Trop excellente pour débuter une thèse ? Témoignage de Sophie Perrin

Ashraf et Duck

Ashraf et Duck

Sophie Perrin a effectué une reprise d’études en anthropologie, à Lyon, et obtenu le master recherche mention très bien avec 18/20 et un prix scientifique de la CNAF (Caisse Nationale des Allocations Familiales) pour son mémoire de master « l’inceste : consistance du silence ».
Elle a néanmoins été empêchée de poursuivre en thèse, puis a subi une suite de procédures judiciaires pénales qui continuent encore aujourd’hui, à l’initiative des personnes ayant joué un rôle important dans sa mise à l’écart de l’accès au doctorat. Ces procédures sont en réponse à ses actions de protestation qui consistaient en courriels comportant des extraits de ses travaux de recherche, des saynètes satiriques, et un résumé de sa situation. Pour les plaignants, ces courriels constituaient du « harcèlement moral » envers eux…

 

Doctrix : Vous signez vos mails par cette phrase « L’excellence ? Ils.elles n’en mouraient pas tous, mais tous étaient frappés… », depuis quand et pourquoi ?

 

Sophie Perrin : Depuis environ 2011, soit en plein au moment où mon éviction du monde universitaire se confirme : je deviens « persona non grata » auprès de la plupart de mes anciennes connaissances et « ami.e.s » (une minorité cependant, me fréquente tant que cela ne se voit pas… certain.e.s profs m’ont même invitée dans leur bureau pour échanger des nouvelles…en me faisant soigneusement fermer la porte avant pour ne pas être vu.e.s avec moi !).

C’est aussi le moment où, sur la plupart des listes mail universitaires que je fréquente, je vois disparaître l’énergie de fond, celle qui provoque des débats politiques et de société sur ces listes, y fait échanger sur la lutte pour une université formatrice d’esprit critique. Il n’y a plus d’échanges, mais juste une liste de colloques, publications, soutenances, etc, sans débats. Elles deviennent des listes d’information.

Pour moi, « l’excellence » qui a été promue par les réformes Pécresse-Fioraso est une imposture : elle nous frappe tou.te.s, dans nos capacités à faire une vraie recherche. Elle nous frappe tou.te.s dans nos capacités à entrer en relation avec les autres dans le monde de la recherche. Elle remplace la discussion et l’entraide par un jeu de chaises musicales où il n’y a que des perdant.e.s in fine.

Je regarde cela depuis l’extérieur du campus, où je suis interdite d’accès depuis novembre 2010 par arrêté du président de l’université pour…avoir envoyé des mails.
Je suis morte universitairement, cette excellence et ce qu’elle engendre, me tue. Et frappe tout autour.

Durant l’automne 2011, je regarde cela depuis l’extérieur du campus : je suis devant les grilles, où je distribue le tract expliquant pourquoi dedans, il y a un rassemblement « contre l’IDEX ». Je vois la police tout autour : CRS, etc. J’informe les gens du rassemblement par SMS. Eux.elles, sont en train de tenter d’envahir le CA, qui vote sur l’IDEX : comme la première fois le vote n’a pas donné le bon résultat, le président, le même qui m’interdit d’entrer, fait revoter le CA sur ce même sujet.

Eux.elles ont compris : c’est un simulacre de démocratie, il faut envahir le CA pour que ça ne se produise pas.

Lui, a compris : il a embauché des vigiles privés, qui les tapent et leur envoient, en espace clos, à bout portant, de la lacrymo sur la tronche.

L’excellence façon Pécresse-Fioraso, c’est ça : des facs où l’on crée un climat de peur, de soumission, de servilité, de peur encore. Avec les CRS autour, les vigiles armés de lacrymos dedans. Et les grilles pour séparer. Et dans les grilles, d’autres grilles pour séparer : toi, tu seras rang A, toi, rang C.

Frappé.e.s : aussi au sens propre, par les matraques et les poings, pour démolir le partage de la Culture à tou.te.s, replier la recherche sur une tour d’ivoire d’entre soi, avec moi et les autres interdit.e.s d’entrer dans la tour d’ivoire.

Vulgum pecus…

 

J’ai vu ceci se faire depuis 2009-2010 : dans ma faculté, l’ambiance avait changé, était moins conviviale. Surtout, tout était devenu creux. Il n’y avait plus que des échanges creux et carriéristes. C’était triste. Et effrayant, aussi, ce changement.

« Bonjour, tu travailles sur quoi ? » – et mon interlocutrice de décrire avec des mots creux et savants pour bien briller, ce qu’elle étudie.

Souvenir de vers la fin du mouvement de 2009 : un étudiant du mouvement, dans la cour du campus des quais du Rhône. Une guitare. L’étudiant, rageusement, fracasse la guitare sur le sol. La fracasse encore. Et encore. Jusqu’à ce qu’elle meure en tant que guitare, et devienne un tas de bois et de cordes.

Souvenir d’un vieux livre, lu récemment alors : Georges Devereux, expliquant la déculturation par une image. La déculturation ? C’est, dit-il, par exemple, quand on prend un violon pour bois de chauffage.

Par terre, devant l’étudiant, ne reste que du bois de chauffage.

Défaite insupportable. Auto-destruction ?

L’excellence ? Ils n’en mourraient pas tous, mais tous étaient frappés…

 

Mais en quoi consiste cette excellence, frappante et desctructrice, créée par les réformes Pécresse-Fioraso ?

 

La phrase de départ est issue de la fable de Lafontaine, « les animaux malades de la peste », et il s’agit de la peste, dont ils ne mourraient pas tous, mais tous étaient frappés.

Le lion y explique que probablement, c’est pour les punir tous d’un péché commis par l’un d’eux, que le Ciel leur envoyât la peste,

 

« Le Lion tint conseil, et dit : Mes chers amis,

Je crois que le Ciel a permis

Pour nos péchés cette infortune ;

Que le plus coupable de nous

Se sacrifie aux traits du céleste courroux,

Peut-être il obtiendra la guérison commune. »

 

Tous se justifient de leurs actes les plus vils avec éloquence et force effets de manche. C’est le baudet qui paiera pour tous, car il a, seul, parlé en toute honnêteté de ses petits grignotages d’herbe. La fable conclut :

 

« Sa peccadille fut jugée un cas pendable.

Manger l’herbe d’autrui ! quel crime abominable !

Rien que la mort n’était capable

D’expier son forfait : on le lui fit bien voir.

Selon que vous serez puissant ou misérable,

Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir. »

 

L’excellence créée par les réformes Pécresse-Fioraso, c’est cela : selon que vous serez puissant ou misérable, vous serez excellent ou pas. Vos financements dépendent de votre capacité à faire des effets de manche, et non d’une logique de service public au service du bien commun.

 

Pendant ce temps, haro sur le baudet : je suis la guitare. On me fracasse dans la cour.

Lui là, peu avant moi, durant sa soutenance de thèse, se fait torpiller par celui-là même qui l’introduisait dans une discipline connexe importante pour sa thèse : il est la guitare. On le fracasse dans la cour. Stupeur du public devant l’assassinat universitaire auquel il assiste. Le directeur de thèse accuse le coup, l’air impassible…

Lui là, en train de taper frénétiquement son CV analytique sur son ordi ultra portable pendant le colloque. Me chuchote à l’oreille, commentant une intervention de mon directeur de travaux qui explique que le capitalisme provoque de la déculturation : « On ne peut pas dire ça en tant que scientifiques ! Il est fou ! ». Celui qui est « fou » est la guitare, on le fracasse dans la cour.

 

Chaque jour, l’excellence détruit la recherche, là où l’entraide et l’émulation la nourrissaient.

C’est l’excellence, qu’il faut fracasser dans la cour.

 

Ah…j’oubliais : une précision sur le contenu de mon dossier pénal.

 

« Eux.elles ont compris : c’est un simulacre de démocratie, il faut envahir le CA pour que ça ne se produise pas.

Lui, a compris : il a embauché des vigiles privés, qui les tapent et leur envoient, en espace clos, à bout portant, de la lacrymo sur la tronche. »

 

La fac a fait mettre ses plaintes et déclarations à la police concernant ces rassemblements et envahissements de CA comme pièces à charge dans le dossier pénal de la seconde procédure à mon encontre.

 

Il y est expliqué que les étudiants avaient des bâtons de bambou à la main, avec lesquels ils tapaient en cadence dans les locaux, et qu’ils ont craché dans ces mêmes locaux de la présidence.

Montrant ce dossier à l’un des participants des envahissements, je vois ses yeux ronds devant les mensonges dont il ne soupçonnait pas l’ampleur. Puis : « ah ça par contre c’est vrai : on a craché ».

« Hein ? »

« Ben, oui, on avait tellement de lacrymos dans la figure, qu’on ne faisait plus que cracher ».

 

Donc cela, c’est une pièce à charge contre l’étudiante syndicaliste Sophie Perrin, après l’avoir été contre eux…

 

Doctrix : Cette phrase « L’excellence ? Ils.elles n’en mouraient pas tous, mais tous étaient frappés… » apparaît-elle dans tous les mails de toutes vos boites mails ou uniquement dans les mails à destination des chercheuses et chercheurs ?

 

Sophie Perrin : C’est un élément de ma signature de chercheuse et, à ce titre, il apparaît dans la boîte mail que j’utilise en tant que chercheuse…

 

Les autres boîtes mail, ce sont des alias de circonstance, créés suite au blocage, illégal et pénalement délictueux, de mon adresse mail effectué sur le serveur de l’université Lyon 2 dès fin septembre 2010 (un délit laissé dans l’impunité par le Parquet malgré ma plainte).

 

 

Doctrix : Qu’est-ce qui a fait que vous avez décidé de rendre publique votre situation ?

 

Sophie Perrin : En fait, je n’ai jamais décidé de cela, mais ça s’est fait peu à peu. Tout a commencé le jour de ma soutenance, moment où l’on m’apprend que « les professeurs émérites ne peuvent diriger de nouvelles thèses » (ce qui est faux, et la jurisprudence administrative le confirme, comme je l’ai appris par la suite). Personne ne m’avait avertie auparavant d’une telle interprétation des textes dans cette école doctorale. Puis le nouveau directeur de l’école doctorale, un professeur issu de ma discipline, ajoute qu’il n’acceptera aucun dossier de candidature aux contrats doctoraux ministériels « incomplet » ou « rendu en retard ». Or, il savait pertinemment qu’il me manquait un document pour que mon dossier à moi soit complet : mon relevé de notes définitif, et ce, du fait d’une double correction que j’avais demandée précisément sur sa correction à lui me concernant. Tant en master 1 qu’en master 2, mes seules notes en anthropologie inférieures à 14/20 lui étaient dues : 8 en master 1, et 9 en master 2… Et c’est pour ce motif (dossier rendu en retard, complet), qu’il a donc refusé de me faire convoquer pour le concours des contrats doctoraux ministériels. Il a également refusé tout rendez-vous, sauf le lendemain de l’attribution de ces contrats…rendez-vous auquel il n’est même pas venu !

 

C’est alors que, en désespoir de cause, j’ai envoyé mon dossier, par courriel, à tous les membres du jury, pour leur montrer ce qu’ils avaient été empêchés d’examiner. Puis, les jours suivants, devant leur absence totale de réaction, j’ai envoyé des extraits de mes travaux de recherche.

 

J’ai, très graduellement, étendu l’information à une ou deux nouvelles personnes à chaque nouvel extrait de mes travaux de recherche que j’envoyais par mail. Je ne sais pas à quel moment, du coup, on peut dire que c’est devenu « public ».

En fait, lorsque je citais les travaux de chercheurs dans mon extrait, en général, je les ajoutais à la liste des destinataires, et il y avait un point descriptif factuel de ce qui m’était arrivé. Ce qui fait que plus cela durait avant de trouver une solution, plus de monde était mis au courant (moi les syndicalistes m’ont toujours dit de monter en pression de manière graduée, j’applique). Assez rapidement, j’ai également intercalé des saynètes satiriques dans ces mails (une partie est visible sur le blog « les best of du CREA’tif » : http://crea-tifs.blogspot.fr/search/label/Les%20sayn%C3%A8tes%20du%20CREA%27tif).

Mon but était de faire réagir pour aboutir à ce qu’un comportement inacceptable cesse (éviction abusive de la possibilité de candidater). Et ça a assez bien marché puisqu’à la fin de l’été, le président de Lyon 2 avait vingt lettres types dans sa boîte mail, d’un ton très poli, envoyées par des chercheurs, des étudiants, des membres d’autres univers professionnels, de France et du Canada principalement, indignés par ma situation, et demandant que ce président me reçoive pour y trouver des solutions. Si bien que fin août 2010, le président dont je n’avais eu aucune réponse depuis mon courriel de juin à son attention, me fixe un rendez-vous pour le 10 septembre 2010.

Mais il y avait un piège, et le 2 septembre 2010, soit 8 jours avant l’entretien ainsi obtenu, tout mon travail de l’été a été retourné contre moi comme une crêpe : François Laplantine, mon directeur de thèse pressenti, envoie alors un courriel de désaveu à toute ma liste mail, plus tous ses réseaux de recherche à lui. Il m’y invite à « chercher un directeur de thèse au lieu de perdre mon temps à embêter les gens avec des mails ».

 

Or, tous ses réseaux, cela veut dire, concrètement, toute l’anthropologie francophone et lusophone : dès le 2 septembre 2010, « trouver un directeur de thèse ailleurs », c’était peut-être encore possible pour moi…dans l’anthropologie anglophone ?

 

Il faut remarquer que le renouvellement de l’éméritat de François Laplantine dépendait des enseignants titulaires d’anthropologie de sa Faculté, dont le nouveau directeur de l’école doctorale, alors en position influente…

 

C’est depuis lors, que je suis devenue une « folle furieuse hystérique » qui « harcèle moralement » un pauvre directeur d’école doctorale (qui n’avait alors aucun compte à régler avec mon directeur de thèse pressenti, ni avec moi, c’est bien connu), et mes mails, l’instrument de ce prétendu harcèlement (et non plus une forme d’action intelligente et efficace). Et que je « relève de la médecine »…
Harcèlement, je veux bien, si c’est comme le harcèlement des bateaux de pêche anglais par les gardes côte islandais durant les « guerres de la morue », qui ont abouti aux changements du droit maritime international concernant les zones de pêche que l’Islande réclamait…

Mais pas « harcèlement moral » : le harcèlement moral, c’est une technique de destruction.

 

Quant à la folie, ils ont par exemple écrit, pour la prouver, que je me « mettais en scène en train de dialoguer avec une panthère » dans mes saynètes ! Fait gravissime qui devrait valoir à tout narrateur s’incluant dans son récit un internement immédiat…?

 

 

Cependant, tout cela, ce n’est pas encore « rendre public ».

 

En fait, le premier « rendu public » est le communiqué cosigné FSE, LDH et jeunesses communistes, dénonçant le premier arrêté m’interdisant l’accès aux campus.

 

Ensuite, le second « rendu public » est mon affichage, sur les arrêts de tram proches des entrées de l’université Lyon 2 (où je ne pouvais désormais plus entrer), de l’arrêté d’interdiction d’accès, commenté par mes soins.

 

Il m’était, en effet, interdit de venir dans les campus où je venais de passer 4 ans, et cette interdiction a duré 2 ans et demi, jusqu’à l’annulation des arrêtés m’interdisant l’accès aux campus que j’ai obtenue en justice en mai 2013.

 

 

Les premiers « rendus publics » datent donc de décembre 2010 puis janvier 2011.

 

 

Doctrix : Qu’est-ce qui vous différencie des autres profils qui, dans des situations plus ou moins similaires ou éloignées, préfèrent se taire et/ou trouver des solutions ailleurs ?

 

Sophie Perrin : Une première chose, importante, c’est que je n’avais pas de solution « ailleurs » : la seule « solution » qui m’a été proposée, en 2011, lors d’une entrevue entre la présidence et les syndicats étudiants qui étaient présents autour de la première pétition (celle faite avant mon inculpation), c’était d’aller faire diriger ma thèse à Toulouse, « par Daniel Welzer-Lang qui a travaillé sur ces sujets »…or, il est de notoriété publique qu’existent des suspicions de harcèlement sexuel, par cette personne, envers des étudiantes qu’il a dirigé en thèse. En-dehors de cette « solution », rien ne m’a été proposé.

 

Au départ, en 2010, je n’avais pas de solutions « ailleurs », dans un premier temps, parce qu’il m’aurait fallu trouver un nouveau directeur de thèse durant la semaine et demie qui séparait ma soutenance, en juin, de la date butoir de rendu des dossiers pour candidater aux contrats doctoraux. Dossiers dans lesquels il fallait mentionner le nom d’un directeur de thèse « pressenti ».

 

Un autre élément était que pour moi, un directeur de thèse, ce n’est pas juste un produit interchangeable et jetable : c’est un engagement dans un projet sur la durée, dans une relation de travail, qui plus est ici sur un sujet difficile. Cela nécessite de pouvoir faire confiance à la personne, ce qui n’est pas évident, surtout quand on a peur et se méfie des gens qui ont du pouvoir comme c’était mon cas…

 

Dans le travail, il se crée aussi des relations d’attachement, qui peuvent être plus marquées quand on en a manqué soi auparavant. Et dans le seul discours qui m’était renvoyé alors, rien de tout cela n’était pris en compte : c’était comme s’il suffisait d’aller au supermarché choisir un produit de consommation remplaçable et interchangeable : le directeur de thèse. On m’a même proposé « untel », qui est « très cool » parce que « il te laisse libre »… libre comment ? En ne s’occupant pas du suivi de tes travaux…je connaissais « untel » à titre militant, et avais mon idée sur son rapport à ses étudiants. Il ne me convenait pas. Il m’aurait peut-être convenu si j’avais travaillé sur la fête à Bornéo, ou les manifestives à Lyon. Lui, était d’ailleurs d’accord avec moi : diriger mes travaux, cela aurait été trop de travail pour lui !

 

Enfin, un dernier élément était très important : j’étais salariée en reprise d’études. J’avais déjà testé le fait de travailler sur ce sujet sur mes soirées et mes week-ends, lors du bouclage de mon master 2. C’était infaisable : sur un sujet pareil, j’aurais terminé suicidaire, à procéder ainsi ! Il me fallait un temps pour en sortir, un temps de loisir : sinon, ce n’était, tout simplement, pas tenable.

 

Et donc, il me fallait être rémunérée pour mon travail de thèse, seul moyen de l’avoir comme travail, et de pouvoir garder des moments pour changer d’air !

 

Partir « ailleurs », c’était aussi, vu la situation en sciences humaines, perdre tout espoir de financement décent, malgré mes résultats. Et ça, le nouveau directeur de l’école doctorale le savait.

 

Une autre étudiante de ma promotion s’est retrouvée, au lendemain de sa soutenance, sans directeur de thèse, parce que son directeur de master l’a lâchée durant cette soutenance, après l’avoir encadrée de manière totalement fantomatique durant tout son master (cette étudiante aurait pu avoir de biens meilleurs résultats de master si elle avait eu un encadrement de la même qualité que le mien en master, pour son mémoire). Il n’avait tout simplement pas envie d’encadrer une thèse sur son sujet de recherche.

Cette étudiante s’est tue et a été « trouver des solutions ailleurs ».

 

Elle a fait, durant deux ans, le tour de tous les directeurs de thèse possibles en France. Mais sans aucune recommandation. Aucun n’était intéressé par son sujet de recherche. Elle a finalement trouvé en Suisse, dans une université à 600 euros de frais d’inscription par semestre ! C’était une personne originaire d’Europe de l’est, dont les parents se sont endettés pour financer les études à l’ouest. Pour financer cette somme, il lui fallait travailler…et travailler c’est autant de temps en moins pour faire sa thèse ! D’autant qu’il lui est impossible d’enseigner en Suisse pour des questions de nationalité et d’autorisation…donc accès uniquement à des « petits boulots » en France, peu rémunérateurs (smic horaire).

 

Son sujet, qui n’a pas intéressé les français, portait sur des problématiques qui se posent dans son pays d’origine, ravagé par la guerre. Elle a trouvé en 2012 cette solution, et aujourd’hui, 6 ans après, je n’ai pas trace d’une soutenance de thèse à son nom…voilà ce que veut dire « se taire et aller trouver une solution ailleurs », concrètement.

 

Maintenant, pourquoi a-t-elle réagi ainsi et moi différemment ?

 

Elle n’était pas française, ses papiers étaient précaires. Toute sa vie en France était précaire. J’étais fonctionnaire, j’avais déjà une place dans la société : j’étais en position de dénoncer ce qui m’arrivait sans compromettre tout mon avenir, car cet avenir n’était pas uniquement dépendant de l’Université. Ni de la Préfecture.

 

Et puis je trouvais ça tellement choquant, que ce soit possible, ce qui m’arrivait, que je l’ai dénoncé, pas seulement pour moi, mais aussi parce que j’avais conscience de comment cela pouvait être encore plus ravageur, pour une primo-étudiante, si cela lui arrivait à elle ! Moi, je pouvais parler, alors je l’ai fait !

 

Un autre élément est que j’ai probablement un rapport différent à « l’autorité » de celui

 

–         de primo étudiants

 

–         de non-syndicalistes

 

–         de personnes qui n’ont pas été maltraitées durant leur enfance ou jeunesse par des personnes détenant une « autorité ».

 

Pour moi, « l’autorité », c’était la directrice de mon école primaire qui m’a traitée, devant tout le monde, de « tête à claque », parce que j’étais trop lente et donc un boulet pour le groupe, dont je retardais, par ma lenteur à me changer, le retour à l’école après la piscine. Puis c’était le principal de mon collège, pour qui j’étais « folle » lorsque je fuyais la cantine sans terminer mon repas, pour pouvoir pleurer tranquillement, hors de vue, derrière le bâtiment, lorsque les autres élèves de ma table jetaient leurs détritus dans mon assiette exprès pour m’empêcher de manger.

 

Ce moment, le collège, m’a peut-être donné un courage que d’autres n’ont pas, et aussi une vision sombre et désabusée de l’humanité, où les gens qui désapprouvent un mauvais traitement y participent tout de même, parce qu’ils veulent garder leur place dans le groupe dont le leader impulse ce « loisir » si divertissant, plutôt que d’encourir la mise à l’écart. De fait, je me fiche de garder une place dans un groupe : s’il y a une injustice, je réagis beaucoup plus vite, souvent sans cette « lâcheté » là. Tous les matins, je devais aussi avoir le courage de me rendre dans un lieu où l’on allait me cracher dessus, voire me viser avec des projectiles ou me frapper, avec l’aval de « l’autorité » car j’étais « folle »…

 

Enfin, « l’autorité », c’était mon père, et ce qu’il en faisait…usus et abusus…j’ai porté plainte contre lui en 2002, à 26 ans : plainte classée sans suite sans même qu’il soit convoqué au commissariat car il était trop tard (prescription des faits).

 

Donc je respecte l’autorité, si elle se comporte d’une manière qui inspire le respect. Mais l’autorité abusive, je la dénonce et je ne me laisse pas faire. Ainsi, au lycée, l’équipe de direction était très bien, en revanche.

 

Pour moi, l’important, c’est le respect des règles, et pas celui du pouvoir : une autorité, son rôle, c’est d’être garante du respect des règles décidées en commun, pas de stigmatiser ou discriminer des gens. Pas de dévoyer ces règles. Pas d’abuser des prérogatives qui lui ont été confiées.

 

Les réactions de collaboration lâches que j’ai alors rencontrées de la part de personnes, étudiants de ma promo ou militants « dépendants de Lyon 2 pour quelque chose », m’ont rappelée à mes constats faits au collège sur le côté à vomir de l’humanité, dont cet aspect me dégoûte toujours aussi profondément.

 

Le syndicalisme salarié donne aussi un cadre aux rapports avec une « direction », qui est moins infantile que celui « étudiant/Professeur ». On apprend à créer un rapport de force, à négocier, pas uniquement à se taire et subir le pouvoir du Monsieur…

 

Mais après avoir dit tout cela, il me faut préciser un dernier élément : une erreur d’appréciation.

En effet, durant l’année 2010, la suite était inimaginable pour moi. L’automne 2010 était inimaginable pour moi. Si j’avais pu anticiper ce qui s’est finalement passé, et qui à l’époque était encore ahurissant et incroyable, je me serais peut-être tue, comme les autres !

 

L’automne 2010, de mon côté, ça a été : la censure de mes mails sur le serveur de l’université (acte délictueux, revendiqué par l’université dans ses écrits produits en justice, et pour lequel j’ai porté plainte, mais en vain, le Parquet classant mes plaintes sans suite). Puis les menaces de violences physiques (par un doctorant puis un vigile), l’interdiction d’accès aux campus (qui a duré deux ans et demi avant d’être annulée suite à ma requête au tribunal administratif !), la plainte pénale en décembre 2010, envoyée au même moment que la lettre du président, André Tiran, de Lyon 2, au maire de Lyon lui suggérant d’user de ses prérogatives lui permettant de m’interner !

 

Du coté des mouvements sociaux, et le parallèle n’est pas anodin, ça a été : l’attitude du président de Lyon 2 par rapport aux étudiants mobilisés durant ce même automne contre la réforme des retraites, l’attitude de la police envers les jeunes mobilisés sur cette question, en ville (c’est la première « nasse »), l’ambiance et les discours de criminalisation des grévistes par les promoteurs de cette réforme des retraites, avec le discours de Brice Hortefeux à Lyon, la veille de la nasse. Un discours ahurissant, alors inédit, nous transformant en délinquants !

 

L’évolution de ma situation s’est inscrite dans cette temporalité et dans ce mouvement global.

 

A partir de cet engrenage de l’automne 2010, ma seule manière d’en sortir, c’était de faire face : cela, je le voyais très bien, cependant qu’autour de moi, des gens naïfs sur les intentions de mon adversaire pensaient que je ferais mieux de me faire « oublier », ou de fuir la situation.

La réalité, c’est que si je fuis la situation, le service juridique de l’université appelle le Parquet pour obtenir un nouveau procès… ! Comme c’est, précisément, le cas aujourd’hui.

 

 

Doctrix : Pourquoi avez-vous voulu faire de la recherche ?

 

Sophie Perrin : En fait, cela ne s’est pas posé comme ça. Je suis de trop basse extraction sociale pour m’être dit un jour « tiens, et si je faisais de la recherche ? ».

Non. Ca, c’est plus fréquemment les enfants de chercheurs ou de cadres, qui s’en imaginent d’emblée capables.

Je me suis juste dit « tiens, maintenant que je suis fonctionnaire, et si j’utilisais mon droit à congé formation rémunéré pour reprendre des études sans avoir à me soucier de leurs débouchés professionnels immédiats ? ».

 

Lors de mes premières études, comme j’étais partie de chez mes parents à 18 ans, j’étais dans la  misère, j’étudiais dans l’angoisse d’être à la rue le mois suivant, sans arrêt. C’était de très mauvaises conditions d’études. J’ai choisi une filière générale mais celle qui avait le plus de débouchés professionnels possibles derrière : maths. J’ai fait un deug mass (maths appliquées et sciences sociales), qui me donnait l’accès de plein droit à la licence maths pures – actuelle L3 – et aussi à la licence socio – actuelle L3 socio). Puis j’ai fait la licence de maths, ce qui m’a permis de sortir de la misère en faisant des vacations de prof de math dans le secondaire…tout en préparant le CAPES et d’autres concours.

J’ai eu un autre concours, mais pas le CAPES.

 

Au bout de trois ans en tant que fonctionnaire, on peut prendre un congé formation rémunéré, ce que j’ai fait, et j’ai négocié, sur la base de mon deug mass et des équivalences avec l’accès de plein droit en L3 sociologie, un accès direct en L3 anthropologie à Lyon 2. Au départ, le projet, c’était de faire une licence d’anthropologie, point.

Puis ça s’est bien passé, j’ai eu de bonnes notes, l’ambiance était agréable…j’ai eu envie de continuer, c’était encourageant. Et c’était plaisant d’étudier sans avoir à se soucier du loyer du mois à venir (« vais-je être à la rue demain ? »), et en ayant, tout simplement, les moyens financiers d’acheter les livres.

En master 1, il fallait faire un mémoire et donc trouver un thème de recherche. C’est à ce moment-là, en fin de licence, que j’ai pensé à ce thème de recherche, et trouvé un encadrant OK pour me diriger sur ce sujet.

En master 1, je me suis rendue compte, en le faisant, que j’étais capable de construire un travail de recherche qui tenait la route…et comme on m’a mis 18, je me suis dit que peut-être, en fait, je pouvais aller plus loin et en faire un métier.

J’ai donc soldé mes derniers droits à congé formation rémunéré pour faire le master 2 recherche, là dans l’optique d’entrer ensuite en thèse. Je précise que durant tout mon master, j’étais en congé formation à mi-temps, et l’autre mi-temps, j’étais au travail : je n’étais pas étudiante à plein temps.

 

 

Doctrix : Souhaitez-vous toujours faire de la recherche, et comment ?

 

Sophie Perrin : Je souhaite toujours en faire, mais pas dans un climat pourri où l’important, c’est de l’avoir plus long(ue) que le voisin (le cv analytique bien sûr 😉 ). La tour d’ivoire universitaire m’intéresse aussi assez peu, avec ses petits chichis et réseautages où vous êtes « intéressant » tant que vous êtes influent dans ce petit monde, et jeté à la poubelle dès que vous êtes mis en position de faiblesse.

Moi ce qui m’intéresse, c’est de produire de la connaissance qui puisse, sur ce sujet, s’inscrire ensuite dans le cadre de politiques publiques, d’une part, donc il y a un aspect « utile » de la connaissance, concret, et d’autre part, de (r)établir un dialogue entre recherche et « objets » de cette recherche, donc ouvrir cette tour d’ivoire pour que les gens sur lesquels sont produites des connaissances puissent voir à quoi on sert, et si ça leur est utile…ou pas…et le dire.

Ce n’est pas vraiment le sens actuel des réformes de l’université et du monde de la recherche…mais en même temps, sur ce sujet précis de l’inceste, il commence à y avoir un lobbying associatif suffisant sur la question des violences sexuelles incestueuses pour que le CNRS explique qu’il est important de financer de nouvelles recherches sur le sujet !

 

Le réseautage avec d’autres chercheurs.euses a son utilité pour discuter de la recherche, mais pour le reste, ça ne m’intéresse pas ! Le formatage actuel de la recherche, où plus rien d’original ne peut finalement être produit, me dégoûte et me donne envie de fuir. Les colloques où les seuls à apporter des interventions ayant un réel contenu, sont les jeunes non titulaires, et avec des interventions chiadées et de haute qualité, cependant que les vieux titulaires sortent un speech préparé à la hâte, sans contenu réel, ça me donne envie de fuir ! Un colloque, ou tout autre moment de rencontre entre chercheurs/euses, ça n’est utile que si on fait tous les choses sérieusement, et pas uniquement les précaires en recherche désespérée de postes !

 

Je ne cherche d’ailleurs même pas un poste, actuellement, tellement ce qu’est devenu l’université aujourd’hui me dégoûte : une mission pour faire une recherche, un détachement, m’iraient très bien…pour le reste, je préfère revenir dans mon administration d’origine, qui subit elle aussi les politiques d’austérité, mais où j’ai des collègues fiables à la machine à café, et pas un panier de crabes permanents plus un formatage permanent qui stérilise la recherche !

 

Je n’ai pas non plus envie de reprendre une recherche, sur cette thématique précise de l’inceste, dans les conditions où je l’ai faite notamment en master 2 : un isolement total, où en fait, les chercheurs/euses alentours, hors mes directeurs/trices de mémoire, tombent en « panne de bibliographie et d’idées » juste sur moi, manifestement du fait de la gêne que provoque pour eux ce sujet de recherche, après avoir su faire des suggestions à tous les autres étudiants présents dans leur séminaire ! Sans compter les silences pesants des étudiants eux-mêmes autour de ma recherche…ce refus d’inclusion parmi les autres sujets « normaux » de recherche, c’est invivable.

Je n’ai pas non plus envie d’être dirigée par le premier prof venu qui, bonne âme, souhaiterait se dévouer pour diriger mes travaux : je ne demande pas la charité. Je n’ai pas non plus besoin d’un grand nom de la discipline, je n’en admire d’ailleurs plus aucun. J’ai besoin de gens sérieux et fiables, capables d’échanger des idées avec moi pour construire ma recherche, et d’être une base ouverte pour la construction d’un réseau pluriel sur ce sujet (le problème des grands noms c’est qu’il polarisent les choses…et cela ferme à un réseau circonscrit).

 

Et bien sûr, je n’envisage pas de faire une thèse non financée, ni avec perte de salaire : tout travail mérite salaire, d’une part, et d’autre part, quel intérêt de faire de la recherche, si c’est pour être payé moins, durant la durée de cette recherche, qu’en étant agent de catégorie B avec 14 ans d’ancienneté ?

Je pose la question sans ironie.

 

 

Doctrix : Quels ont été les effets sur votre vie personnelle et professionnelle ?

 

Sophie Perrin : Sur la vie professionnelle, j’étais fonctionnaire avant, de catégorie B, je le suis toujours maintenant, mais ça fait 8 ans de procédures que c’est avec l’épée de Damoclès de la révocation ou autre sur ma tête, et bien sûr de plus en plus menaçante au fil des nouvelles procédures inventées par mes harceleurs universitaires et suivies par le Parquet en toute cécité…c’est une autre forme de précarisation…

 

Sur ma vie personnelle…

 

 

…je suis revenue sur Lyon avec ma reprise d’études, après mon premier poste de fonctionnaire « en exil » dans une autre région. Durant cette période que j’ai vécue comme un exil, j’avais perdu malgré moi les liens que je commençais à tisser « au-delà » de la simple camaraderie militante. Jusqu’au début des années 2000, j’étais en effet à la fois trop mal dans ma tête et trop précaire matériellement pour chercher des amitiés. Je portais trop de secrets et ça m’isolait, aussi.

Au début des années 2000, donc, au moment où j’allais partir de Lyon, c’était juste en train de changer. Mon départ m’a fait perdre ce changement. Lorsque je suis revenue à Lyon, j’ai donc reconstruit cette nouveauté dans mon nouvel entourage : à la fac. J’avais des copines, des copains, etc. C’était bien : je redécouvrais ce que j’avais perdu depuis le CE1, auparavant, à cause du secret qui m’isolait, puis du rejet par les autres qui l’a peu à peu suivi avec l’aval des adultes importants de l’école puis du collège.

Tous étaient dans ce milieu universitaire, étudiants, parfois profs, et connexe au monde militant marxiste et libertaire que je côtoyais par ailleurs depuis longtemps auparavant.

J’étais invitée chez des gens, qui étaient des potes, et réciproquement.

On discutait de sujets intellectuels, de sujets militants, de nos vies persos, de recettes de cuisine…c’était, enfin, une sociabilité normale.

 

Comme j’étais étudiante salariée, cela posait aussi autrement les choses dans les relations, et j’étais par exemple souvent invitée aux repas d’après colloques (parce qu’il fallait bien continuer la discussion entamée avec l’intervenant X qui me questionnait sur mon travail professionnel).

 

Et puis, donc, la moitié de la semaine, j’allais travailler au travail, où j’étais à l’époque sur un poste très isolé, qui me rendait difficile de lier connaissance avec les collègues déjà présents dans ce lieu, qui à l’époque, étaient tous des « anciens » qui se connaissaient déjà (depuis, ils sont majoritairement partis à la retraite, et ont été remplacés par des jeunes plus facilement abordables hors contexte de travail en commun parce qu’eux aussi, ne connaissent personne quand ils arrivent).

 

Donc la conclusion, c’est que mes relations avec des humains tournaient principalement autour de la fac, de fait.

Je n’évoque pas la sphère familiale, parce que c’est une époque où je passe mon temps aussi à essayer de la semer – sauf ma soeur, qui a fait partie des relations gravement endommagées par mon exil momentané : on commençait juste à se parler, et le dialogue naissant a été interrompu par la distance géographique. Depuis cette interruption, on a suivi des chemins divergents.

 

Entre 2010 et 2012, j’ai donc vécu la destruction totale de cette vie sociale personnelle que j’avais enfin construite.

Durant mon interdiction d’accès aux campus, qui a duré deux ans et demi avant son annulation en justice, les personnes qui étaient mes « potes », mes « copains », mes « copines », ont un à un disparu de mon entourage. Ils ont continué leur route entre eux, sans moi. Certains ont eu leur doctorat et fait leur petit pot de thèse, sans m’inviter. D’autres ont quitté la fac pour d’autres horizons, mais ne m’ont plus non plus invitée à quoi que ce soit…

Le pire, c’était tous ceux qui trouvaient drôle et subversive mon action de diffusion de mes recherches par mail, et m’encourageaient à continuer cette dénonciation…dans la foulée de mon désaveu public, plusieurs mois après mon éviction par ses pairs, par l’ex-mandarin dont il était envisagé qu’il dirige ma thèse, ils ont tous tourné leur veste illico ou dans les semaines qui ont suivi.

J’ai donc été mise dehors non seulement des campus, mais aussi de tout ce que j’avais construit au niveau relations interpersonnelles. Si bien qu’en 2012, lorsqu’un expert psychiatre diagnostique que je suis atteinte « d’autisme relationnel », ce doit être le seul point à peu près exact de son papier…mais il s’agit d’une conséquence de ce qui m’est arrivé de la part des membres de la « communauté universitaire » dont j’ai été ainsi exclue !

 

Je n’ai pas reçu le moindre mot de soutien, le moindre signe de compassion, de la part de mes ex « potes ».

 

Le seul discours de ceux qui me parlaient encore, c’était : « mais tu te fais du mal à t’obstiner ainsi », « mais il y a plein d’autres choses intéressantes qu’une thèse à faire dans la vie » (propos proférés y compris par des doctorants admis en thèse avec des résultats moyens pendant que moi j’étais évincée, doctorants dont la plupart n’a pas levé le petit doigt vis à vis de ma situation…).

 

Du côté des militants, j’ai aussi suivi une trajectoire de chute : que la présidence de Lyon 2 bloque mes mails sur le serveur de la fac, c’est une chose. Que des militants étudiants, en plus de ne rien faire (par lâcheté et peur parfois explicite) pour protester contre mon éviction de la fac, y participent en virant mon adresse mail des listes mail des étudiants mobilisés, puis que cette pratique d’ostracisation à mon égard se transmette à l’ensemble des sphères militantes connexes à la fac, c’est une autre chose.

Il faut savoir que le département d’anthropologie fait partie du « noyau » fournisseur de jeunes militants étudiants à Lyon. Ces jeunes deviennent ensuite, pour partie, des syndicalistes salariés ou des militants politiques plus durables.

Tous ceux avec qui j’ai partagé des barricades de blocage en 2007 et 2009 sont aujourd’hui soit doctorants, soit docteurs, soit syndicalistes salariés en bonne place…et me laissent de côté encore et encore.

 

Cela s’est propagé aux militants plus anciens : pour la majorité, je suis ainsi devenue une sorte de « cas soc' » : une ancienne, du NPA, qui tentait de me vendre la carte du parti lors de sa création, et avec qui j’avais milité au début des années 2000, m’ignore désormais. Je suis transparente et insignifiante. La dernière fois qu’elle m’a parlé, c’était en 2012, juste après le verdict qui me condamnait pour des choses que je n’avais pas faites. C’était dans une manif : j’avais envie de hurler sur tous ces militants prêts à se mobiliser sur les « bonnes causes », et qui étaient totalement indifférents et absents sur la lutte contre la répression à mon encontre. Je devais avoir l’air d’être pas trop dans mon assiette : elle m’a suggéré que ce serait bien si je « prenais soin de moi » en « allant voir un psy »…ça tombe bien ça faisait justement partie de ma très récente condamnation : être obligée d’aller voir un psy…

Depuis, elle m’ignore. Et ce n’est qu’un exemple : globalement, je ne suis plus une camarade pour une majorité, mais une sorte d’hystérique pestiférée à éviter.

 

Il faut que je précise qu’avant, mes interventions en AG ou en réunions, consistaient à m’occuper de la tâche délicate que beaucoup n’assumaient pas : crever les abcès et porter la contradiction pour éviter les comportements moutonniers. C’était une place que j’occupais, j’y étais légitime parmi eux, c’était mon rôle et ce n’était pas contesté.

Depuis ce qui m’est arrivé avec la fac, tous les petits leaders que j’ai contredits et qui ne l’ont pas apprécié me font bien sentir combien en fait, ils auraient préféré que je me taise…ils me font, genre, payer ma parole d’alors.

Lorsque je suis revenue en AG à Lyon 2 en 2013, une fois les arrêtés annulés, à la première intervention de ce type de ma part, la tribune (constituée de gens que je connaissais et qui m’avaient lâchée juste après le verdict de première instance en 2012) m’a coupé la parole en voulant me faire clore là mon tour de parole (les tours de parole n’étaient pas minutés avant le mien !). Pire : lorsque j’ai voulu protester, j’ai été huée par une partie significative de la salle. Jamais cela ne serait arrivé auparavant.

Et c’est là tout l’accueil que j’ai reçu pour « fêter » l’annulation des arrêtés qui m’interdisaient l’accès aux campus…! Un accueil chaleureux et solidaire, comme on sait le faire pour un ou une camarade réprimé/e…? Sur quels principes « alternatifs » ce monde militant a-t-il fonctionné durant ces années-là, par rapport à la société qu’il dénonce et dit vouloir changer ?

 

J’ai aussi été exclue des circuits d' »infos » militantes dans les couloirs, bien sûr : on ne m’informait plus quasiment de rien, durant ces années.

Ce, pendant que l’on se rapprochait de Lyon 2 quand ce n’était pas déjà le cas : en invitant des profs de socio de cette fac à présenter leurs ouvrages dans nos petites librairies libertaires…des choix ont été faits, et il s’agissait de ne pas les compromettre en parlant de « Sophie Perrin » ? C’est la réalité que j’ai vécue durant toutes ces années, même si depuis 2017, il commence à y avoir des réactions différentes et plus positives, mais qui restent une collection de réactions individuelles pour l’instant.

 

Ma vie personnelle, ça a donc été de me rendre compte combien les relations dans ce monde universitaire sont superficielles et réversibles (mais il n’en a pas le monopole), et combien les militants progressistes, pour le changement social, un autre monde, etc, se comportent, trop souvent, comme des moutons imitant profs et président de la fac de gauche qui a viré vieux réac.

Si ce sont ces gens qui préparent par leurs luttes un monde meilleur, j’ai peur : plutôt voter Macron, et vite !

 

Il me reste de tout cela une forte envie de vomir, qui est assez prégnante dans ma vie personnelle depuis plusieurs années maintenant…

 

…et une aversion pour ces sphères. A partir de 2013, je n’arrivais plus trop à me lever pour les manifs ou débats du samedi : j’arrivais à sortir du lit à 15h pour une initiative qui commençait à 15h… puis carrément, j’arrivais à sortir du lit pas avant 17h quand c’était fini.

Je crois que c’est à partir de la fin 2014 que ça a tourné à l’aversion franche pour tous contacts humains, et que j’ai dû passer tout le week-end à vivre la nuit et dormir le jour – parce que comme cela je n’étais pas là quand les humains étaient réveillés. Je me calfeutrais sous les couvertures pour m’isoler de ces connards d’êtres humains qui étaient une agression pour moi dorénavant…cela a duré jusqu’en 2016 inclus.

Après, j’ai peu à peu et volontairement réussi à reconquérir le droit de vivre le jour…

 

 

Une fois sur deux, voir un jury quel qu’il soit (jury de concours, de thèse, de prudhommes, etc) me file désormais de l’urticaire.

Un jury aujourd’hui, pour moi, spontanément, c’est un ensemble de personnes injustes et arbitraires. Cela suscite pour moi rage et aversion…passer un oral de concours interne est plus difficile dans ces conditions…soutenir une thèse, je n’en parle même pas.

 

Bref, l’impact sur ma vie personnelle, c’est un impact de destruction.

J’ai rencontré depuis d’autres personnes, dont certaines m’ont soutenue. Mais elles ne parviennent pas à enlever l’omniprésence du reste, et mon profond dégoût…

 

…dégoût vis à vis de ces militants « révolutionnaires » ou doctorants, souvent les deux à la fois, qui m’annônent, souvenir indélébile : « mais il y a plein d’autres choses intéressantes à faire qu’une thèse, dans la vie ! ». Souvenir qui me donne envie de leur faire fermer la bouche en la remplissant de leur thèse, que je leur ferais avaler page par page, ou de leur bouquin militant édité par leur pote éditeur militant dont ils ne me proposent jamais les services (parce qu’ils ne m’incluent plus dans ces réseaux de cooptation, non universitaires, mais militants…aussi vrai qu’on ne prête qu’aux riches – riches en capital social, ici aussi ?).

 

 

Doctrix : Si une lectrice ou un lecteur arrive au bout de cet entretien et souhaite vous aider, que peut-elle/il faire ?

 

Sophie Perrin :

 

– Signer la pétition ET la faire signer (https://www.change.org/p/lyon-2-halte-au-harc%C3%A8lement-judiciaire-contre-sophie-perrin-sophieperrin)

 

– S’ils ont des sous, m’aider à financer mes frais d’avocat en faisant les dons qu’ils peuvent/veulent à ma caisse de soutien (chèques à l’ordre de la CGT éduc’action, Bourse du Travail, 69422 Cedex 03, mention : solidarité Sophie Perrin, ou encore par virement sur le compte de la CGT éduc’action du Rhône : n°10278 07390 00019010840 74 avec mention en objet « solidarité Sophie Perrin. »).

Il faut savoir qu’en tout, j’en ai déjà eu pour environ 10 000 euros de frais de justice.

 

– S’ils ont des relations universitaires en capacité de discuter mes travaux, je vais bientôt être en recherche de discutant/e/s à Lyon, Paris et Marseille pour présenter l’ouvrage issu de mes travaux de master 1 en librairie dans ces villes. Notamment à Lyon, il m’est très difficile d’en trouver étant donnée mon ostracisation actuelle…

 

– S’ils connaissent des chercheurs/euses en anthropologie, notamment en région lyonnaise, je cherche un ou une directeur/trice de thèse.

 

– S’ils connaissent des personnes de l’INED, notamment actrices de l’enquête VIRAGE sur les violences faites aux femmes, je cherche également des mises en réseau, mon projet de thèse comportant une partie statistique.

 

– S’ils résident sur Lyon, la présence à mon audience pénale du 4 juillet prochain est importante (à partir de 14h, TGI, 67 Rue Servient, Lyon 3e, demander l’audience concernant Sophie Perrin à l’accueil).

 

 

Doctrix : Quel(s) conseil(s) pourriez-vous donner aux personnes qui voudraient se lancer dans une thèse compte-tenu de votre expérience ?

 

Sophie Perrin :

Conseil : avant de tenter d’entrer en thèse, battez-vous pour que le doctorat soit autre chose qu’une zone d’absence de droits réels pour les doctorants et de garde-fou relativement au pouvoir des profs…le passage du moyen âge à un équivalent du code du travail ne serait pas de trop !

 

Et en attendant cette victoire : voyez qui, dans la jungle universitaire, est une étoile montante dans le moment, évitez par exemple les vieux pontes sur le déclin et proches de la retraite…c’est un coup à écoper de 10 ans de procès ensuite !

Bref : bienvenue à Dallas !

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2 Responses to Trop excellente pour débuter une thèse ? Témoignage de Sophie Perrin

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