Dans mes lectures du Parisien samedi 2 mai, à peine remis de l’article sur « Le plagiat nouvelle plaie des examens » – coup de projecteur sur la face cachée de l’école du futur – où visiblement certains tirent une certaine gloriole dans la triche technologique -, je tombe sur un deuxième, encore plus dramatique, concernant la dette étudiante américaine ! On savait qu’elle était vertigineuse. Barak Obama l’a confirmé avec une première mesure de garantie des prêts par l’État fédéral. Mais quand on doit partir dans la vie avec -150 000 dollars au compteur, cela fait réfléchir.
Pour des salaires extrêmement élevés et une ascension sociale garantie, pourquoi pas. Mais c’est plutôt la double peine que vivent les étudiants : les dettes sans les emplois à la hauteur de leurs qualifications et aspirations. Et son corollaire pour les établissements de l’Enseignement supérieur : le risque de développement de modèles « fourre tout » proposant une main d’oeuvre moins qualifiée alors que seules les formations d’excellence tirent l’innovation et la croissance économique d’un pays.
J’ai souvent rappelé l’importance du financement de l’Enseignement supérieur. Ne pas prendre en compte ce facteur clé introduit encore plus de déséquilibre entre les établissements : d’un côté, des marques extrêmement puissantes aux des frais de scolarité très élevés donnant accès aux meilleurs jobs ; de l’autre, la très grande majorité de l’Enseignement supérieur – peu attractive – susceptible d’entrainer un exode universitaire vers les pays aux coûts les plus bas. J’ajoute à cela quelques programmes de formation ultra sélectifs pour lesquels il y aura un marché très précis mais peu de places.
Cette large fracture entre les différentes populations étudiantes profitera, je pense, aux pays asiatiques. Ils n’hésiteront pas à récupérer les meilleurs étudiants quelle que soit leur nationalité. Attention, tous les pays ne sont pas logés à la même enseigne !
Un autre élément systémique peut bouleverser la donne : les nouveaux acteurs de l’éducation basés sur d’autres modèles (low cost qui arrive même en MBA, Edtech, MOOC, serious games, certificateurs…). En entrant dans la danse, ils pourraient récupérer une part important de la population étudiante.
Conséquences en cascade
Pour les familles, dans l’hypothèse d’une envolée des coûts de scolarité, ce serait un drame. Certaines devront « choisir » lequel de leurs enfants suivra ou non des études poussées. Encore une fois, les initiés auront les accès, sauront et s’en sortiront. Tous les autres ne pourront suivre. Un système qui risque de s’aggraver, au regard de toutes les projections démographiques étudiantes : on annonce jusqu’à 130 000 étudiants de plus d’ici une dizaine d’années en France (+ 9 % entre 2013 et 2023 selon les projections de la Depp – Direction Évaluation Prospective Performance du ministère de l’Éducation nationale). Même si le poids relatif de notre pays dans la population mondiale étudiante devrait, quant à lui, passer à 1% (au lieu de 2) en 2030 selon une étude récente de l’OCDE.
Cette situation est difficilement tenable quand on sait que nombre d’étudiants souhaitent faire des études de plus en plus longues. Il y a donc un questionnement sur la durée « idéale » des études et le choix du meilleur format. Aux Etats-Unis, certains chercheurs évaluent d’autres mode de classement moins élitistes pour de formations plus courtes. Ce qui nous ramène au rôle de l’Etat « stratège » (voir mon post) dans l’Enseignement supérieur, à son financement que j’ai évoqué souvent dans mes posts. Tout le monde est inquiet, mais tout est fait pour que la crise arrive…
L’Enseignement supérieur qui doit préparer les jeunes générations et les professionnels à faire vivre des situations radicalement nouvelles – les fameuses compétences du XXIème siècle – risque de passer totalement à côté. Par contre, d’autres n’auront pas tout à fait ce type de questionnement.
Quid des entreprises ?
Elles vont également devenir schizophrènes. D’un côté, elles proclament haut et fort que l’Enseignement supérieur est trop inégal, peu lisible, qu’il ne forme pas forcément à tous les métiers. Une enquête parue la semaine dernière dans le Figaro expliquait ces reproches faits à l’université. En conséquence, les branches professionnelles créent leurs propres écoles ou les entreprises leurs propres universités « maison ». À additionner, à créer en permanence, on disperse les forces et les finances. Sont-elles d’ailleurs prêtes à délier bourse ? À mieux ajuster les salaires aux qualifications ? J’ai souvent parlé de mutualisation. Il est urgent d’agir dans ce domaine plutôt que de se diluer.
Tout converge : géopolitique de l’enseignement, mondialisation, école du futur… Nous sommes sur de véritables enjeux politiques, économiques, stratégiques alors que le cap n’est pas donné…
Nous avons vécu dans un monde où chaque génération, a priori, avait progressé par rapport à la précédente, ce qui ne sera peut-être plus le cas. De plus en plus d’étudiants passent par l’université alors que les perspectives d’emploi ne sont plus au rendez-vous. Se posera alors la question de l’utilité de l’enseignement supérieur, de la poursuite des études. Formats courts moins onéreux, formations en entreprise, nouveaux modèles pédagogiques, exode… Agissons avant de subir !
Merci Jean-François pour ce coup de sonnette. Oui, il est urgent d’anticiper. L’excellence de certaines filières innovantes est à maintenir mais il est temps de travailler à l’excellence de filières pour l’instant « fourre-tout ». Et il me semble qu’une des voies de l’excellence de ces filières pourrait être l’excellence de la méthode de travail, de l’adaptation, de l’ouverture, de la créativité. Ce qui passe par l’accompagnement des étudiants de ces filières dans leur construction personnelle pour être agile et bosseur. Ce qui est possible dans le cadre d’expérimentation à modéliser puis essaimer.
Réflexion très pertinente sur la bulle éducative actuelle (non il ne suffit hélas plus de faire des études pour améliorer sa condition, pire encore les coûts sont devenus tels que des études peuvent constituer un fardeau plutôt qu’un atout)
Vous ne poussez toutefois pas le raisonnement jusqu’au bout : qu’adviendra-t-il lorsque cette population étudiante surendettée, sans perspective d’emploi digne de ce nom mais suffisamment éduquée pour se structurer politiquement viendra réclamer des comptes ?