Avant de me lancer dans leur analyse, je reste émerveillé et enthousiaste : il n’y a plus aucune limite dans l’optimisation de l’apprentissage. Si je prends ma casquette de professeur – j’ai enseigné, l’international, la stratégie, la finance ou la géopolitique – les perspectives de développement et d’application sont quasiment illimitées dans ce que je peux enseigner, valider, montrer, vérifier auprès des étudiants. C’est fantastique ! Par contre, attention au faire, à la mise en place, au suivi. Cela nécessite des préparations gigantesques.
Comme vous le savez, j’effectue une veille active sur la question de l’école du futur. En ce début d’année 2015, pas mal d’actualité me concernant : je participe au groupe de travail « École du futur » de l’Institut Montaigne ; j’ai également rencontré Apple Education et notre réseau social d’entreprise, Gemunity, est lancé à Grenoble École de Management.
Tout ceci provoque cette réflexion sur l’école du futur. Je vous propose ma lecture de ses tendances en ciblant 5 mots clés :
- Une certaine banalisation du MOOC ? Il a été LE mot clé de l’école du futur en 2014 C’est à la fois un fantasme, une peur, une réalité. Je fais cependant le constat qu’il se démode. On s’oriente vers des déclinaisons de type Spooc d’entreprises et autres.
Mon avis sur les MOOCs n’a pas changé. C’est un dispositif qui s’est installé dans le paysage et pour lequel il y aura, sans doute, de nouvelles déclinaisons. Sans véritable politique de marque associée et de bouquets thématiques, ils ne fonctionneront pas. J’en suis de plus en plus convaincu, les MOOCs entrent dans la stratégie globale des Établissements.
- Le deuxième mot clé, c’est la « flipped classroom » ou « classe inversée ». Elle s’impose et plaît. C’est interactif, il y a de l’échange, de l’expérimentation, du travail en équipes. Le rapport au professeur change.
Cela suppose que la salle de classe soit également un espace équipé et relativement vaste pour permettre le travail en sous-groupes. Il faut donc prévoir des aménagements à la fois conséquents et obligatoires. Les permutations d’espaces et de géométrie doivent se faire à très grande vitesse, couplés à l’usage de technologies très fonctionnelles. La « flipped classroom », c’est top mais elle a un coût. Ce n’est pas non plus la solution universelle, elle s’adapte à certains cours.
- Le Social Learning, au-delà du MOOC, nous sommes, ici, dans une approche sociale de l’apprentissage par les réseaux. Des communautés d’apprenants ouvertes ou fermées se créent via Facebook ou Youtube. Les étudiants avec ou sans leurs enseignants créent des espaces pour partager des infos, des revues de presse, des ressources, des vidéos pour approfondir ou réagir à l’actualité. Certains masters à distance vivent ainsi de manière active en postant une demi-douzaine d’infos ciblées par semaine. Cela maintient le lien et permet d’aller plus loin pour les plus motivés.
On va construire le manuel de cours avec des applis de création d’ebooks. C’est le polycopié à l’ancienne ! Les étudiants pourront le documenter au fur et à mesure avec ce que j’ai dit en cours, lors des discussions. Ils pourront développer en fonction de leurs recherches, de leurs goûts personnels, des orientations que je leur aurais données.
- Quatrième mot clé, le « big data », autre star du lexique éducatif 2014 ! Mis à toutes les sauces, comment va-t-il être utilisé dans l’éducatif ? Je pense au Design Learning ou Learning analytics qui permettra d’optimiser le parcours d’un étudiant ou d’une cohorte d’étudiants pour suivre et adapter les scénarios, définir des profils.
- Dernier élément, les Edtech, c’est-à-dire tout le nouvel écosystème qui est en train d’émerger. Je crois beaucoup à la notion de Clusters en la matière. Il nous faut une filière française des Edtechs au service des établissements. Beaucoup d’étudiants et de jeunes diplômés veulent se lancer dans le domaine, ce qui prouve que l’éducation leur parle.
Antoine Amiel de la “French Tech Education” montre bien que les levées de fonds sont de plus en plus importantes pour ce type de start-up. Selon le cabinet Ambient insight, plus de 2,3 milliards de dollars ont été levés en 2014 (+43 % sur un an) pour les entreprises e-éducatives. Beaucoup font dans la mise en relation, les langues, le tutorat… Une filière déjà classifiée il y a un an et demi par Jessica Gourdon dans le journal de SFR. Elle reste d’actualité.
Imaginons quelques exemples d’application de l’école du futur, par exemple, au cours de stratégie internationale que j’ai enseigné :
- Les MOOCs pourraient servir à approfondir, via une liste labellisée, une partie du cours pour un étudiant qui souhaite en savoir plus, se spécialiser sur une région ou sur un domaine. Je pourrais également m’en servir comme pré requis pour être certain que tous les étudiants ont bien le même niveau d’information au démarrage.
- Sur la « flipped classroom » : imaginons un séminaire de deux jours.
- Je vérifie dans la première partie qu’ils ont tous les mêmes notions. L’outil est un MOOC dont les résultats me permettront de le savoir et éventuellement de revenir sur certains points.
- Un chef d’entreprise intervient, ensuite, par visio-conférence. Il explique sa problématique. Les étudiants vont se répartir en différents groupes pour réfléchir à la problématique (définir une stratégie, une présence à l’international ou une stratégie de communication à l’international d’une start-up, etc).
- Je prends le relais en mode classe traditionnelle pour faire quelques rappels de cours. Certains ne sont au point sur un domaine. Par exemple, qu’est-ce qu’une communication locale, adaptée ou globale ?
- Ensuite, travail de groupes, sans changer de salle. Je fais moi-même une partie de la présentation des premiers travaux en prenant la main sur leur ordinateur et en projetant leur réflexion sur tous les tableaux de la salle. Chaque groupe projette sur un coin de mur, tous ont une vision à 360° donc je peux intervenir.
- Une session de questions/réponses est engagée avec le chef d’entreprise.
- Je reprends la main à un moment donné pour faire quelques rappels de cours avec cartes et simulations géopolitiques.
- Les étudiants retravaillent et rendent leurs travaux : ils présentent leur projet devant le chef d’entreprise .
Nous avons été constamment en mode « allers/retours ». Nous sommes restés dans la même salle, mais les postures pédagogiques ont été différentes et rendues possibles. La « data », outil transversal, permet l’analyse des données, d’évaluer en mode « assessment center ». Selon les résultats, je vais assigner un rattrapage ou un complément spécifique pour chaque étudiant.
Voilà pour cette vision prospective d’un cours dans l’école du futur. Encore un fois, vous mesurez mon enthousiasme et ma passion. Par contre, je confirme ce que j’ai toujours dit :
- cela marque bien le retour de la pédagogie, parce qu’il faut imaginer, scénariser, mettre en place,
- il faut anticiper, préparer, répéter encore plus pour ne pas être pris au dépourvu,
- la techno reste un outil d’optimisation et d’accélération, et non une fin en soi,
- le design de l’espace et l’organisation des salles est important,
- sans système d’information performant n’y pensez pas,
- cela coûte plus cher.
L’actualité montre également que cette école du futur a d’autres éléments à prendre en compte. Et c’est notamment toutes les mesures qui ont été prises à la suite des évènements tragiques des 7, 8 et 9 janvier.
Je ne suis pas tout à fait d’accord avec elles, en tous cas, j’aurai l’occasion de revenir sur ces questions dans mes prochains posts. Former à la laïcité, c’est bien. Mais tout se passe en amont par la maîtrise de savoirs fondamentaux, l’enrichissement par la culture générale, le son sens critique afin d’aborder le fait religieux, toutes les cartes en main. C’est la connaissance qui efface l’obscurantisme. Donc la compréhension d’une culture est fondamentale. Elle ne peut se faire sans solides fondations de culture générale.
Finalement, ce qui transparaît, c’est que l’école du futur, si elle se résume à de la technologie, on se fourvoie totalement puisqu’il s’agit de pédagogie revue et corrigée.
Et tout ce qui fait la mondialisation des cultures est également un retour à la culture générale, parce qu’en fait, ce sont les clés de la compréhension de la complexité et de l’altérité.