élèves ont davantage besoin d’enseignants au long court, construisant et renouvelant leur professionnalité sur le long terme, que de mercenaires momentanés. On peut évidemment se réjouir que le métier d’enseignant soit aligné sur les logiques et les contraintes des emplois privés. On peut cependant douter que cette évolution soit au bénéfice de la réussite des élèves, de tous les élèves, si tant est que cela constitue encore un objectif pour l’exécutif.
Pour finir on peut se demander quel sera le devenir des étudiants, titulaires d’un master MEEF, qui ne trouveront aucun poste à l’issue de cinq années d’études post-bac ? On peut imaginer la pression sur les étudiants de master, devant préparer dossiers et auditions pour les multiples postes, dans leur académie ou ailleurs, qui pourraient se révéler ouverts au recrutement. Il est clair que tels qu’ils sont actuellement conçus, ces masters ouvrent peu de débouchés, en dehors des métiers de l’enseignement. Les concours nationaux ont l’avantage de fixer une étape, même si leur report en seconde année de master, depuis 2019, laisse beaucoup d’étudiants sans perspectives, après 5 années d’études. Il reviendra sans doute aux ESPE de réguler en amont, en fonction des perspectives locales d’emploi, les capacités d’accueil des masters. Une manière de déléguer à l’université, de manière précoce, la sélection des futurs enseignants.
Il est tout de même curieux qu’un universitaire comme M. Delignières soit aussi peu au fait de ce qui se passe ailleurs qu’en France. Les concours dont il se fait le chantre sont presque uniques dans le monde (en dehors des systèmes soviétisés…). Et l’absence de concours à la française n’inclut pas automatiquement la fin du statut national des enseignants (voir l’Allemagne, l’Autriche et beaucoup d’autres systèmes, même si le statut des enseignants n’est pas forcément partout celui de fonctionnaire – il y a même chez des voisins deux statuts et l’on peut changer de statut pendant une carrière). Ce qui est rassurant chez le collègue Delignières, c’est qu’il ne nous sort pas la rengaine de la qualité garantie par les concours – il y a quand même en France une quantité de CAPESien(ne)s et Agrégé(e)s d’une nullité remarquable… Le concours à la française est une exception ce qui ne le rend pas forcément exceptionnel…