Billet co-écrit par Stéphan BOURCIEU, Directeur général ESC Dijon-Bourgogne, Vice-Président de Passerelle ESC et Jean-François FIORINA, Directeur de l’ESC Grenoble, Président de Passerelle ESC.
« Chasser en meute à l’export ».
Combien de fois a-t-on entendu cette expression comme solution au déficit du commerce extérieur français ? De Pierre Lellouche à Arnaud Montebourg, en passant par Fleur Pellerin ou encore Pierre Gattaz, nos responsables politiques et économiques exhortent régulièrement les dirigeants de PME et de grands groupes à chasser en meute, comme savent si bien le faire les Allemands, les Américains et les Chinois.
Il est vrai que sur le papier une telle approche semble évidente. Pourtant, le fossé reste souvent très important de l’intention à la réalité du terrain :
- les grands groupes et les PME ont du mal à trouver des modes de coopération efficaces qui permettraient ainsi aux secondes de bénéficier de la puissance de négociation et de l’organisation des premiers.
- les dirigeants de PME ont souvent du mal à sortir des rivalités concurrentielles nationales, alors même que la coopération entre les entreprises (y compris concurrentes) est indispensable pour proposer une offre cohérente et avec la taille critique suffisante sur les marchés internationaux.
- Et plus généralement, la culture française ne pousse pas à la coopération tant horizontale que verticale entre les entreprises, comme c’est le cas par exemple dans les districts industriels italiens. Les pôles de compétitivité ont certes amélioré ces pratiques, mais ils sont encore récents (moins de 10 ans) à l’échelle du changement culturel que cela représente.
Ces pratiques de chasse en meute se mettent néanmoins e-progressivement en place dans de nombreux secteurs. Dans ce domaine, les Grandes Ecoles de management, qui forment une partie des cadres et dirigeants des entreprises se doivent de montrer l’exemple en s’inscrivant dans ce mouvement. C’est ainsi que depuis cinq ans, des Ecoles membres de l’Association Passerelle Grandes Ecoles, ont initié une telle pratique pour accroitre leurs recrutements d’étudiants internationaux.
Pendant longtemps, chacune des Ecoles du consortium PassWorld (ESC Dijon-Bourgogne, Grenoble Ecole de Management, EM Normandie, Novancia Business School Paris, EM Strasbourg Business School, Télécom EM) a assuré seule sa promotion et son recrutement à l’international, avec des résultats pas toujours très probants. Il faut dire que le monde de l’éduction au management est vaste, totalement atomisé (chaque jeune engagé dans des études supérieures étant un candidat en puissance), marqué par la prédominance des formations anglo-saxonnes (au premier rang desquelles les Etats-Unis, la Grande Bretagne ou l’Australie) sans compter les Québécois qui depuis fort longtemps et avec succès « chassent en bande » en France (et notamment dans les banlieues). Dès lors, les Ecoles prises individuellement n’ont ni la palette suffisante de programmes ni l’organisation et encore moins les ressources pour couvrir convenablement les différents marchés à l’international.
Après cinq années d’existence, le dispositif PassWorld a pleinement prouvé son efficacité. Les Ecoles membres, pourtant concurrentes sur le marché français, ont accepté de mutualiser des moyens (une équipe dédiée, des agents commerciaux implantés dans les différents pays, un budget communication, un concours) pour aborder les marchés internationaux dans de meilleures conditions possibles. Et cela marche ! Après un lancement timide, avec un nombre de candidats limité à quelques dizaines, ce sont désormais plusieurs centaines d’étudiants internationaux, essentiellement originaires d’Asie, d’Afrique et d’Europe qui rejoignent les différents programmes des Ecoles du consortium. Depuis la promotion jusqu’à la phase de sélection, les Ecoles sont clairement dans une logique mutualisée, « afin de mettre un maximum de candidats dans l’entonnoir ». Ce n’est qu’à l’issue de cette phase de sélection que chaque école va jouer sa carte pour convaincre les candidats sélectionnés de les rejoindre.
Au final, les moyens et les coûts sont mutualisés. Cela permet une présence commerciale plus forte sur les marchés. L’offre mutualisée offre aussi aux agents un panel plus important de spécialisations à présenter, ce qui renforce l’attractivité de l’offre de formation française. Et pour le candidat, ce dispositif garantit plus de transparence en matière d’information, un processus de sélection unique et l’assurance de rejoindre des Grandes Ecoles reconnues[1]. Chaque Ecole bénéficie très directement d’une attractivité plus forte, tout en conservant une totale indépendance : voilà une démonstration factuelle que la coopération peut être une approche alternative crédible aux fusions et à la constitution de grands ensembles, souvent mis en avant dans l’enseignement supérieur. L’expérience de la collaboration est également un facteur important puisque ces écoles ont l’habitude depuis de nombreuses années de travailler ensemble. La confiance est un élément clef.
L’économie de la connaissance est aujourd’hui un enjeu stratégique majeur à l’échelle mondiale. Dans ce contexte, la capacité des établissements français d’enseignement supérieur à chasser en meute à l’international est une condition sine qua none de l’attractivité de nos formations. Nos concurrents étrangers, qui disposent de moyens considérables, l’ont très bien compris. Ne perdons pas cette bataille. Ce serait dommage au vu de la place (importante) des écoles françaises dans les classements du Financial Times.
[1] Les six Ecoles membres du consortium PassWorld confèrent le Grade de Master du Ministère en charge de l’enseignement Supérieur. Quatre d’entre elles possèdent également une accréditation institutionnelle internationale (AACSB ou Equis), garante de la qualité et de la réputation de ces Business Schools à l’international.