MOOCs : les questions clé pour bâtir sa stratégie
Certains sujets enflamment la galaxie de l’Enseignement supérieur. Au top du classement en ce moment, c’est vraisemblablement le MOOC – Massive Open Online Course (ou Formation en Ligne Ouverte à tous). Alors même qu’un récent sondage Médiamétrie révèle que 61% des Français ignorent ce dont il s’agit, voici les questions clé que j’ai rassemblées au cours de ma veille régulière des médias et des agences spécialisées sur ce thème, complétées de ma vision stratégique.
Du côté des producteurs de MOOCs
Vers de nouvelles pédagogies ?
Le MOOC est vécu comme un vrai moteur de changement. Il va servir à repenser la pédagogie (selon Marc Mézard, directeur de l’ENS Paris) mais dans un registre contraint puisque l’attention soutenue devant un ordinateur n’excède pas les 15-20 min max (cf Lucien RAPP Professeur à l’Université de Toulouse). Même vision pour Thierry Karsenti, de l’Université de Montréal, LE spécialiste canadien des MOOCs dans son article Révolution ou simple effet de mode ?
Le MOOC permet de tester de nouvelles pédagogies voire d’imaginer déjà la suite selon Cécile Dejoux, du Master RH CNAM qui milite pour une « pédagogie inductive ».
Ces changements dans la pédagogie vont également résulter de l’analyse fine des usages grâce aux données utilisateurs. Google finance déjà des programmes expérimentaux à l’université Carnegie Mellon (USA). Le MIT et Harvard mettent à disposition un « Open data » éducation avec 13 ans de leurs données utilisateurs de formation en ligne.
Les MOOCs touchent de nouveaux publics (étudiants à l’étranger ou nationaux à l’étranger, pays en voie de développement, minorités sous représentées) ou permettent de travailler de manière réactive sur des thèmes d’actualité (Coupe du monde, indépendance de l’Écosse) comme le pratique l’Université d’Edimbourg.
Quels modèles ?
Les créateurs de MOOCs vont-ils se rassembler en communautés autour deportails thématiques ou linguistiques ? Les francophones disposent d’« OCEAN » qui regroupe six institutions de l’Enseignement supérieur ou de Digischool qui recensent l’existant.
« Massive » (Ouvert) vs « Small private » (privatif) : MOOC ou SPOC ? : les premiers sont des « têtes de gondole » internationales pour développer la notoriété, les seconds très efficaces pédagogiquement selon la définition du Président de l’Université Cergy-Pontoise, François Germinet.
Sont-ils en passe de devenir une nouvelle manière de voir la formation en entreprise (Les Echos) ? Par une formation à la demande, ouverte sans passer par la case service formation ? Par du coaching interne, des tiers extérieurs ? Ce sont les COOC « Corporate Open Online Courses ».
Certaines entreprises vont ainsi recruter leurs employés en leur faisant suivre des « Nano-degrees » (cours d’informatique), diplômes en ligne d’AT&T via la plateforme de MOOCs UDACITY. (Le Monde Eco&Entreprises, 1/1/2014).
D’autres pensent comme Guy Mamou-Mani (Syntec numérique) que les Moocs sont une opportunité pour développer la formation continue universitaire.
Sur le plan économique et stratégique, nous vivons le paradoxe du gratuit avec une image de philanthrope qui cache une stratégie agressive de recrutement des meilleurs. Le modèle idéal n’existe pas. Ce dispositif peut fonctionner selon une palette de possibilités, d’après Cédric Prunier (ESCP Europe). Certains pointent déjà les limites de l’évaluation si les moyens financiers ne sont pas auy rendez-vous.
Du côté des utilisateurs de MOOCs
Quelle certification, quels usages ?
Pour faire face à l’illisibilité croissante de l’offre, Marc Mézard de l’ENS défend l’idée de certifications tandis qu’un étude de juin 2014 de la Harvard Business Review estime que ce n’est pas forcément une nécessité pour les utilisateurs, les MOOCs ne se substituant pas aux programmes existants. Mais quelle valeur auront-ils lance The Guardian (16/6/14) ?
Attention également à l’assimilation des MOOC aux « cours par correspondance » souligne Thierry Karsenti. Vont-ils créer des communautés d’utilisateurs impliqués dans le processus pédagogique ou de création, ou rester de « simples » systèmes d’apprenants « passifs », évalués à distance ? Question que pose Matthieu Cisel, du blog Educpros La Révolution MOOC.
On note le développement de MOOCAMPs collaboratifs comme le souligne Jean-Marie Gilliot de Telecom Bretagne. Et de MOOCAMP day sur FUN (France Université numérique) avec le choix par le public du meilleur MOOC.
Pour Thierry Karsenti, il est certain que les apprenants vont développer de nouvelles compétences (autonomie, informatique) et de nouveaux usages.
Fixer le cap et la stratégie
Ces questions affluent pour le décideur, le professeur, l’étudiant… Si les cartes de l’Enseignement sont en train d’être rebattues par un impact du numérique toujours plus fort, il faut lui donner sens. C’est le rôle des décideurs de l’Enseignement supérieur.
Que l’on ne se trompe pas de débat. Même si je considère le MOOC comme un outil fabuleux, il n’est pas la solution à tous les maux de l’Enseignement supérieur (et plus particulièrement en France) .
Comme je l’ai expliqué à maintes reprises, le MOOC n’est rien s’il n’est pas intégré dans une stratégie d’établissement globale et co-construite avec toutes les parties prenantes : professeurs et étudiants mais également personnels administratifs et supports. Il doit être le fruit d’une réflexion d’une équipe pédagogique et d’une équipe d’ingénierie.
On a beaucoup entendu parler les créateurs de MOOCs… mais il n’y a pas à avoir de vision dogmatique. De nombreux modèles vont cohabiter tant économiquement que pédagogiquement. L’essentiel est de bien prendre en compte sa stratégie d’établissement sinon le résultat peut se révéler décevant voire contre productif.
Les utilisateurs ont été beaucoup moins écoutés. Pour les établissements, le MOOC sera une belle opportunité de développement y compris pour les moins dotés. Mais créer, seul dans son coin, un MOOC risque d’en limiter l’intérêt et la visibilité. Comme se sont développés des bouquets de chaînes thématiques, je crois au développement de hubs. Une manière de mutualiser les moyens et d’augmenter leur impact des MOOCs sur leurs publics en associant des établissements traitant de disciplines différentes ou même des établissements concurrents. FUN (France Université Numérique) est un premier exemple, d’autres vont suivre…
J’insiste sur deux aspects très importants :
- L’attrait des entreprises est patent comme le montre les prochains MOOCs ou SPOOCs d’entreprise (cf AT&T sur UDACITY). Demain la formation des salariés et le recrutement de talents s’orienteront vers ces nouveaux outils adaptés aux nouvelles générations et à la recherche de nouvelles compétences.
- La montée en puissance de GOOGLE. Je le répète, demain mes concurrents s’appelleront peut-être Google et Amazon. Ces géants de l’Internet investissent massivement (et relativement discrètement) dans l’économie de la connaissance et du savoir, clé du pouvoir au XXIème siècle.
Révolution ou évolution ? L’avenir nous le dira. Tout va très vite. Quelle sera la prochaine rupture/mutation des prochaines années ? Nous avons grandement besoin de mobiliser et de nourrir notre réflexion. Nos chercheurs en Science de l’Éducation doivent s’investir sur ces questions en ciblant les notions d’usage et les modèles économiques. Les Anglo-Saxons disposent d’une littérature abondante ce qui n’est pas le cas en France.
Mobilisons-nous !
Je partage l’avis de M Fiorina, sur l’émergence probable de « hubs » permettant de mutualiser les moyens et de cibler des populations d’étudiants.
Si l’Université française a réussi à engendrer France Université Numérique, la logique voudrait que la Conférence des Grandes Ecoles se dote elle aussi d’une plateforme identifiable et ambitieuse…