Réflexion planétaire, l’école du futur est au cœur des débats avec une belle illustration que ces deux articles contradictoires sélectionnés dans le dernier numéro de Courrier International (pages 38 à 42), l’un du Washington Post (Kevin Carey), l’autre d’Atlantic (Derek Newton). Si je suis entièrement d’accord avec le premier dont la vision est (un peu) angélique sur l’école digitale ; le second aborde avec pertinence le poids – essentiel – de la marque et de l’établissement dans la chaîne de valeur éducative.
L’article du Washington Post corrobore et confirme ce que j’ai toujours énoncé : l’école du futur est une nouvelle forme d’intelligence, une intelligence « artificielle » avec usage intensif, et de plus en plus sophistiqué, du big data. Les organisations l’intègrent dans leur projet éducatif mais également dans le recrutement de leurs étudiants, pour asseoir leur marque à l’échelle planétaire. Google et Amazon seront, d’ailleurs, nos principaux concurrents. Ne sont-ils pas les plus grands experts de la data ? Peter Norvig, chercheur de réputation mondiale, assure désormais chez Google le développement de systèmes d’apprentissage automatisés et d’intelligence artificielle. Les universités (et écoles) seront donc mis en concurrence avec de nouveaux opérateurs dont les business modèles sont basés sur la certification. On assiste à une industrialisation du « sur mesure » éducatif.
« Le modèle sera bouleversé, les universités n’auront plus besoin d’engager des centaines de profs et de construire des bâtiments hors de prix pour héberger les bureaux … » Là je ne suis pas tout à fait d’accord avec Kevin Carey dans son article du Washington Post. L’école du futur rend encore plus nécessaire la définition d’une mission et de ce qu’elle apporte à la chaîne de valeur éducative. Si de nouveaux opérateurs apparaissent, les anciens ne disparaîtront pas. Il y aura besoin d’investissements !
Autre question, plus axée sur le modèle économique. L’école du futur a besoin d’une grande crédibilité dans ce qu’elle délivre. Oui, ce sera plus facile de rayonner, mais le coût à assumer est gigantesque. Comme l’explique le journaliste d’Atlantic, les établissements « … ne sont pas des playlists » dans lesquelles on pioche à volonté. Je suis entièrement d’accord. On en revient à cette fameuse chaîne de valeur éducative, il faudra assurer de la cohérence dans une offre de plus en plus diverse. Ce sont les établissements qui assureront ce service.
Ils permettront d’aller plus loin, de maintenir le bon rythme d’apprentissage,, d’ « apprendre à apprendre », d’accompagner, d’apporter des services. La marque sera un élément extrêmement important. Les plus grandes (cf les exemples américains) ou les plus innovantes risquent de devenir encore plus influentes tandis que les établissements, à partir du milieu de tableau, perdront du terrain. D’où la nécessité de peaufiner sa stratégie par des alliances, des mutualisations, des stratégies de niche et de visibilité. Créer de la valeur ajoutée et de la visibilité, seul salut, j’en reviens à la chaîne de valeur éducative ! Pour éviter – petite analogie avec le monde de la presse – de se retrouver dans la situation d’un excellent post de blog qui risque de passer inaperçu noyé dans l’océan du web alors qu’un article du Monde ou du Figaro, peut-être moins pertinent, sera mille fois plus visible…
La grande question est de savoir ce que j’enseigne :
- ce que j’ai créé ?
- ce que d’autres ont créé ?
Avec quelle valeur ajoutée ? Quelle valorisation ? Quelles certifications ? On assiste à l’éclatement de la chaîne de valeur éducative sous la pression du numérique et de nouveaux entrants. De vraies logiques d’entreprises s’installent avec, à la clé, de nouveaux modèles économiques.
Je ferai donc un post, d’ici l’été, sur ce sujet.
Merci d’avoir attiré mon attention sur ces deux articles. Je partage vos vues en grande partie mais attention, ce qui est valable de l’autre coté de l’Atlantique, ne l’est pas forcément de notre coté où le coût de l’éducation est beaucoup moins élevé.
Comme nous l’écrivions avec JC Pomerol, dans le livre que nous avons publié en mai dernier, les « grandes universités » et surtout les « grandes écoles » sont moins en danger car les étudiants et leurs parents viennent chercher une marque. Par contre les « petites », surtout au niveau de la licence peuvent être mises en difficulté. C’est d’ailleurs les collèges et plus précisément les community colleges que vise Daphne Koller de Coursera lorsqu’elle déclare dans une interview à la Wharton school, référencé dans Educpros il y a deux mois : « Mieux vaut un bon MOOC qu’un mauvais college ».
Toutes les institutions néanmoins vont être impactées et vont devoir employer massivement un enseignement mixte. Cela signifie moins de cours en face de professeurs mais plus de lieux d’échange entre étudiants et de mentoring personnalisé par les professeurs (voir mon blog il y a un mois). C’est justement là une chance pour les « petites universités » : si elles sont capables d’offrir un accueil plus convivial et une personnalisation plus poussée des interactions entre étudiants et professeurs, elles tiendront leur rang face aux « grandes ».
Dernier point : vous le dites également. La transformation sera couteuse et difficile : il faut créer de nombreux cours en ligne. Cela coute cher et il faut des enseignants. Nous avons notre chance : l’esprit de mutualisation est plus poussé en France que dans bien d’autres pays. Par contre il faudra faire accepter par les collègues le fait de travailler avec des cours développés par d’autres.
Merci encore.
Quelques remarques sur la « fin des diplômes »
1) D’un point de vue purement logique il est difficile de se proclamer d’accord avec deux positions totalement contradictoires.
2) Adhérer à la position à la mode, selon laquelle l’étudiant va décider de son propre cheminement, suppose que celui-ci a une bonne connaissance préalable de la « géographie » de l’univers de connaissance dans lequel il s’engage. Ce qui est une hypothèse audacieuse.
3) C’est justement aux établissements de concevoir une offre qui leur permet de dire : « si vous voulez aller vers tels emplois, voilà le chemin qu’il faut suivre ».
4) Un diplôme est un acte de certification qui s’adresse au monde extérieur. Dire que le choix de son parcours par l’étudiant signifie la « fin des diplômes » est ne rien comprendre à ce qu’est un diplôme.