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Les concours de recrutement avancés en fin de Licence ?

La réforme de Jean-Michel Blanquer, repoussant les concours de recrutement en seconde année de Master, n’aura pas fait long feu… Pap Ndiaye avait déjà évoqué un concours plus précoce en juin 2023, quelques semaines avant son éviction du ministère, et Gabriel Attal a confirmé cette semaine que le ministère travaillait sur l’hypothèse du placement des concours en troisième année de Licence (Ben Hamouda, 2023a). Les lauréats du concours intégreraient ensuite une formation de master, comprenant 25% de stages d’observation en première année et 50% de stages en responsabilité en seconde année. Les étudiants auraient le statut d’élève-professeur en première année, et de fonctionnaire stagiaire en seconde année, et seraient rétribués en conséquence. Ces propositions devraient être mises en œuvre à la session 2025.

Tergiversations sur le placement des concours

Il faut revenir rapidement sur l’histoire chaotique de la mastérisation et des concours de recrutement. Les masters « enseignement » ont été créés en 2008/2009, sur un fond de concurrence entre les Instituts Universitaires de Formation des Maîtres (IUFM) d’une part, et les facultés disciplinaires des universités d’autre part. L’objectif affiché était de hausser le niveau de formation des enseignants ; le concours qui auparavant était situé en première année d’IUFM est alors renvoyé en dernière année de master. A partir de la session 2015, le concours est ramené en première année de master, puis reporté à nouveau en master 2 à partir de la session 2022. Décisions annoncées à chaque fois avec conviction (on se souvient de la déclaration péremptoire de Blanquer affirmant que le concours avait « vocation » à se situer en seconde année de master…), mais dont la versatilité amène à douter de la solidité de leurs fondements politiques.

Dès 2012, j’ai défendu une hypothèse alternative, plaçant les concours avant l’entrée en master soit durant la dernière année de Licence (Delignières, 2012a, 2012b, 2013, 2018). Cette proposition était à l’époque également défendue par le groupe « Reconstruire la Formation des Enseignants » (GRDFE, 2012). Les arguments sous-tendant cette proposition étaient principalement liés à la nécessité de déconnecter la procédure de (pré)recrutement et celle de la formation professionnelle (Dubet, 2014). Placer le concours en Licence permettait de consacrer pleinement les deux années de master à une formation professionnelle en alternance, pour des étudiants assurés d’être titularisés s’ils obtenaient leur master. Il s’agissait donc d’éviter de « polluer » une année du master (la première ou la seconde), par la préparation du concours. Il s’agissait également de sécuriser le parcours des étudiants (qui devaient logiquement être rémunérés durant leur master), et d’éviter d’amener des cohortes d’étudiants à Bac+5, qui en cas d’échec au concours ne conserveraient de ce long parcours universitaire qu’un master ne présentant que peu d’atouts sur le marché de l’emploi.

Les véritables motifs de cette proposition

On pourrait évidemment se réjouir de voir enfin cette solution envisagée. Néanmoins, les motifs qui ont présidé à cette nouvelle orientation du ministère semblent bien différents de ceux qui nous animaient voici dix ans. Nous visions à l’époque une formation d’excellence, alliant expérience professionnelle et formation universitaire, appuyée sur la recherche, destinée à faire des enseignants de véritables ingénieurs pédagogiques, capables de construire des procédures prenant en compte toute la complexité des situations qu’ils pouvaient rencontrer dans l’exercice professionnel. La proposition actuelle semble plutôt motivée par le souhait de former de simples et dociles exécutants des prescriptions ministérielles, décrétées nationalement sur la base de « données scientifiques ».

Les messages envoyés depuis la dernière rentrée par l’exécutif laissent peu de doutes à ce sujet. La volonté exprimée par Emmanuel Macron de « revenir » au système des Écoles Normales, avec un recrutement post-baccalauréat est à ce titre révélatrice. Le Président estime ainsi que « certains de nos enseignants rentrent après un cursus universitaire qui est totalement disproportionné et parfois décorrélé de ce qu’ils vont faire » (Ben Hamouda, 2023b). Tout est dit dans cette citation. Un cursus à bac+5 serait complètement surdimensionné par rapport à la réalité des missions enseignantes. Gabriel Attal confirme quelques jours plus tard souhaiter « inventer les écoles normales du XXIème siècle qui puissent former des élèves après le bac » (Jarraud, 2023). Il est clair qu’il s’agit à terme de dessaisir l’université de la formation des enseignants pour la confier à des Écoles pilotées par l’Éducation Nationale. Ce qui revient à considérer l’enseignant comme un simple technicien.

Les dernières propositions du ministre restent en demi-teinte par rapport aux envolées rétrogrades du mois dernier. Elles n’évoquent plus ce projet d’Écoles Normales, et la mise en œuvre du dispositif serait prise en charge par les INSPE. Au-delà des effets de manche et des déclarations péremptoires, il n’est sans doute pas si facile de démanteler des institutions qui fonctionnent… Mais il est clair que ces propositions doivent être comprises dans ce contexte idéologique visant à caporaliser le corps enseignant : la formation de personnels dociles, tout juste habilités à appliquer les injonctions du ministère, privés de toute liberté pédagogique. Les déclarations de Gabriel Attal, depuis sa nomination, indiquent clairement la voie (manuels uniques, labellisés par la rue de Grenelle, méthodes pédagogiques imposées, etc.).

Quelques questions en suspens…

Cette anticipation des concours, qui devrait donc entrer en application pour la session 2025, soulève un certain nombre de questions, sur lesquelles on n’a encore aucune information :

Quelle sera la nature de ce concours précoce ? On ne peut guère imaginer qu’il conserve les contours des concours actuels, et il ne pourra certainement pas évaluer des compétences professionnelles. Sera-t-il centré sur la maitrise disciplinaire, sur un entretien de motivation ?

Quelle sera la place de la préparation au concours dans le cursus de la Licence ? Le ministre évoque l’insertion dans les maquettes d’un « module » de préparation. Ce type de proposition dénote une méconnaissance totale de ce qu’est un diplôme universitaire (on peut d’ailleurs s’étonner de l’absence de la ministre de l’Enseignement Supérieur lors de l’annonce de ce projet), mais aussi de l’investissement que représente pour un étudiant la préparation d’un concours national. Dans le cadre du CAPEPS, un concours qui ne souffre pas de la crise des vocations, la préparation au concours occupe à temps plein les étudiants. Ce n’est pas un « module » (terme qui n’a par ailleurs aucune existence dans les universités) qui pourra satisfaire les besoins des candidats. Par contre, leur intérêt vis-à-vis des autres unités d’enseignement du diplôme risque d’en pâtir quelque peu.

Par ailleurs, une licence est habilitée sur un exposé des compétences qu’elle est censée conférer à ses titulaires. Dans les études de STAPS, la licence atteste de compétences d’intervention auprès du public et permet l’obtention d’une carte professionnelle. Quelle sera la valeur de ce diplôme si la dernière année n’a été consacrée qu’à la préparation d’un concours, et surtout si cette préparation a été sanctionnée par un échec ? Le problème se pose déjà actuellement au niveau des master MEEF. Il se posera avec une acuité encore plus prégnante au niveau de la licence.

Quel sera le statut des stages réalisés par les étudiants lors du master ? Sera-t-on dans le cadre d’un accompagnement universitaire de la formation professionnelle, ou les étudiants ne seront-ils que des « moyens d’enseignement », suppléant çà et là aux absences ou indisponibilités des enseignants titulaires, sans plus de considérations sur les exigences d’une formation en alternance (éloignement de l’établissement et du lieu de formation, continuité de l’expérience professionnelle, etc.).

Enfin on peut évoquer les difficultés liées à la période transitoire entre le dispositif actuel et ce qui est projeté. Si le concours est ouvert aux étudiants inscrits en troisième année de Licence, il ne pourra être interdit à ceux qui ont déjà entamé ou même achevé un cursus de master, et ont déjà préparé le concours. La concurrence risque d’être rude pour les premiers…

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On aura compris qu’au-delà de la question du positionnement du concours, c’est une évolution profonde de la formation des enseignants qui se joue, et une redéfinition de leurs missions. C’est la perspective d’une École sous contrôle, verrouillée par les prescriptions du ministère, centrée sur l’apprentissage de savoirs fondamentaux, misant davantage sur le formatage des élèves que sur leur émancipation.

 

Références

Ben Hamouda, L. (2023a). Recrutement des professeurs : le ministère dévoile ses pistes. Le Café Pédagogique, 10 novembre 2023.

Ben Hamouda, L. (2023b). Macron à Orange : Et encore des annonces. Le Café Pédagogique, 4 septembre 2023.

Delignières, D. (2012a). La formation des enseignants à l’université. Site personnel, 26 avril 2012.

Delignières, D. (2012b). Mastérisation et formation des enseignants: Plaidoyer pour un pré-recrutement en Licence. Blog Educpros, 17 novembre 2013.

Delignières, D. (2013). Formation des enseignants et concours de recrutement. Blog Educpros, 6 janvier 2013.

Delignières, D. (2018). Formation des enseignants : pour un concours en fin de Licence, Blog Educpros, 20 juin 2018.

Dubet, F. (2014). « Recruter les profs à bac+5, c’est une erreur ». L’Obs, 14 juin 2014.

GRDFE (2012). Reconstruire la formation des enseignants. Site du CRDFE, 21 novembre 2012.

Jarraud, F. (2023). Attal : « Gagner la bataille du niveau » avec les idées d’avant-hier. Le Café Pédagogique, 6 octobre 2023.

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