Le blog de Jean-François FIORINA

Fusions : pas de formule magique

Fusion écoles, fusion des universités, FBS, stratégie de fusionRetour sur ce mot qui a mis la communauté de l’enseignement supérieur en « fusion » : fusion des universités, des business schools, « accident industriel » FBS, fusions des écoles d’ingénieur souhaitées par Bercy. Une tendance à la fois internationale et qui ne touche pas seulement l’enseignement supérieur en témoigne le récent feuilleton de la fusion Lafarge/Holcim. Il nous rappelle qu’on ne navigue pas sur un « long fleuve tranquille » alors que la probabilité d’échec des fusions d’entreprises avoisine le un sur deux.

Il n’y a, non plus, de bonne ou de mauvaise stratégie pour un établissement de l’enseignement supérieur. Mon propos est de discuter de la fusion comme d’une alternative parmi d’autres. Ce n’est en aucun cas une critique de ce qu’ont engagé mes collègues. Qu’aurais-je fait à leur place ? Il y a tellement de paramètres qui dépendent de l’environnement, de l’histoire, du passif, de l’actif… Attention, par contre, à ne pas tomber dans le dogmatisme béat devant les fusions.

Dans le monde des business schools, le résultat des fusions est contrasté :

  • certaines ont été des réussites : ESCP/EAP mais rappelons nous tous les débats et incertitudes de l’époque ; IECS Strasbourg/IAE selon un montage, certes, un peu compliqué pour être intégrées dans l’université ; SKEMA,
  • d’autres sont en cours de stabilisation comme Néoma et Kedge,
  • ou elles se sont avérées des échecs comme FBS (France Business School)…

Ces fusions ne sont pas synonymes d’économies. Bien au contraire, la coordination et de la communication (nom/logo, etc) coûtent surtout au démarrage. Et c’est un projet long terme…

Elles ne sont pas, non plus, réservées au monde des écoles de management. Les universités sont en train de fusionner (à Strasbourg ou à Aix/Marseille) ou non, comme à Rennes.

Les écoles d’ingénieurs ne sont pas en reste avec Supélec/Centrale et il apparaît que Bercy pousse dans cette direction… L’État apprenti-sorcier ? La course aux « mariages forcés » n’est-elle pas du registre de la posture et de la recherche d’économies encore non avérées ? Les cultures des établissements sont souvent radicalement différentes y compris dans les secteurs scientifiques.

C’est également un mouvement planétaire, l’université de Taiwan se pose les mêmes questions.

4 critères à respecter

La fusion n’est pas forcément la panacée. Mal maîtrisée, elle peut tourner à la catastrophe. Pour les écoles dire qu’il suffit de fusionner pour être le meilleur dans les classements, n’est pas sérieux. Je vois quatre critères principaux à respecter :

  • Quelle est la vraie valeur ajoutée d’une fusion ?

Cette valeur ajoutée se situe dans la fusion d’établissements aux activités et aux cultures complémentaires dans lesquelles les querelles d’ego n’ont pas leur place. Elle ne peut se faire que dans un objectif partagé à moyen/long terme, ce qui est paradoxal dans notre monde à grande vitesse. Particulièrement dans celui des grandes écoles de management. Est-ce compatible ?

Quand on regarde du côté des entreprises, même constat. D’après Les Echos, sur Les quatre raisons qui font échouer les fusions d’entreprises (2014), arrivent en tête le manque de synergies et les problèmes humains. Il y a forcément un premier et un « lésé ». En fonction des langages, on est plutôt dans le « qui a racheté l’autre » plutôt que sur des opérations à égalité. Les fusions qui échouent dans le monde des entreprises illustrent aussi celui des écoles. Il est très compliqué de pratiquer la fusion « coopérative » plutôt que la fusion « compétitive ».

La fusion ne peut fonctionner que si elle rend les établissements/entreprises plus forts qu’ils ne l’étaient séparément. C’est la formule : 1 + 1 = 3.

Lafarge/Holcim, Omnicom/Publicis, Renault/Volvo constituent de très bons exemples théoriques. Sur le papier, c’est parfait. Mais cela n’a pas fonctionné. Lafarge/Holcim, fusion idéale que l’on pouvait enseigner en étude de cas de stratégie ? Il a suffit d’un grain de sable pour bloquer la machine. Il faut veiller à ne pas transformer une réflexion en dogme.

  • Avoir un dirigeant qui « mouille la chemise ».

Cela demande un investissement total et permanent de la part de dirigeants reconnus. Un travail à envisager sur le long terme pour expliquer, évangéliser, faire de la pédagogie sur le projet, mobiliser les équipes.

  • Un statut et une gouvernance qui permettent d’agir.

Le nouveau statut des écoles de commerce facilitera, peut-être, les démarches et permettra de ne pas trop perdre de temps sur les questions de gouvernance.

  • Prévoir un plan B.

Dès le départ, il faut avoir le courage et la lucidité de prévoir un plan B. Ce n’est pas évident d’intégrer l’option de rebrousser chemin. C’est encore plus difficile de la déclencher… avant qu’il ne soit trop tard.

Pas de modèle unique

Il y a d’autres modèles dans lesquels je crois : l’alliance et la mutualisation. Chacun restant indépendant avec sa propre culture, ce qui lui permet de foncer. Alors même que cela impose une coordination conséquente entre des personnels sans liens hiérarchiques établis.

Cette mutualisation des moyens et des hommes peut être partielle, ajustable même entre concurrents. Renault et Peugeot le sont mais peuvent mettre en commun la fabrication de pièces et de moteurs. C’est peut-être cela l’avenir. Des écoles peuvent investir en commun, partager des ressources.

N’idéalisons pas les fusions en pensant qu’il suffit d’additionner différents éléments pour être les plus forts, bien au contraire, dans certains cas, les catastrophes se produisent très rapidement. À l’heure où l’enseignement supérieur devient un enjeu crucial dans la très forte concurrence internationale, il ne faut pas jouer au « mécano » avec nos écoles.

J’ai également dit qu’il devait y avoir une adéquation claire entre le territoire et le positionnement de l’établissement. Ce que les fusions n’encouragent pas. Je vous exposerai ce point de vue la semaine prochaine !

Commentaire (1)

  1. Olivier Ridoux

    « Pour les écoles dire qu’il suffit de fusionner pour être le meilleur dans les classements, n’est pas sérieux. » C’est tellement rarement dit que ça vaut la peine d’être souligné. Mais alors combien de dirigeants naïfs/malhonnêtes/suivistes qui ont présenté leur projet de fusion/association/comue/etc avec cet argument ?

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