Cette semaine s’annonce chargée pour l’enseignement supérieur français. Entre les sessions d’examens (et la correction de ceux-ci), la campagne de recrutement qui bat son plein ou la saison des conférences qui pointe le bout de son nez, le monde académique s’impatiente de connaître le nom du successeur de Thierry Mandon, secrétaire d’état en charge du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. Etant donné le profil politique d’Emmanuel Macron, il est difficile à l’heure actuelle de faire une prédiction. Toutefois, il ne serait pas improbable que l’attribution des postes ministériels fasse la part belle aux experts plus qu’aux personnalités ayant principalement eu une carrière dans le monde politique, un peu à l’image de l’équipe ministérielle de Justin Trudeau au Canada ou, dans un contexte politique très différent, de Mario Monti en Italie. Un médecin futur ministre de la santé ? Un entrepreneur à la tête du nouveau ministère de l’économie ? Un professeur pour le ministère de l’enseignement supérieur ?
On peut se demander quels sont les critères à prendre en compte lorsqu’il s’agit de nommer un ministre en charge d’un secteur aussi important pour le développement et la croissance du pays. L’enseignement supérieur et la recherche constitue un secteur particulier à administrer. Il se compose de multiples strates enchevêtrées (CNRS, universités, grandes écoles, UMR, centres de recherche, etc.) aux compétences non-exclusives disposant de plus ou moins d’indépendances face à leur ministre de tutelle. Des spécificités telles l’évaluation par les pairs, la liberté académique ou le processus de prise de décision qui donne beaucoup de pouvoirs à ses multiples parties prenantes (enseignants, chercheurs, corps administratifs, étudiants, etc.) peuvent paraître complexes, voire même absurdes, à l’oeil non avisé. Une expérience en immersion dans ce mille-feuille institutionnel peut dès lors s’avérer utile au moment de designer le ou la ministre de l’enseignement supérieur.
Dans un article publié dans la revue Research Policy*, nous montrons que le choix du ministre de l’enseignement supérieur n’est pas anodin. En particulier, le parcours professionnel de la personne en charge peut se révéler un facteur important à prendre en considération. En mettant en relation les caractéristiques des ministres de l’enseignement supérieur européen en poste lors des quinze dernières années avec une mesure de performance de l’enseignement supérieur, basé sur le critiquable mais non moins influent classement de Shanghai, nous observons un lien positif entre les ministres ayant eu une expérience dans l’enseignement supérieur (en tant que professeur, doyen ou président d’établissement) et la performance du système. Les pays dans lesquels le ministre avait l’expérience du monde académique et de la recherche obtiennent de meilleurs résultats en termes de recherche. N’observant aucun lien entre cette expérience et le financement accordé au secteur, nous concluons que les ministres avec ce profil professionnel ont tendance à mettre en place des réformes améliorant le fonctionnement du système.
A partir de ce constat, nous pouvons avancer plusieurs explications à cette relation positive. Les années d’expérience dans l’enseignement supérieur et la recherche permettent l’acquisition d’une connaissance fine du terrain, de ses multiples constituantes et du contexte, de plus en plus international, dans lequel il évolue. En plus de cette expertise, elles ont également facilités l’acquisition de compétences utiles au travail de ministre comme des compétences pédagogiques ou de gestion d’équipe/de projets. Ensuite, ce passé académique signale aux parties prenantes du secteur que le nouveau ministre dispose des aptitudes requises à une telle position et qu’il possède des valeurs propres au secteur, de là découlera une forme de légitimité aux yeux du monde académique. Il suffit de s’imaginer le cas inverse de la réaction du monde de l’enseignement supérieur suite à la nomination d’un ministre de l’enseignement supérieur sans parcours académique pour comprendre pourquoi. Finalement, les réseaux internes au monde de l’enseignement supérieur créés à travers cette expérience peuvent s’avérer être un capital social utile pour la mise en oeuvre de réformes adéquates mais pas toujours facile à appliquer.
Cette conclusion quant à la relation entre expérience académique du ministre en charge et performance de la recherche doit cependant être nuancée. Nous montrons également que cette expérience académique, seule, n’est pas suffisante. On s’aperçoit que cette expérience est d’autant plus effective qu’elle est couplée à une expérience politique préalable; que ce soit au niveau local ou national. Lors de la nomination du ministre en charge de l’enseignement supérieur, il est dès lors important de considérer l’expérience dans le secteur en question ainsi que sa crédibilité électorale.
Ces résultats nous enseignent quelques éléments à prendre en compte lorsqu’il s’agit de designer un ministre en charge de la recherche. Les questions internes au futur gouvernement (équilibre territorial, parité ou de représentation des différentes franges du parti ou la perspective des législatives) ne devront pas occulter complètement l’importance cruciale des expériences académiques et politiques du candidat. A l’heure où l’enseignement supérieur doit plus que jamais jouer son rôle d’ascenseur social et de moteur d’une croissance soutenable, ces caractéristiques peuvent jouer un rôle majeur dans la mise en place de réformes adéquates pour le secteur.
Les sources de cet article :
Julien Jacqmin et Mathieu Lefebvre (2016) Does sector-specific experience matter? The case of European higher education ministers, Research Policy, Vol. 45, Issue 5, p. 987-998.
Lien vers la version protégée du papier: http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0048733316300117
Lien vers la version accessible du document de travail : http://orbi.ulg.ac.be/handle/2268/187391
Les auteurs de cet article :
Julien Jacqmin est chargé de cours à HEC-Liège/ Université de Liège où il enseigne l’économie politique et l’économétrie appliquée. Ses recherches portent sur le secteur de l’énergie et de l’enseignement supérieur.
Mathieu Lefebvre est maitre de conférence au BETA / Université de Strasbourg. Il y enseigne la microéconomie, l’évaluation des politiques publiques et l’économétrie appliquée. Dans ses activités de recherche, Mathieu s’intéresse à l’évaluation des politiques de vieillesse et à l’économie expérimentale.