Le sous-titre de School business, dernier livre d’Arnaud Parienty a fait un certain bruit dans le landernau éducatif ! Oui, le secteur privé est bien devenu une composante importante de l’écosystème. Que l’on soit pour ou contre, il joue un rôle grandissant surtout à l’international. Comment lire cette évolution sans chausser sa paire de lunettes idéologiques ? Risque ou opportunité ? Compétition ou coopération ?
Le chapitre 7 du livre explique de manière pertinente l’apparition d’un marché global du savoir. Je suis entièrement d’accord avec cette analyse que beaucoup d’acteurs éducatifs en France n’ont pas encore bien intégrée. C’est un fait. Des groupes privés internationaux quelquefois financés par des fonds de pension investissent le marché de la connaissance, achètent et rachètent des écoles et des groupes.
C’est un facteur de risque et une menace pour nos établissements. Les choses évoluent très vite en témoigne le développement des EMO – Education Management Organizations que je ne connaissais pas. Leur vocation ? Agir, en quelque sorte, comme développeurs et gestionnaires privés d’établissements publics. L’idée étant de dynamiser leur fonctionnement par le souffle entrepreneurial de ces EMO aux objectifs clairement définis. Une forme de privatisation de l’éducation puisque depuis les années 1990 aux Etats-Unis, ces entreprises se développent non seulement sur la partie gestion traditionnelle (repas, transport, etc) mais plus récemment sur la partie recrutement des étudiants, sujet à controverse.
Globalement, School Business offre un bon état des lieux d’un phénomène qui touche tous les pays. Sa description de l’université en France ne donne pas envie… Et les établissements du privé se caractérisent par une très grande diversité, le sérieux côtoie les marchands de la misère éducative aux sigles ronflants que personne ne comprend… Au-delà de ces prises de position et analyses, que s’est-il passé ? Que fait-on ? Quel politique a réagi ? À ma connaissance, aucun…
L’amalgame n’est pas loin, non plus. Les grandes écoles de management peuvent être confondues avec des cursus de gestion non reconnus , de niveau très inférieur ou mis dans le même panier que de pseudo boîtes de cours hautement spécialisées dans les études internationales.
Pour ma part, je considère que les secteurs public et privé doivent cohabiter voire coopérer dans une saine émulation et concurrence. C’est la garantie d’une offre de formation variée et adaptée aux besoins de la société.
L’argent dynamite-t-il le système éducatif ?
Je reste nuancé sur ce point. Si le secteur privé se développe, c’est qu’il existe une demande, des opportunités, un marché. Parce qu’il y a carence des systèmes publics en termes d’accueil, de services et d’efficacité (fabrique de chômeurs).
Décider de manière rigide comme en France que 80% d’une classe d’âge détiendra le bac et 50% le niveau licence relève d’une vision idéologique. Derrière, il faut gérer ces flux massifs d’étudiants, les orientations et surtout les… désorientations. On fabrique de la frustration étudiante, de la perplexité chez les parents, dès lors récupérés par le secteur privé ! Il joue son rôle « d’absorbeur » de cette croissance démographique – qui ne fait que commencer – et (sur)vend des liens avec les entreprises et le marché de l’emploi, ce que ne font pas les universités.
À l’international, les situations diffèrent. Le Maroc montre l’exemple d’un bon compromis public/privé, ce dernier de plutôt bonne qualité, accueillant un volume important d’étudiants que le public ne peut gérer. Idem au Sénégal. Dans d’autres pays, c’est l’anarchie, les faux-diplômes, les malversations en tous genres… Je reviendrai sur ces dérives dans un prochain post « mondialisation ».
En France, les études de médecine et le boom des coachs-consultants en orientation sont deux autres bons exemples de « bulles » du privé. Est-il normal de passer par une prépa privée pour réussir le concours de médecine alors qu’il est théoriquement prévu une 1ère année à la fac, avec un nombre d’admis très faible qui laisse sur le carreau nombre de bons étudiants ? Idem pour les IEP. Est-il normal également de devoir payer un coach pour comprendre le paysage académique, valider son niveau et explorer ses envies ?
Est-il normal également d’avoir un développement anarchique de pseudo boîtes de prépa – les cours supérieurs de préparation aux hautes études internationales et manuelles pour tous types de concours, quels que soient les niveaux !!!
Autre enjeu, les investissements pour le développement de l’enseignement dans les 15 prochaines années. Ils seront colossaux. Je pense au digital, à la croissance démographique ou à la nécessité de recruter massivement de nouveaux enseignants de qualité. Que se passera-t-il s’il n’y a pas d’argent public ? Il faudra bien trouver des solutions…
Le rôle de l’État et des politiques
Dans cette effervescence générale, l’État doit jouer son rôle de régulateur, mettre de l’ordre, faire le tri pour garantir la qualité des enseignements, valider les niveaux. Rendre lisible le paysage éducatif français, dans une logique de territoires.
Par les accréditations internationales, nos écoles de management valident une qualité et une reconnaissance internationales. Elle complète ainsi les systèmes de reconnaissance par l’État des diplômes délivrés. C’est important pour toutes les parties prenantes : familles, étudiants, entreprises… Mais que dire des structures sans enseignants-chercheurs qui garantissent, une « reconnaissance » auto-proclamée par les entreprises ?
Je répète que je considère l’opposition public/privé comme un faux débat. Nous devons travailler de concert pour peu que la « carte » des parcours soit lisible, bien renseignée, visée pour l’étudiant. Aux Etats-Unis, ce double marché fonctionne.
Cela nécessite une transparence encore peu partagée par les acteurs éducatifs. Là encore, les écoles de management, perpétuellement classées ne peuvent se dérober, falsifier, raconter des histoires. Si l’université ou les écoles ne jouent pas la transparence, elles se perdront. La défiance des familles augmentera et les meilleurs étudiants quitteront le pays. De toute manière, comme l’explique bien Emmanuel Davidenkoff, ce sont vraisemblablement les nouveaux entrants sur le marché de la connaissance – et leurs nouveaux business models – tels que le réseau social Linkedin qui donneront le tempo, à coups d’algorithmes basés sur les data de leur 400 millions (et plus) d’abonnés ! Franchement que restera-t-il des différences public/privé dans les résultats de recherche et classements de ces moteurs, autres réseaux sociaux et consorts ! Pour l’étudiant, « client final », à mon sens, pas grande chose…
Suite au livre de Arnaud Parienty « School business », qu’entendez-vous par votre affirmation, Monsieur Fiorani : « Je répète que je considère l’opposition public/privé comme un faux débat. Nous devons travailler de concert pour peu que la « carte » des parcours soit lisible, bien renseignée, visée pour l’étudiant. »? « Travailler de concert »? Dans quel(s) but(s) ? Sous quelle forme? Avec quels moyens? Qu’est-ce qu’un « bon compromis public/privé » ?
Simple coïncidence ou entrée dans la danse, la Commission d’évaluation et de contrôle des politiques publiques en éducation propose justement qu’on ferme les écoles pointées du doigt, là où l’absence de mixité sociale pose problème, à cause des quartiers sensibles, et d’y ouvrir des écoles privées, avec des fonds publics ! Situation paradoxale s’il en est, au détriment du bon sens, de la raison, et de l’intérêt général. C’est exactement ce que cherche à faire la droite depuis x années, à savoir privatiser l’enseignement. Ben, voyons, c’est nous tous qui paierons, et les pseudo-enseignants de toutes obédiences, s’y engouffreront.
Quant aux quartiers-ghettos, ils resteront tels qu’ils le sont avec la même population désarmée. Quand saurons-nous saisir l’opportunité de regarder du côté de la pédagogie, sujet tabou, par excellence, et de décider de le transformer en sujet de réflexion? Laissons les écoles privées rester privées, et les écoles publiques rester publiques, c’est une garantie de liberté. Il y a de bons enseignants et d’autres beaucoup moins performants, d’un côté comme de l’autre.
Alors, d’une part, laissons payer les parents qui veulent opérer une ségrégation parmi les enfants, et envoyer les leurs, en écoles privées, mijoter dans leur jus, et soyons très exigeants, avant tout, avec l’École publique, du point de vue pédagogique, la mixité sociale, créatrice d’émulation se fera d’elle-même, pour la réussite de tous. Remodelons aussi, par la même occasion, les quartiers, pour un habitat, facteur de mixité sociale.
Pas étonnant que l’Éducation ait tant de difficultés à marcher droit, vu tous les pansements qui la rendent bancale. L’Ecole doit rester publique et laïque, sauf à ce que l’argent dynamite encore plus le système éducatif.
Oui, « à l’État doit jouer son rôle de régulateur, mettre de l’ordre, faire le tri pour garantir la qualité des enseignements, valider les niveaux. Rendre lisible le paysage éducatif français, dans une logique de territoires », et de réussite pour tous.
Querelle de clocher, avons-nous bien compris que l’enseignement supérieur français est en danger ?
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