Toutes les déclarations sur la croissance africaine, les conférences et initiatives « Enseignement supérieur » qui s’y déroulent en nombre (EFMD, AACSB, AMBA) et celle actuelle de l’AABS sur le thème « Africa, the success story of the 21st century », notre séminaire du projet INSEAM… me donne envie de parler de la mondialisation de l’enseignement supérieur sur ce continent, et de l’énergie communicative que diffuse ses directeurs d’écoles, professeurs et étudiants. Malgré ses difficultés, ses fortes inégalités, le mouvement est enclenché. Il faudra du temps mais nous avons tout intérêt à nous y intéresser en tant qu’acteurs de l’Enseignement supérieur et bien évidemment, géopolitique, oblige comme outil d’influence !
En préambule, je partage avec vous quatre informations récentes ciblées dans ce secteur qui montre bien que les lignes bougent en Afrique :
- Le conseil maghrébin de l’éducation à Rabat (14/5/2015) sur la question de la performance et des standards internationaux,
- La conférence à Nairobi prévue en juin 2015 sur l’Innovation éducative : quels partenariats pour améliorer la qualité des modèles éducatifs en Afrique ?
- L’annonce du Burkina de faire de l’Enseignement supérieur l’une des priorités nationales et d’y investir 77 millions d’euros.
- La conférence Elearning Africa qui se tient actuellement à Adis Abeba,
- Le lancement par AMBA du réseau ADN (Amba Development Network) pour soutenir les formations des business schools des pays émergents,
Le continent africain intéresse, pourquoi ?
- Un atout démographique encore mal valorisé
L’Afrique est un continent jeune. En 2050, un quart de la population mondiale sera africaine !
Pour nous, Français, c’est une chance et les projections montrent que ce sera une population francophone extrêmement importante.
- Une croissance économique qui ne se dément pas
Même si elle reste inégalement répartie. Les sociétés civiles africaines émergent tout comme les classes moyennes qui placent tous leurs espoirs sur le continent et souhaitent intégrer le processus de mondialisation. Il y a donc un besoin de compétences important limité par une censure sociale encore vive au quotidien, un « rêve américain à l’envers » en quelque sorte… En tout cas pas moins de 18 élections présidentielles vont avoir lieu en Afrique d’ici deux ans, ce qui donnera aux peuples une opportunité de faire entendre leur voix.
La France bénéficie d’une bonne image surtout par ses actions militaires actuelles mais la réussite du changement de posture, du militaire vers l’économique sera cruciale pour renforcer notre influence et nos positions sur le continent.
- Un fort besoin de cadres locaux
Même si le souhait de faire des études supérieures s’accentue – facteurs d’ascension sociale et de prestige, le système d’enseignement supérieur, à l’heure actuelle, ne répond pas aux besoins du marché local. Quantitativement ils ne peuvent pas absorber le flux des demandes, qualitativement, grèves, corruption, manque de moyens, trop forte orientation service public vs entreprises et professionnalisation bloquent le système.
Les opportunités d’études pour les étudiants africains sont, pour l’instant, à l’étranger mais en toute logique, c’est chez eux qu’il faut construire une offre crédible et diversifiée.
Les entreprises françaises doivent également accentuer leur présence sur ces marchés. Comme elles ne souhaitent plus expatrier, le relais doit être pris par des systèmes d’enseignement supérieur sur place pour recruter leurs managers locaux.
J’observe, au cours de mes voyages, un changement de mentalité important. Il y a de plus en plus d’étudiants africains à l’étranger qui souhaitent revenir chez eux pour développer leur propre entreprise ou d’étudiants africains désirant – pour diverses raisons étudier en Afrique et qui envisagent leur avenir de manière positive sur ce continent. Ce sont des observations, des frémissements, des signaux faibles mais il y a une volonté de revenir au pays.
- Des opportunités à ne pas manquer
Le contexte politique actuel est encore un peu compliqué mais c’est en train d’évoluer. Les Canadiens sont déjà extrêmement présents, les Allemands dans certains pays, les Américains vont arriver, les Chinois… Si nous n’agissons pas, c’est un marché qui sera remporté par les étrangers. Il s’agit de contrer la « concurrence » car il n’y aura pas de place pour tout le monde. Quand on regarde le nombre d’ouvertures de centres Confucius par rapport au nombre de fermetures de bureaux de l’Alliance française…
Donc voilà le contexte, voilà pourquoi l’Afrique nous intéresse.
Comment y aller ?
- Oublier les veilles recettes !
Les stratégies traditionnelles ne fonctionnent pas. Imposer des systèmes occidentaux qui ne font plus leur preuve n’a pas de sens. Il faut inventer de nouveaux modèles, s’adapter à cette vraie demande et aux besoins spécifiques des entreprises africaines.
À l’heure actuelle, il y a un peu tout et n’importe, souvent des abus. La corruption, le népotisme sont courants. Instaurer des systèmes d’assurances qualité constitue donc une priorité absolue, tout comme établir des classements – ils arrivent ! – pour que l’écosystème se structure.
L’assurance qualité et les accréditations sont au cœur des discussions actuelles. C’est un sujet qui a été longuement débattu lors de la conférence AABS qui vient de se tenir à Johannesburg. J’ai eu l’opportunité de parler de mon expérience de mentor de l’ISCAM (Madagascar) dans le cadre d’EDAF (EFMD). Attention cependant à ce qu’il n’y ait pas pléthore de procédures !
Pour moi, il faut produire des contenus pédagogiques spécifiques à l’Afrique pour que les étudiants y travaillent, sortir des seules études de cas d’entreprises françaises en Afrique.
- S’adapter au contexte local
Il n’y a de bon ou de mauvais modèle d’implantation, c’est au cas par cas. GEM a choisi de passer par le hub de Casablanca en partenariat avec l’ESCA de Thami Ghorfi (petite indiscrétion, nous fêterons les 15 ans de notre coopération les 12 et 13 juin) , belle porte d’entrée sur l’Afrique, à la fois aérienne, financière et économique . Un certain nombre d’établissements financiers marocains sont ainsi implantés en Afrique. L’enjeu est important car des flux financiers se créent. On observe un changement évidement depuis 10 ans. Plus globalement, il faut entrer dans une logique de co-développement, de partenariat en s’adaptant au contexte local.
- Miser sur l’entrepreneuriat
Je constate également un important besoin de création d’entreprises. Créer son propre emploi, c’est déjà créer de la richesse, sa propre richesse. L’entreprise africaine a besoin de se développer, d’entrer de plein pied dans la mondialisation.
Avec Internet tout est possible, le monde est à portée de clic.
Que ce soit au Sénégal ou en Ethiopie, les entrepreneurs sont en train de créer cette nouvelle richesse et leurs propres réseaux.
- S’appuyer sur la diplomatie économique
La bataille que se livrent sur le plan économique les pays que j’ai cités plus haut, se situe de plus en plus en amont, dans l’enseignement supérieur. Dans certaines universités le chinois a détrôné le français comme deuxième langue étrangère !
La diplomatie économique et la diplomatie de la connaissance sont des outils que maîtrisent bien nos concurrents. Il est important de mieux les développer au service de nos entreprises et de notre influence économique.
- Jouer collectif
Il faut vraiment crucial que les établissements de l’Enseignement supérieur français arrivent groupés, avec des offres de formations complémentaires, le tout appuyé par une diplomatie économique et d’influence, et des entreprises. Si chacun se présente sous son unique bannière, nous n’aurons pas l’influence et l’attractivité nécessaires.
Si l’équipe de France des universités et des grandes écoles joue collectif avec les atouts que nous avons en main, nous pouvons vraiment co-développer de beaux projets en Afrique. Il y cependant besoin de coordonner le tout, sinon les étudiants (et par voie de conséquences de très bons talents) nous échapperont…