Après Bruno Béthune, directeur de l’ENSM, la semaine dernière, j’accueille dans cette nouvelle rubrique consacrée aux écoles d’une autre pédagogie, Jean-Marc Simon (notre photo), Directeur Général du Syndicat National des Moniteurs du Ski Français. Montagne oblige !
Pas mal de points communs entre nos deux métiers et nos deux formations que tout semble séparer : l’importance de la relation-client, le montée en gamme de la qualité des prestations, l’internationalisation et la nécessité de créer et faire vivre un sentiment d’appartenance à son école et à ses valeurs.
Jean-François Fiorina : Quelles sont les missions de l’École du Ski Français ?
Jean-Marc Simon : L’école a deux grandes missions :
- d’abord celle dédiée aux professionnels avec le Syndicat National des Moniteurs du Ski Français qui est basé à Meylan (Isère). Il représente les 17 000 moniteurs du ski français, un groupe professionnel qui n’est pas anodin sur les 20 000 professionnels que compte le secteur. Si la formation initiale et la délivrance du diplôme sont assurées par le ministère des Sports, nous nous investissons sur la formation post diplôme.
- ensuite, il y a la formation en direction du grand public que l’on connaît bien. Elle touche 2,3 millions de personnes en France, ce sont les étoiles, les chamois, les flèches… Ces formations sont assurées selon la méthode du ski français.
Ce qui veut dire qu’il y a une spécificité ationale ?
Oui. Jusqu’en 1939, c’est la méthode autrichienne qui était prédominante. Avec les tensions politiques liées à la Seconde Guerre Mondiale et le succès d’Émile Allais qui fut champion du monde en 1938, la France a inventé sa propre méthode d’apprentissage du ski. C’est donc la méthode d’Émile Allais qui sera codifiée comme « méthode du ski français ». En 1942, les Centres agréés ou École du ski français sont créés et disposent de leurs propres cadres. En 1948, la loi organise la formation du Brevet d’État de moniteur de ski.
Comment ont évolué les méthodes ?
Les techniques s’affinent avec la maîtrise du corps, la théorisation de la descente par gravitation, la décomposition du mouvement. Le matériel évolue également énormément.
Comment cela se passe-t-il aujourd’hui ? Il y a un comité technique ou pédagogique ?
Le « professeur maître » de l’ENSA [1] est aux avant-postes. C’est lui qui analyse les évolutions technologiques comme ce fut le cas, par exemple, avec l’arrivée des skis paraboliques. Il ajuste le travail pour les apprenants et réalise en collaboration avec les professionnels un mémento pour les moniteurs.
Comment les anciens modifient-ils leur pratique ?
En général le changement est naturel même chez les anciens. Ce sont d’abord des techniciens avant d’être des pédagogues. Leur capacité professionnelle est révisée tous les six ans.
D’autres méthodes sont-elles présentes ?
Il y a bien sûr des nuances entre pays mais c’est assez semblable. Toutes se comparent à Interski, le congrès international où les écoles proposent des démonstrations pratiques et proposent des sujets à la discussion.
Comment, en une semaine de cours, pour le grand public on arrive à passer d’un niveau à un autre ?
Tous ne réussissent pas ! Nous avons dû travailler sur certains points comme l’attitude par rapport à l’échec. Ce sont les acquis techniques qui font la médaille ! À travers le mémento, on sait ce que doit maîtriser l’apprenant. D’abord, être debout sur les skis et glisser, changer de direction puis prendre la vitesse et de l’agilité. L’objectif de la semaine de cours est donc d’inculquer à l’apprenant ces notions précises qui sont ensuite évaluées en fin de semaine.
Les médailles sont-elles internationales ?
Non. Nos concurrents s’appuient sur d’autres référentiels mais nous n’avons pas d’équivalent dans le monde : les ESF, sont toutes rattachées à un réseau national et Le cursus est identique partout en France. Tandis qu’à l’étranger, les écoles sont indépendantes les unes des autres.
Quel est le profil sociologique du moniteur ?
La profession a beaucoup changé. Le métier impose la pluriactivité et la saisonnalité.
Nous avons des professionnels qui viennent renforcer les effectifs des permanents pendant la saison. Nous avons des patrons de PME, des pilotes d’avion, des professeurs des écoles ! C’est très varié. Ils viennent faire une coupure.
Est-il possible d’exercer dans plusieurs massifs quand on est moniteur ?
Oui mais en pratique c’est très rare. Les professionnels connaissent leur montagne. Ils développent leur réseau sur une station et l’ancienneté est attachée à une école.
Sont-ils salariés ?
Ce sont des indépendants. Ils sont responsables de la sécurité de leurs clients et, compte tenu, des variations d’activité, il serait impossible de les salarier. Mais ils sont membres de leur ESF.
Comment gérez-vous la notoriété de certains moniteurs ?
Des champions comme Sébastien Amiez ou, plus rarement, Luc Alphand exerce comme moniteur de ski mais c’est le même tarif qui s’applique à eux ! L’ensemble va dans un pot commun. Il est ensuite réparti selon le nombre d’heures avec une clef de répartition propre à chaque ESF. Celui qui est très demandé obtiendra une majoration. Dans les 230 ESF de France, on compte 230 clés de répartition des recettes ! C’est leur liberté.
Auditez-vous la qualité des écoles ?
Oui, le congrès annuel oriente les évolutions de la profession et donne la trame générale de fonctionnement.
Comment la relation avec la clientèle a-t-elle évoluée ? Avec les étrangers ?
Elle évolue dans le sens de l’exigence, dans le soin à apporter au travail demandé. Il faut également justifier ce qui est fait. Avec les Anglo-Saxons, le besoin de formaliser la prestation est important. Ils aiment un bilan journalier, faire le point sur ce qui était bien, pas bien. C’est plus exigeant.
Nous avons lancé un test national de la satisfaction clients. Ils peuvent laisser leurs avis sur le moniteur. Le directeur d’une école peut ainsi amener un moniteur à s’interroger si les commentaires sont négatifs.
Le mythe du moniteur sympa, toujours bronzé, est-il toujours d’actualité ?
C’est un élément du patrimoine de la montagne et peut-être de la culture française ! Il faut que cette identification reste forte. Quand on organise un événement à Paris avec les remontées mécaniques, les hommes les femmes en rouge sont au premier rang ! Le mythe du « beau » moniteur perdure. C’est un personnage pas tout à fait parfait mais c’est LE moniteur ! On l’aime comme ça.
Quels défis devez-vous relever ?
– Préserver l’unité intergénérationnelle de la profession et l’intégration des jeunes restent une priorité. Dès 1963, le système a développé une caisse de retraite obligatoire pour permettre la réduction d’activité des anciens qui souvent étaient usés par une vie difficile à la montagne. Aujourd’hui, les choses se sont crispées en interne. Il faut maintenir notre cohésion, nous sommes une petite corporation de 17 000 personnes en France, aussi nous menons un gros travail en interne pour préserver cette construction intergénérationnelle en l’adaptant aux contraintes économiques de notre époque
– Il faut également maintenir un haut niveau de qualification. Nous avons un réservoir de 4 000 stagiaires qui sont en formation pour une durée de six à sept ans. Mais la libre circulation des professionnels en Europe nous pose problème même si nous avons négocié une dérogation au traité de Rome pour « raison impérieuse de sécurité ». Cette qualification est primordiale sinon ce sera le démontage de la profession. Nous avons réussi à maintenir ce système même si certains Tours Opérateurs font du « clés en main » avec des moniteurs non agréés.
Nous sommes « profession pilote » pour définir une carte professionnelle européenne. Douze pays nous ont rejoints dans ce dispositif.
– mais le plus grand défi, c’est la satisfaction du client et sa fidélisation.
Le ski a un coût. Une semaine de cours, c’est 150 €. Plus le reste. Ça devient du luxe ?
C’est aussi pour cette raison que nous devons offrir une prestation au top, un travail de qualité, de la valeur ajoutée même si nous avons enregistré une croissance de 6 % l’année dernière en 2013.
Et la sécurité ?
C’est une préoccupation permanente dont on n’a jamais fait le tour. Chaque année, nous progressons mais le risque zéro n’existe pas. À la suite des accidents successifs de télésiège, l’an passé, nous nous sommes tous mobilisés, ministère, remontées mécaniques, moniteurs pour trouver des solutions. On se méfie toujours des accidents et surtout des sur réactions comme après le malheureux accident survenu à Mickaël Schumacher.
Y a-t-il une judiciarisation à l’américaine en cas de problème ?
On compte 4 000 rapports d’accidents par an rédigés par les moniteurs. La plupart sont bénins. 80 dossiers prennent la forme de réclamations (parents, assurances) et seulement une vingtaine passent devant les tribunaux quand il y a eu dépôt de plainte. Dans certains cas, il y a condamnation mais c’est rare. À ma connaissance, il n’y a pas eu de condamnation au pénal d’un moniteur. Ce dernier est bien sûr responsable devant ses clients et il est couvert par une assurance professionnelle qu’il souscrit via le Syndicat pour le civil.
Un moniteur peut-il être licencié ?
Non, le terme « licencié » n’est pas approprié. Mais ses collègues peuvent estimer que son comportement nuit à l’image de l’ESF et lui demander de ne plus exercer avec eux.
Comment se passent les recrutements ?
Comme dans tout recrutement, on demande d’où vient la personne, ce qu’elle a réalisé. Si nous avons du travail, il démarre. Et si cela se passe bien, s’il est ponctuel, pro, fait preuve d’un bon esprit, s’il parle des langues, l’école envisagera de l’intégrer comme permanent s’il le souhaite.
L’anglais ?
Un certain nombre d’organismes ont des modules spécifiques pour nous. Les ESF demandent un test de langues pour ceux qui souhaitent accompagner les clients étrangers, et dès lors qu’ils sont reconnus dans leur compétence, ils sont choisis.
Les autres langues ? Les autres nationalités ?
Par ordre décroissant de clientèles, nous avons les Anglais, les Belges, les Hollandais, puis les Russes (en croissance) mais pas encore de Chinois, on s’y prépare. Nous sommes devenus le prestataire exclusif du Club Med. Pour la petite histoire, le Club avait ses propres moniteurs salariés. À la suite d’un accident et de la condamnation des dirigeants, ils ont externalisé cette mission en la confiant à l’ESF.
Nous avons une quinzaine de moniteurs en Chine, 3 professionnels et 12 jeunes en formation. C’est un peu notre « campus » chinois puisqu’on va faire tourner les équipes, d’année en année. Les Chinois ne savent pas ce que c’est que la neige et le ski mais quand ils viendront en France pour skier, ils s’inscriront chez nous parce qu’ils nous reconnaitront.
Avez-vous des questions sur les Écoles de commerce ?
Je suis content de vous rencontrer et je crois que nous avons des élèves en commun…
Oui, c’est une passion pour certains et nous les encourageons à poursuivre dans le cadre de leurs études quand cela est possible. Nous sommes tous les deux dans une relation client exigeante. Nos étudiants paient des frais de scolarité élevés et attendent un service en retour de qualité. C’est pourquoi les cuors sont évalués – on est à 4,1 sur 5 -, nous avons donc des préoccupations communes.
Comment construisez-vous cette notion d’appartenance ?
Ce qui fait la différence avec d’autres écoles, ce sont les services que nous apportons et un réseau pour la vie. Cela construit le sentiment d’appartenance, avec la réussite du concours d’entrée qui est très sélectif.
L’appartenance, est également une composante très importante chez nous. Depuis 8 ans, nous organisons une cérémonie pour la remise des diplômes. La médaille de moniteur, c’était quelque chose. Du coup, nous avons voulu mettre en valeur ce moment fort. Chaque année, à Chambéry, « Rouge Légende » est attendue par tous. On remet la médaille lors d’une grande cérémonie et on fait la fête ensuite !
C’est devenu un repère, même les moniteurs « verts »[2], nous demandent s’ils peuvent venir car ils pensent qu’ils n’auront pas leur diplôme sans la participation à l’événement ! Ce n’est, bien sûr, pas le cas mais cela prouve que nous avons créé de la valeur, une appartenance. Je veux continuer ce travail, avec le congrès national qui explique les politiques du Syndicat, et faire venir des jeunes pour qu’ils suivent les délégués élus et préparent la relève. Ils prennent la mesure de ce qui se passe, c’est planter pour l’avenir !
Chez vous, c’est la sortie qui crée l’appartenance, chez nous, c’est plutôt l’intégration avec le succès au concours, puis tout au long de la vie, nous devons l’entretenir. La remise de diplôme est un temps fort que nous n’avons pas souhaité « à l’américaine » avec toges, etc. Nous remettons une écharpe façon « Miss France ».
Parmi nos 6000 étudiants, le tiers est constitué d’étrangers. Donc de moins en moins arrivent en sachant skier. Nous organisons, chaque année, l’Altigiss Challenge que nous souhaitons positionner comme la Coupe du monde de ski universitaire.
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