Jean-Charles Guibert, directeur de MINATEC , campus grenoblois d’innovation en micro et nano technologies nous explique sa mission : produire de l’innovation industrielle à partir de la recherche en favorisant le transfert technologique et les partenariats.
Comment fonctionne un écosystème d’innovation technologique ?
Nous sommes partis du principe qu’il faut mélanger plusieurs composantes pour réussir un écosystème performant dans ce domaine. Ces composantes sont les suivantes : l’éducatif, la recherche fondamentale et appliquée, l’industrie avec ses start-up. C’est le cas de Minatec avec la présence d’une école d’ingénieur de Grenoble INP qui a installé géographiquement PHELMA (l’école nationale supérieure de physique, électronique, matériaux), dédiée aux nouveaux matériaux, de laboratoires de recherche implantés de longue date (CEA-LETI…), d’une quinzaine de start-up et de laboratoires R&D d’industriels d’envergure mondiale. La proximité d’une école de commerce comme Grenoble Ecole de Management également s’est révélée un atout pour le développement de MINATEC.
Cette proximité géographique facilite les choses. C’est très important de sortir de son bureau et de savoir que 5 mn plus tard, je serai dans les locaux de GEM ou d’un autre partenaire. Les rencontres à différents niveaux (professeurs, chercheurs, étudiants, entreprises…) sont rendues possibles par l’effet de proximité. C’est aussi cela un écosystème performant.
Comment ensuite favoriser le travail en commun et produire de l’innovation ?
Notre objectif est de favoriser la rencontre et l’échange sur le site entre toutes les composantes. Nous avons mis à disposition des outils qui favorisent des rendez-vous réguliers comme les « Midis Minatec », des conférences organisées par un chercheur, un professeur, un chef d’entreprise créateur de start-up. Autant d’opportunités de rencontres avec un public très divers puisque ces conférences sont ouvertes à nos partenaires privés et publics. L’accès aux étudiants de GEM qui travaillent en suivant le modèle d’une pédagogie par projet favorise également les rencontres mais sans les rendre « obligatoires ».
Minatec, vu de l’extérieur, peut apparaître comme seulement un centre de recherche, c’est beaucoup plus que cela. Nous avons mis en place toute la chaîne de la création à la réalisation de projets en passant par leur valorisation. Des professionnels de la création d’entreprise, un investisseur, des spécialistes du marketing sont présents sur le site en permanence. L’idée est d’offrir à toutes des composantes et aux porteurs de projet, de nombreux espaces de rencontres et de travail, des services « clés en main » pour gagner du temps et donc limiter les coûts. Nous disposons d’un showroom technologique dédié aux PME, de Minatec Ideas lab*, d’une antenne de l’ENSCI (Ecole nationale de création industrielle)…
L’industrie high tech pour se développer a besoin d’un flux permanent d’informations et de recherche amont, notre écosystème génère ces flux.
Grenoble fait-elle toujours figure de pionnière en la matière ?
à ce niveau de développement, oui, c’est unique en France. Grenoble est n° 2 de la recherche en France après Paris, en nombre de brevets déposés aussi. Même vis-à-vis des très grands pôles technologiques comme Chicago ou Taïwan, nous commençons à être connus. Nous recevrons bientôt le vice-président de Sony, le patron de la recherche de Singapour nous a rendu visite cet été. Les « pointures » internationales en matière d’innovation et de technologie ont intégré Grenoble dans leur circuit. Ils font deux stops, dans une très grande ville internationale et à Grenoble. C’est un signal positif pour nous, le signe que nous comptons au niveau mondial.
Comment créez-vous de la valeur ?
Il faut d’abord construire des offres de services. Si je prends l’exemple du partenariat avec Grenoble Ecole de Management, nous avons, par exemple, intégré les étudiants dans une offre spécifique vers les PME. L’idée est d’avoir un étudiant en stage qui travaille avec un binôme chercheur/professeur sur un projet de transfert de technologie. L’objectif est de proposer une action court-terme avec un coût réduit. Il faut trouver des projets qui rentrent dans ce cadre. C’est ce que nous demandent les entreprises.
Les étudiants de GEM peuvent également intervenir sur les aspects marketing amont ou sur la stratégie de développement de la visibilité de MINATEC. Le service de la valorisation du CEA Grenoble que je dirige produit 6 à 7 études par mois dans les secteurs de l’énergie, des biotechnologies et des technologies de l’information. Nous intégrons régulièrement des stagiaires d’écoles de commerce. Le dernier dossier traité concernait le marché des éclairages LED dont la segmentation a nécessité un vrai travail, au-delà des aspects techniques. Les étudiants de GEM se retrouvent très bien dans ce domaine et peuvent apporter une vraie valeur ajoutée. Ils considèrent encore souvent que le milieu de la recherche leur est fermé mais nous mettons en place les outils pour éviter cela en leur montrant que nous avons besoin de leurs compétences.
La finalité avec les étudiants, c’est qu’ils participent à notre logique : donner des réponses aux entreprises, aux chercheurs, aux créateurs d’entreprise sans être figé dans une quelconque logique académique ou calendaire, du genre « nous sommes en stage en février-mars, c’est le moment d’être créatifs après ce sera trop tard ! ». Non le processus doit rester souple et ouvert.
La logique « projets » implique une logique de marché. Nous sommes déjà à moins d’un 1/3 de subventions publiques pour le financement des projets. Même sur des appels d’offres européens, il nous est demandé de répondre à un besoin précis. C’est une tendance lourde.
Quels retours concrets ?
Les projets de start up marchent bien et nous souhaitons développer des couples scientifique/école de commerce. L’équipe d’Ethera, start-up spécialisée dans la commercialisation de kit de diagnostic de la pollution de l’air intérieur, comprend un ex-chercheur CEA et un spécialiste du marketing. Les idées foisonnent mais il faut les trier et les tester. C’est le plus que ces rencontres peuvent apporter : vérifier le bien fondé d’une idée avant de la déployer. Même si elle est abandonnée, cela évitera les frustrations ultérieures… Pour les étudiant de GEM, ce sont des missions très concrètes, une capacité d’expérimenter pour devenir plus tard peut-être les associés d’une start-up.
Quelles marges de progression ?
L’accueil des étudiants fonctionne bien mais le potentiel de développement est bien supérieur aux réalités actuelles. Il faut systématiser les rencontres et les partenariats. Ce n’est pas toujours simple pour un étudiant de GEM de se plonger dans le bain de l’innovation et de la technologie. Nous ne travaillons pas sur des produits finis mais sur un potentiel de produits. C’est peut être un peu abstrait pour des étudiants. Par contre, dès qu’ils ont fait l’effort de comprendre ce nouvel environnement, nous observons que l’alchimie fonctionne très bien dans notre bureau d’études marketing.
Certains vont privilégier un stage chez un « grand » de la cosmétique plutôt que dans un laboratoire ou une start-up aux contours moins cadrés alors que le potentiel de croissance est peut-être justement là. Dans l’innovation, le chercheur est encore au centre du jeu, cela demande une capacité d’adaptation pour vivre dans un environnement créatif, très enrichissant mais plus flou que dans celui d’une entreprise plus classique.
Quelle sera l’étape suivante ?
Nous avons testé le concept de campus de l’innovation avec Minatec, nous le démultiplierons avec GIANT, le futur campus grenoblois de l’innovation où GEM disposera de locaux. Il se construit sur trois pôles centrés sur trois besoins essentiels des citoyens : l’information, l’énergie et la santé. Nous disposons déjà des ingrédients de la réussite : la recherche en amont, les grands instruments scientifiques (Synchrotron, ILL – réacteur à neutrons, CEA…) et le management de l’innovation avec Grenoble Ecole de Management. Ce sont les mêmes éléments qui ont fait la force du M.I.T. aux Etats-Unis (Massachussets Institute of Technology). Mais nous en reparlerons prochainement…
* Crée en 2001 par le CEA (Commissariat à l’énergie atomique), France Telecom, STMicroelectronics et Hewlett Packard, Minatec Ideas laboratory a pour objectif de concevoir les futures applications des nouvelles technologies en basant son efficacité sur l’association de designers, d’industriels et de chercheurs en sciences humaines et sociales.