Le blog de Jean-François FIORINA

France-Russie : match nul ?

Géant énergétique et militaire, sans pour autant l’être politiquement et économiquement , la Russie qui se remet difficilement de la chute de son empire, n’en reste pas moins un partenaire essentiel pour l’Europe et la France. Si nombre de reproches justifiés lui ont été faits à l’ère soviétique, la Russie a cependant conservé un modèle d’enseignement supérieur de qualité. J’ai pu le vérifier, même après la chute du mur en 1989, lors de nombreuses missions effectuées dans les pays de sa sphère d’influence. Notre école d’ailleurs s’y est même implantée il y a une dizaine d’années et dispense chaque année son MBA part-time à Moscou à une vingtaine de participants.

La France va-t-elle se (re)mettre à l’heure slave en 2010, alors que s’ouvre l’année de la Russie en France ?

Un positionnement délicat.
Coincé entre l’Amérique et la nouvelle Chine qui attire tous les regards depuis maintenant vingt ans, la Russie peine à occuper l’espace politico-médiatique. Effet de mode ou lame de fond ? La demande d’Occident de la part des étudiants chinois et sa réciproque est forte. Et le « chinois troisième langue » a largement remporté la partie en France face au russe. Il ne passe pas un jour sans qu’une école ne signe un partenariat avec la Chine, l’Inde ou le Brésil. Avec la Russie, ça ne fonctionne pas. Pourquoi ? Dans la mentalité slave, le présent n’occupe qu’une place limitée entre un passé omniprésent et un avenir incertain. Difficile dans ces conditions de construire dans la confiance. Le poids de l’histoire entraîne une certaine paranoïa et la notion de complot imprègne l’âme russe depuis le temps des Tsars. L’avenir est alors vécu comme un idéal de puissance et de splendeur à reconquérir, coûte que coûte. Poutine a bien compris cette tension. Il joue de ces peurs pour pousser la (re)conquête militaire au sud (Tchénénie, Géorgie…) ou bloquer de réelles évolutions démocratiques. Faut-il lui reprocher tout en bloc ? Non. Que serait devenu cet échiquier de Républiques instables sans un pouvoir fort à leurs portes ?

La Russie suscite la crainte et des interrogations.
Le passage à l’économie de marché a beaucoup moins bien fonctionné qu’en Chine. Et les stigmates d’un fonctionnement étatique et corrompu traversent encore ce grand pays. La population, même privée de liberté à l’époque soviétique, jouissait d’un niveau de vie minimal, de lieux de convivialité. Aujourd’hui, c’est la loi de la jungle, plus ou moins orchestrée par la même Nomenklatura jadis communiste ! Ce qui provoque tensions et interrogations dans le pays comme à l’étranger. Entre un cursus moscovite ou pékinois, l’étudiant occidental choisira le second souvent pour des raisons de sécurité. Côté entreprises, faut-il conseiller à une PME de s’installer dans une ville de province russe ? Sera-t-elle en mesure de se développer en toute sécurité. Pas sûr. Quand nos grands groupes industriels comme Danone décident de s’implanter dans l’ex union soviétique, ils migrent avec toute leur infrastructure et leur encadrement… Ce qui ne favorise pas le développement et la confiance réciproques ! Certaines en ont fait l’amère expérience. Le groupe Carrefour jette l’éponge après deux ans d’investissement dans le pays expliquant un recentrage vers la Chine et le Brésil. Alors qu’Auchan semble durablement installé grâce à une meilleure connaissance du terrain.

Développer des accords malgré tout.
Je reste persuadé à la fois pour des raisons personnelles et géopolitiques qu’il faut développer nos relations avec la Russie. Et dépasser nos craintes et leur paranoïa ! Comment ? En travaillant sur deux terrains assez clairement identifiés : le management et l’énergie. Dans le premier cas, les entreprises russes ont un cruel besoin de professionnaliser leur management. Nous pouvons contribuer au redémarrage des entreprises de ce pays qui ne sont pas en bon état. Deuxième point, l’énergie où le rapport de force joue bien sûr en leur faveur mais où l’Europe entière a intérêt à l’apaiser. Des recherches sur les plans scientifiques et marketing seraient bénéfiques. Autres secteurs à potentiel pour de futurs partenariats : les nanos et les biotechs. La Russie souhaite développer sa propre filière dans ces domaines. Anatoly Tchoubaïs, Directeur Général de la Corporation d’Etat russe Rosnanotekh est d’ailleurs venu visiter Minatec au mois de septembre dernier. Innover ensemble ? Une piste à explorer.

Comme il exista un « Far West », nous sommes aux portes d’un « Far East » à la fois tourmenté comme l’âme russe et riche de potentialités économiques et culturelles exceptionnelles ! Je garde un souvenir puissant  d’une balade à Saint-Petersbourg sous la neige ! Tourner le dos à cet immense pays (continent ?) serait une erreur stratégique et géopolitique grossière. L’Allemagne a bien compris  cet enjeu en accueillant dans ses universités et laboratoires la fine fleur scientifique russe. Même si les risques sont réels, nous devons profiter de toutes les occasions de reprendre lien. L’année de la Russie en France en sera peut-être une, même si, au regard du pré programme, on reste un peu sur sa faim. A nous d’y ajouter d’autres temps forts !

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