Le design est fortement présent à l’ESC Grenoble, par le double diplôme que nous avons lancé avec le Strate Collège et par sa fonction de booster de l’innovation, composante essentielle de notre ADN. J’ai souhaité faire un point sur l’état de l’art en matière de design avec un professionnel reconnu, Christophe Fillâtre, Président de l’agence Carré Noir (Groupe Publicis). Entretien.
*dixit Raymond Loewy (1893-1986), designer industriel et graphiste français devenu franco-américain.
Jean-François Fiorina : où en est le design en France ?
Le design n’a jamais réussi à conquérir ses lettres de noblesse en France. Pas toujours très bien compris dans le monde du marketing et de la communication, ce sont quelquefois les clients qui en parlent le mieux et qui possèdent une longueur d’avance ! Pour moi, le design intervient très en amont dans la chaîne de valeur. Il pose les fondamentaux de la marque et de l’entreprise. Je considère essentiel de dire « Qui je suis » avant de dire « Ce que ce je fais »… Ce qui compte, c’est l’acte créateur de l’entreprise, du produit. Pourquoi j’existe ? Comment j’existe ? Avant de communiquer.
Les plus belles campagnes de publicité telles que les conçoivent Publicis ou TBWA, dans lesquelles j’ai longtemps travaillé, ne montrent pas forcément le produit. Ce fut le cas pour le lancement en 1984, de l’ordinateur 128 K d’Apple inspiré du roman d’anticipation « 1984 » d’Orwell. A aucun moment, le produit n’est montré ! Ce sont de belles réalisations ou de beaux packagings. Peut-être, ensuite, parlera-t-on du produit et de l’entreprise ? Le design, c’est d’abord s’intéresser à l’idée d’un homme, à un territoire, à une question incarné par un produit et une marque.
Il y deux manières de considérer le design. « Vite et pas cher », je conçois un logo ou un point de vente à la demande. Ou comme une composante de l’innovation avec pour objectif de régler un vrai problème.
Le design, ce n’est pas de la déco mais du fondamental. Je le conçois comme une compréhension du couple marque-produit. C’est un problème car ce ne sont pas les mêmes organisations qui gèrent les deux. Cela fonctionne en parallèle alors qu’il faut croiser les équipes ! La R&D va travailler avec le design industriel et le marketing avec le design de marque. Les deux doivent se rencontrer.
C’est donc une question mal appréhendée. L’innovation et le design amont du couple marque/produit consiste en une alchimie qui bouscule les organisations. Aujourd’hui, il y a une prise de conscience, ce sont les DG et P-DG qui s’en inquiètent. Je prends l’exemple chez l’un de mes clients, la SNCF. Agence de publicité pour la stratégie et agence de design travaillent maintenant ensemble. L’une est responsable de l’identité, l’autre du message et tout ce monde-là travaille ensemble. Nous sommes entrés dans une logique de marque unique forte. C’est le cas de la SNCF qui, dans un contexte d’ouverture à la concurrence, reconstruit une architecture de marques simplifiée et rationnalisée.
JFF : Y a-t-il un eldorado du design, un pays où ça marche mieux ?
Je ne suis pas négatif sur la France. Les choses changent progressivement chez nous. Depuis la naissance du design de marques dans les 70s, la culture anglo-saxonne diffuse lentement car elle est en avance. Certains ont bien compris son importance.
JFF : ce retard est-il du à la culture de l’ingénieur ?
Probablement.
JFF : le design est-elle une compétence que tout manager doit acquérir ?
Oui, le design tel que je le considère. Mais personne ne s’entend sur sa définition ! Il doit être mieux compris. Si vous interrogez 100 personnes, vous aurez 100 réponses différentes. Pour moi, il s’agit de révéler les fondements identitaires d’une marque, d’une entreprise, d’un produit.
JFF : comment voyez le rapprochement écoles de commerce et de design ?
Ce sont de très bonnes initiatives, cela va dans le sens de ce que j’explique.
JFF : nos étudiants se posent souvent la question suivante : sont-ils des managers avec une composante design ou des designers avec une composante managériale ?
Le design est clairement une composante du management. Je rappellerais à vos étudiants cette magnifique phrase de Raymond Loewy, designer industriel et graphiste : « En matière de design, la plus belle courbe, c’est celle des ventes ! ». Le design, c’est une alchimie réussie entre la marque et le produit, en témoignent les succès Nespresso ou Apple.
JFF : est-ce possible de l’enseigner, compte tenu de ses différents aspects ?
Oui, je pense que çà s’enseigne. Si Apple a réussi, c’est par l’innovation et l’organisation, le talent en plus de son designer de génie Jonathan Ive.
JFF : et le développement durable, n’est-ce pas la nouvelle frontière du design ?
Le design joue un rôle majeur sur tout ce que l’on produit aujourd’hui : entre une campagne web ou un packaging de marque sophistiqué, le bilan pour la planète n’a rien à voir. Les directeurs marketing sont face à des exigences réglementaires et sociales urgentes. Nous proposons des solutions viables qui séduisent nos annonceurs avec notre partenaire Bio intelligence service.
JFF : comment recrutez-vous ?
Uniquement à Grenoble ! Je plaisante mais nous avons un client d’envergure à Grenoble, en l’occurence le groupe Schneider Electric. Ils ont bien compris l’importance de l’innovation et gèrent leurs couples marque/produit parfaitement.
Une agence de design, ce sont des consultants et des créatifs. Les ESC chez les premiers sont nombreux. Ils sont capables de comprendre une problématique complexe, de l’écrire, de la vendre et de la déployer sur tous les canaux.