J’ai vu cette tribune intitulée « Réguler le recours au travail précaire dans l’ESR ». Pour ma part, même si évidemment j’apprécie l’effort pour s’attaquer au problème de la précarité, ce texte n’est pas la réponse et crée plus de problèmes qu’il n’en résout. C’est ce qui arrive quand des personnes décident enfin de s’attaquer à un problème auquel d’autres se consacrent depuis des années, souvent avec trop peu de succès par manque de soutien (des titulaires d’ailleurs) et de mobilisation (parce que par définition, quand on est précaire, se mobiliser est proche de l’impossible et les titulaires ne se mobilisent finalement que quand les problèmes finissent par les toucher).
Cela fait des années que les collectifs de précaires / associations académiques prônent la création de postes : c’est le cœur de toutes les batailles. Celle pour laquelle il faudrait que TOUTE la communauté se mobilise, titulaires, vacataires, personnels administratifs fonctionnaires et contractuels et étudiants (ça me dépasse qu’on ne mobilise jamais les étudiants avec nous alors que ce sont eux qui paient les pots cassés d’une politique néo-libérale à l’université). S’attaquer aux vacations, c’est prendre le risque de voir se durcir l’accès à ces vacations, qui sont certes une catastrophe, mais dont nous sommes nombreux à dépendre en l’état actuel du « jeu » académique, tant pour améliorer son cv (au mieux), arrondir les fins de mois, ou même survivre (au pire). Je suis passée par toutes les phases de la précarité (sincèrement, toutes les phases) et j’ai lutté certaines années pour faire des vacations et j’ai dû tricher pour y arriver (allez-y pour faire des vacations au RSA !). C’est un stress supplémentaire inutile (qui dure, parce que souvent on commence les cours avant d’avoir signé les contrats, donc sans savoir si notre « triche » va passer et si on sera payé).
Pour ma part, je ne m’associerai pas à un texte qui prend le problème à l’envers et part des vacations et réclame de « réguler le recours à l’emploi vacataire en ne le déviant pas de son sens originel : l’emploi vacataire doit être limité à des besoins ponctuels« . Ce cadrage est dangereux. Oui, il y a un véritable abus des vacations, c’est certain. Mais pour les vacataires, c’est un pis-aller nécessaire en l’état des choses. Pour y mettre fin, la seule et unique revendication doit être la création de postes, nécessaire étant donné les besoins (ce n’est pas un caprice de notre part). C’est la seule et unique façon de changer les règles du « jeu » et de revenir effectivement aux vacations telles que pensées « originellement ». Autrement, il se passera ce qu’il s’est passé en 2011 ou 2012, les règles pour faire des vacations vont se durcir, et laisser encore plus sur le carreau ceux qui n’ont pas les moyens et les soutiens dans les universités pour contourner les règles. Ce sera alors un peu plus la jungle, une sélection par le réseau et la débrouille plutôt que par les compétences (« oh lui / elle, il / elle a tenu le coup et a fait des vacations malgré les conditions impossibles pour en faire pendant des années ! C’est la preuve qu’il / elle en veut ! Il faut lui donner un poste ». Et encore, c’est le scénario « conte de fées » car 1) on le sait, les vacataires arrangent bien les universités ; 2) la sélection commence de plus en plus tôt : le top, c’est d’être ATER et de publier tout en écrivant son manuscrit de thèse désormais. Tant pis si ça veut dire dormir 5 heures par nuit pendant des années, sans jamais prendre de vacances. Mais justement, les vacations sont alors utiles pour avoir cette expérience d’enseignement requise pour la qualification quand on n’a pas obtenu de postes d’ATER ni de contrat doctoral (d’ailleurs, c’est souvent les mêmes qui ont les contrats doctoraux puis les postes d’ATER) ! Postes d’ATER qui se multiplient aussi depuis des années d’ailleurs (dans ma section, l’année dernière et cette année, il y avait (au moins) le double de postes d’ATER mis au concours que de postes MCF !!! Et pourtant, il y avait encore largement de quoi occuper des vacataires !).
Demander de limiter les vacations aux besoins ponctuels, commencer votre texte par-là, c’est une méconnaissance de la précarité académique et des rouages de ce qui a été lentement mis en place depuis 2003, et sincèrement, ça me rend furieuse.
Ce que je vois aussi – et c’est la raison pour laquelle je ne me mobilise plus – depuis des années que je suis dans ce « jeu », c’est que régulièrement, le monde universitaire se mobilise pour lutter contre la précarité. Evidemment, on n’est pas tous concernés en même temps et on n’est pas tous disponibles pour se mobiliser en même temps. En 2016 et 2017, il y a eu un vrai effort de mobilisation, dans le cadre de la contestation de la loi de travail notamment. On s’était vraiment organisé du côté des précaires, mais on n’a reçu que des soutiens de principe de la part des titulaires… qui ont attendu 2019 pour se mobiliser, quand la LPR a pointé son nez et a menacé leurs conditions d’emploi. Alors là, tout d’un coup, les candidats aux carrières académiques et leur précarité étaient un argument mobilisé à tout-va. Alors qu’on l’avait dit, d’ailleurs dès 2007, que c’était vers cela qu’on se dirigeait et qu’il fallait bloquer ça dès maintenant. Que dis-je, même en 2003, on en parlait déjà !
Moi sincèrement, je fatigue et j’en ai marre de me sentir abandonnée puis utilisée par les titulaires : je n’ai pas de poste, j’ai trop de travail pour mettre mon CV à niveau de ce qui est désormais attendu. Je me suis mobilisée des années, mis à part me mettre en retard dans mes recherches, ça n’a servi à rien. Alors je suis passablement énervée quand je vois des titulaires débarquer quand ça les arrange, pour lutter contre la précarité des années après la bataille, sans tenir compte de ce qui a été fait avant eux, en partant de zéro et en lançant un appel sur des listes académiques, plutôt que de prendre contact avec ceux qui ont dépensé leur temps et leur énergie à s’organiser, qui ont patiemment collecter les informations, les données, qui se sont renseignés, ont mené des enquêtes, ont pris des contacts, et dont les appels à l’époque sont restés trop souvent sans écho. Vous étiez où en 2011 ? En 2016 ? En 2019 ?
Donc merci pour l’initiative, mais non merci. Je signerai un texte qui appelle à la création de postes pérennes (pas d’ATER, pas contractuels : l’ATERat devrait sauter (c’est un niveau de compétition (inégale) supplémentaire inutile à vrai dire, étant donné que les besoins d’enseignants existent) et tous les doctorants devraient enseigner, ça devrait être dans leur contrat. Il faut plus de contrats doctoraux d’ailleurs aussi, pour justement avoir le personnel enseignant à ce niveau tout en permettant aux doctorants de mener leurs recherches dans des conditions dignes (c’est le point de départ de la précarité dans l’ESR en fait)) et dénonce le recours aux vacations pour pallier le manque de personnel, uniquement dans ce sens-là. Je ne signerai pas un texte qui rappelle que les vacations sont pour des besoins ponctuels et risque de me compliquer la vie pour faire des vacations, dont j’ai (eu) besoin pour (vivre et) rester impliquée dans l’enseignement, ce qui est attendu de moi pour être qualifiée et recrutée.
» Une discussion au sein des collectifs de travail (laboratoires, UFR, départements) doit en tout cas être menée de toute urgence pour agir« … Mais ça fait 18 ans qu’elle doit être menée de toute urgence ! Et la discussion a été menée en fait, encore et encore. Ça a même conduit à des mobilisations importantes, mentionnées précédemment. Mais chaque mobilisation rencontre un peu moins de succès que la précédente. Il est temps de revoir les formes de mobilisation, parce que se mobiliser pour rien, c’est s’enfoncer un peu plus dans la dépression, et ce n’est pas une solution, surtout quand on est précaire et/ou non-titulaire et que toute notre énergie passe à faire ce qu’il faut – au regard des critères actuels – pour obtenir ce qui reste le poste de nos rêves !
Une-candidate-MCF-qui-voudrait-juste-un-poste-et-pouvoir-enfin-dormir
PS : ce qui est dingue, c’est le niveau de compétition pour les quelques postes (d’ATER, de MCF) qui existent alors qu’en termes de travail, il y a de quoi occuper beaucoup de monde ! Je me suis toujours demandé ce qui coûterait le plus cher à l’Etat : des doctorants et docteurs à Pôle emploi qui ne paient pas d’impôts ou des MCF qui paient des impôts ? Question sincère, s’il y a des économistes qui m’ont lue jusqu’ici, j’aimerais vraiment le savoir !
Source de l’image : http://blog.educpros.fr/guillaume-miquelard-et-paul-francois/2015/11/10/evolution-des-effectifs-a-luniversite-personnels-et-etudiants/