Le blog de Jean-François FIORINA

Mon étude de texte du rapport StraNES – stratégie pour l’Enseignement supérieur

StraNES, stratégie enseignement supérieur

Quelques jours après la publication des 40 propositions  du rapport StraNES – Stratégie nationale pour l’Enseignement supérieur –, en voici ma lecture critique. À première vue, rien de nouveau, une déception, pas de grands changements. En approfondissant, le document a le mérite de rappeler les enjeux. Une surprise avec ce concept énigmatique, « l’université fédérale ». Autre mot abordé mais du bout des lèvres, le « privé », timide référence à un espace dont on ne saisit pas bien les contours ni le rôle ! On se demande également si les grandes écoles de management ont été intégrées dans la réflexion ? Et un grand regret : que la mission de l’Enseignement supérieur ne soit pas définie !

Il s’agit cependant d’une bonne synthèse de ce qui a été publié depuis deux ans. Le style est clair, loin du jargon administrativo-éducation nationale. Mais il manque une colonne vertébrale, la mission de l’Enseignement supérieur. C’est vraiment pour moi l’élément crucial : est-ce préparer à des métiers, transmettre des savoirs, s’attacher à d’autres missions ?

Voici mon analyse sur une sélection de sujets.

Axe stratégique n°1 / Construire une société apprenante et soutenir notre économie

  • 60% de diplômés de l’Enseignement supérieur dans une classe d’âge.

Monter en gamme, oui bien sûr. Mais avec quel niveau d’entrée ? Est-ce au détriment de la qualité du bac ? Pour ouvrir massivement d’autres programmes de formation sans issue ? Attention aux chiffres qui ne traduisent pas la réalité.

Si l’élévation du taux de diplômés dans une classe d’âge est une chance pour un pays, elle ne peut se faire qu’avec une articulation avec l’amont qui corresponde à un vrai niveau. En assurant pour les étudiants qui s’engagent dans des études supérieures, un choix de formations satisfaisant avec un pourcentage de réussite non négligeable. Serons-nous capables d’accueillir ce surplus d’étudiants ? Au moment où je suis en train d’écrire ce billet, j’entends sur Europe 1 « l’université n’est plus capable d’accueillir des surplus d’étudiants ».

La Suisse a su structurer son offre d’enseignement supérieur avec l’ensemble de ses composantes. C’est donc possible même si l’échelle du pays est bien différente.

Pour éviter un réel goulet d’étranglement qualitatif et quantitatif, la solution serait de répartir ces 60% de diplômés sur l’ensemble des composantes de l’enseignement supérieur, et pas seulement à l’université. Je pense aux filières courtes, aux filières spécialisées. N’est-ce pas là un objectif ambitieux et prometteur ?

Faire des universités « fourre tout » ne veut rien dire. Il doit y avoir des universités de recherche, des universités plus pratiques, plus territoriales. Travailler l’adéquation entre l’université et son territoire en terme de positionnement et vis-à-vis de son potentiel économique. Cela me paraît plus important que de développer des « laboratoires de la société de demain. »

  • La formation tout au long de la vie, marronnier ou tarte à la crème ?

Quand on observe les difficultés du Compte Épargne-Temps, du Compte Personne de Formation, ce n’est pas gagné ! Par contre, je pense qu’il y a un énorme chantier de valorisation et d’explication de la VAE. Un potentiel formidable, qui demande de gros investissements, mais je ne suis pas sûr que les entreprises partagent la même vision. Un diplômé VAE bénéficie-t-il de la même gestion de carrière qu’un diplômé « traditionnel » ? À méditer.

  • Formation professionnelle continue

Comment atteindre la proportion de 10% des effectifs en formation continue dans les établissements de l’Enseignement supérieur public reconnus par l’État ? J’y inclus les business schools et les écoles d’ingénieur. Mais pourquoi seulement 10% ? Alors que le gouvernement annonce la simplification des procédures de labellisation et la normalisation de la formation continue…

Améliorer la formation professionnelle et développer l’alternance, cela implique un grand nombre d’actions, notamment à destination des PME, où se situent les gisements de croissance. Pour certaines régions, l’Enseignement supérieur n’entre pas (encore) dans le champ de l’alternance et de l’apprentissage. Dommage.

  • Augmenter le nombre de docteurs

Vaste sujet. Qu’est ce qu’un docteur à l’université ? Pour quelles missions ?

Pourquoi ne pas englober les DBA (Doctorate of Business Administration), plus axés entreprises ? Deux cents sont sortis de nos rangs à GEM.

Pour moi, c’est toute la dimension recherche qu’il faut renforcer auprès des étudiants (plus particulièrement au niveau master pour les motiver). Ensuite travailler sur la professionnalisation, la contractualisation, les plans de carrière dans une formation doctorale – à la fois académique et ouverte sur le monde économique. Les Anglo-saxons réussissent très bien à travailler les dimensions de la recherche fondamentale et opérationnelle.

 

Axe stratégique n°2 / Développer la dimension européenne et l’internationalisation

  • Investir pour attirer les talents étrangers

Oui, mais avec quel argent ? Puisque de tout façon on n’augmentera pas les droits d’inscription des étudiants étrangers. Il faut également un guichet unique qui gère l’amont et l’aval. Le numérique peut aider énormément pour améliorer la qualité/réactivité des services.

  • Diversifier l’offre de formations internationalisées

Oui et, d’ici 2025, doubler la mobilité. Les flux doivent provenir de tous les pays pour diversifier les populations. Mais quid de nos capacités d’accueil ?

  • Créer un label de formation internationale

Quézaco ? Développer les MOOCs, oui mais pour quelles utilisations ? Quelle stratégie ?

  • Renforcer la mobilité des étudiants et en particulier ceux d’origine modeste et des personnels

Oui mais il s’agit surtout de simplifier tous les systèmes de bourses : État, Région, Département… Là encore, un guichet unique serait beaucoup plus indiqué.

La mobilité sortante ne pourra être encouragée que si elle devient une obligation dans le cursus.

  • Elever le niveau des étudiants en langue étrangère et favoriser le développer interculturel

Une simple question : à l’exception des étudiants en filières S, L et ES, quelles sont les séries de terminales qui favorisent l’apprentissage des langues ?

  • Mieux organiser les actions de coopération internationale, notamment en Europe

Non, nos marchés sont à l’extérieur de l’Europe. Cela reflète les limites de notre vision du commerce international. Nos étudiants font partie de la génération « Easyjet » qui a eu l’occasion de sillonner l’Europe. L’enjeu, ce sont les pays émergents, des destinations qu’il faut valoriser.

Puisqu’on parle d’Europe, il faut créer des formations qui soient 100% « Europe », et qui prennent en compte l’ensemble des dimensions de l’Union. C’est pour moi un combat permanent. Parler d’Europe, ce n’est pas se limiter au seul Droit. Il y a d’autres aspects, comme celui de bâtir des élites européennes qui comprennent l’Europe dans toute sa complexité. Ce serait bien utile au vu de ce qu’il se passe en ce moment…

 

Axe stratégique n°3 / Favoriser une réelle accession sociale et agir pour l’inclusion

  • Développer l’accessibilité sociale et agir pour l’inclusion

Sans aucun problème, mais le vrai enjeu n’est-il pas de comprendre pourquoi l’ascenseur social s’est arrêté ?

  • Développer les liens entre le secondaire et le supérieur, l’orientation. Donc augmenter la proportion de bacheliers, généraux et technologiques

Je me suis souvent exprimé sur l’orientation. La priorité, c’est de donner envie aux jeunes, de leur expliquer les filières, les métiers et de permettre des passerelles entre les formations.

  • Sécuriser les parcours de formations à l’université

Oui, beau sujet d’actualité…

 

Axe stratégique n°4 / Inventer l’Éducation supérieure de 21ème siècle

Oui. Pour les lecteurs assidus de mes posts, c’est une évidence.

L’enseignement supérieur n’est que la suite du lycée, lui-même la suite du collège, etc. Donc cela ne peut se faire qu’au fil du cursus global, dès le départ, il faut sensibiliser à ces différentes étapes.

Oui, il faut de l’agilité et de la pédagogie

D’autres formes d’apprentissage sont à imaginer. L’université – en bout de chaîne – ne peut pas tout solutionner, modifier des pratiques qui datent – au mois – d’une quinzaine d’années. Cela ne peut se faire que progressivement, au fur et à mesure, et surtout si les professeurs, les écoles et les bâtiments se transforment.

  • L’accès à Internet pendant les examens, oui, pourquoi pas.

Il y aura peut-être des aspects législatifs à prévoir. Créer un certificat d’État pour l’utilisation professionnelle des réseaux sociaux, de son empreinte numérique. Essentiel ! Voir mes posts Linkedin dans L’Enseignement supérieur.

 

Axe stratégique n°5 / Répondre aux aspirations de la jeunesse

  • C’est le facteur qui a fait naître mai 68…

Ma lecture est qu’un cours ne constitue qu’une partie de l’enseignement. On oublie tout ce qui gravite autour, la notion de services qui devient de plus en plus importante. Pour l’étudiant, son bien-être, son environnement conditionnent sa productivité et ses choix, dans une perspective de concurrence et d’attractivité internationales. S’il y avait une critique à formuler dans ce rapport, c’est bien celle-ci, on ne parle pas de services. Il faut donner envie aux apprenants, ce n’est pas seulement une question de pédagogie.

 

Quelques commentaires sur les leviers proposés pour atteindre les objectifs

  • Dessiner le paysage de l’Enseignement supérieur

Une des grandes surprises, c’est ce nouveau mot concept qui apparaît dans le rapport : « construire l’université fédérale du futur ». Il peut être très positif mais nécessite des explications. Est-ce la création d’un écosystème souple, associant d’autres types d’enseignement, sans monter d’usine à gaz ? Ou la création d’un nouveau monstre ingérable ?

  • Écouter et soutenir les hommes et les femmes de l’Enseignement supérieur, accompagner l’évolution des métiers de l’enseignement supérieur.

Élément important, une institution d’Enseignement supérieur regroupe une multitude de métiers. Cette diversité fait sa force.

Voilà pour ce survol critique. Comme toujours, s’il n’est pas suivi d’actes, ce sera un énième rapport sans avenir. Comme toujours, pointe alors le risque d’exil de nos meilleurs étudiants vers des cieux plus attractifs.

Petit clin d’œil aux lecteurs et auteurs du rapport, je reste ouvert à la discussion pour approfondir avec eux !

Commentaire (1)

  1. Dubois Pierre

    Bonjour, cher collègue.
    « Comme toujours, s’il n’est pas suivi d’actes, ce sera un énième rapport sans avenir. Comme toujours, pointe alors le risque d’exil de nos meilleurs étudiants vers des cieux plus attractifs ».

    D’accord avec vous ; d’ailleurs, je crois qu’il vaudrait mieux enterrer tout de suite le rapport STRANES https://histoiresduniversites.wordpress.com/2015/09/08/enterrer-le-rapport-stranes/

    4 autres chroniques critiques sur la STRANES
    https://histoiresduniversites.wordpress.com/?s=STRANES

    Petit clin d’œil : vous organisez une table ronde sur la STRANES dans votre École et vous m’invitez ?

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