Entretien avec Christian Liberos, directeur associé, cabinet KPMG, sur l’initiative de l’Observatoire de l’Enseignement supérieur.
J’ai saisi l’occasion de la publication fin 2015 pour faire le point sur des questions délicates que sont les notions de coût de l’enseignement, de dette étudiante ou de frais de scolarité. En Grande-Bretagne et Afrique du sud, l’augmentation de frais de scolarité a entrainé des manifestations monstres et la dette des étudiants US égale l’encours de la dette des prêts à la consommation ! En France, il est difficile d’avoir une vision claire, les sources divergent. Il me semble essentiel de bâtir des indicateurs fiables pour l’ensemble des composantes de l’Enseignement supérieur, des universités aux grandes écoles d’ingénieurs ou de management. Beaucoup d’idées reçues circulent et il existe un réel besoin de comparatifs fiables.
Jean-François Fiorina : pourquoi un observatoire et pour qui ?
Christian Liberos : nous avons commencé, il y a maintenant 7 ans, la certification des comptes des universités et des écoles – hors écoles de management qui sont rattachées pour la majorité aux Chambres de commerce.
Chez KPMG, il nous est apparu pertinent d’aller au-delà des questions liées à la certification. Nous avions déjà créé des observatoires dans différents secteurs, celui de la banque, des bailleurs sociaux…, celui des Ecoles et Universités est une suite logique.
Deuxième point, il est destiné en premier lieu à nos clients. Nous pouvons ainsi échanger sur leurs ratios, leur positionnement.
3e point, jusqu’à maintenant nous organisions des réunions soit pour nos clients soit pour la presse afin de diffuser les résultats de l’Observatoire. Cette année, votre Délégué général de la Conférence des Grandes Ecoles, nous a sollicités pour nous interroger sur les ratios et les chiffres de l’Observatoire.
Nous avons convenu en octobre dernier, qu’il serait souhaitable que nous échangions sur la composition des ratios en particulier pour les écoles et, bien sûr, celles de management qui ne figurent pas dans notre étude.
Jean-François Fiorina : avez-vous traité des évolutions notables depuis les débuts de l’Observatoire ?
Christian Liberos : il y a des préoccupations différentes chaque année ; un ou deux ratios changent pour cette raison mais nous sommes dans la continuité. Nous souhaiterions aller plus loin, ce n’est qu’un problème de temps. Élargir les domaines d’investigation, développer l’échantillon, initialiser d’autres ratios, en compléter certains.
Jean-François Fiorina : comme les investissements et la R&D ?
Christian Liberos : pour les investissements, nous avons évoqué quelques points complémentaires cette année ! Nous avons retenu ce point du fait que plusieurs écoles et universités ont fait l’objet d’un prélèvement sur leur fonds de roulement. Y avait-il, dès lors, excès de fonds de roulement par rapport aux niveaux d’investissements futurs ? Nous aurions, peut-être, dû aller plus loin sur cette notion.
Jean-François Fiorina : vous œuvrez à partir de beaucoup de documents publics mais pour les compléments d’infos, les acteurs ont-ils bien joué le jeu ?
Christian Liberos : il y a beaucoup d’informations qui figurent en dehors des comptes sur les rapports d’activités des agents comptables, par exemple. De temps en temps, certaines informations sont insuffisantes, mais nous sommes obligés de respecter des échéances car nous considérons que ces observatoires ne doivent pas être trop décalés par rapport à la clôture des exercices. Il faut rester dans le tempo. Cette année, la presse s’est emparée des problématiques des universités, des classements mais aussi des écoles, je dirais. L’actualité nous a aidés.
Jean-François Fiorina : à propos des écoles de management, certaines sont indépendantes ou déjà sorties du giron des chambres de commerces, d’autres sont en association ou propriété de groupes privés…
Christian Liberos : pour le moment, les entités avec des publications de comptes sont peu nombreuses.
Jean-François Fiorina : sur les 10 premières, six dépendent des chambres de commerce : HEC, ESCP, EM Grenoble, TBS, Noventia et Pau. Elles vont d’ailleurs ou sont en train de réfléchir au passage au nouveau statut. Les autres, ce sont des associations, certaines sont dans « l’orbite » de fac confessionnelle comme l’EDHEC, d’autres, directement rattachées à l’université comme l’EM Strasbourg ou Nancy. Quelques-unes sont des « pures privées » et notamment, je crois, en sociétés à but lucratif comme les écoles du groupe Lauréate, l’ESCE ou l’EBS, par exemple.
Qu’est ce qui vous a surpris dans ces enquêtes ?
Christian Liberos : il faudrait hiérarchiser le sujet. Depuis 5 ans, nous sommes sur des grandes masses qui varient peu. C’est normal, ces entités sont de grands navires. Mais pour certains ratios, le coût des étudiants, les notions de fonds de roulement, de nombreuses informations circulent et sont souvent différentes les unes des autres : dans notre enquête, nous devrions mieux les définir, quel est le bon ratio coût de fonctionnement/nombre d’étudiants , par exemple pour rendre les comparaisons plus compréhensibles.
Jean-François Fiorina : les chiffres varient entre ceux du ministère, de l’OCDE, de l’Union européenne… dans les ratios à l’université, la masse salariale inclut-elle celle des professeurs ? Elle est énorme, comment la gérer ?
Christian Liberos : la masse salariale est celle relevée dans les comptes publiés et englobe les rémunérations des enseignants.
Depuis de nombreuses années, les établissements gèrent cette masse salariale par des arbitrages sur l’offre d’enseignement.
Jean-François Fiorina : les établissements universitaires et les écoles sont-ils devenus des entreprises ? N’est-ce pas polémique d’aborder ainsi la question ?
Christian Liberos : ce n’est pas polémique du tout. Le travail des Présidents et Directeurs s’est concentré depuis plusieurs années sur deux points :
- La masse salariale. Beaucoup d’universités ont supprimé des cours à effectifs très réduits ; parallèlement, elles ont créé des cursus plus « rentables » avec des fréquentations plus importantes. Une grande partie des universités a rationalisé la masse salariale.
- La gestion de l’immobilier. Les établissements ont optimisé leur coût d’entretien et ce sera d’ailleurs un point à surveiller sur les prochaines années afin de s’assurer du maintien de la qualité du parc.
Jean-François Fiorina : l’université n’a-t-elle plus les moyens ?
Christian Liberos : ceux qui ont bien géré, ont eu des prélèvements sur leurs fonds de roulement. La situation est complexe dans un contexte où les tarifs étudiants ne peuvent augmenter sans créer des tensions sociétales.
Jean-François Fiorina : l’université peut-elle faire face à la massification ? Est-elle en capacité d’absorber le flux ?
Christian Liberos : je serais prudent sur la croissance du nombre d’étudiants. D’abord parce que le rattachement des prépas aux universités est sans impact réel, cette année, puisque ces étudiants ne sont pas présents dans les amphis.
Dans le contexte financier actuel, une augmentation trop rapide des étudiants constituerait une réelle difficulté.
Jean-François Fiorina : quel est le coût de l’échec à l’université ?
Christian Liberos : nous n’avons pas d’éléments chiffrés sur cette question.
Jean-François Fiorina : politiquement dangereux également !
Christian Liberos : nous souhaitons publier des chiffres objectivés, incontestables.
Jean-François Fiorina : l’Enseignement supérieur est un sujet sensible. La polémique idéologique, politique ou économique n’est jamais loin. Les 2 derniers pays qui ont fortement augmenté leurs droits d’inscription – la Grande-Bretagne et l’Afrique du sud – ont déclenché des vagues de protestation, et la première école de commerce française à l’avoir fait, à la suite des dernières réformes, a subi la vindicte !
L’Etat étant prédominant dans les universités, de quels montants ont-elles besoin pour qu’elles soient compétitives et qu’elles vivent « normalement » ?
Christian Liberos : compte tenu des limites financières de l’Etat, les choix doivent se porter sur des spécialisations et des tarifs appropriés par rapport aux résultats sur l’employabilité.
Jean-François Fiorina : sur la formation continue, mis à part les formations « catalogues » dont les prix sont ultra compétitifs, je ne vois qu’un seul marché, le « sur mesure », mais nous sommes déjà bien présents ! La formation continue des fonctionnaires de l’Etat sera peut-être le marché captif des universités ?
Christian Liberos : dans ce domaine, il y a beaucoup de concurrence. Ce n’est pas évident d’occuper le marché. Les clients sont exigeants et veulent des résultats concrets. Pour réussir les universités doivent avoir une forte image de marque. Les Grandes Ecoles ont conquis la confiance des étudiants et des parents par l’employabilité qu’elle confère aux diplômes, mais il ne faut pas oublier que les universités et écoles d’ingénieurs portent des pôles de recherche reconnus ; difficile d’être présents sur tous les sujets.
Jean-François Fiorina : avez-vous des questions sur nos busines schools ?
Christian Liberos : beaucoup de nos collaborateurs sont des diplômés de votre Ecole, nous les connaissons très bien.
Nous souhaitons ouvrir un chapitre concernant les écoles de management afin de diffuser des informations structurées.
Jean-François Fiorina : 98% des ressources de GEM proviennent des frais de scolarité et de nos activités avec les entreprises. Seulement 2 % de subventions via la CCI. Les écoles d’ingénieur vivent des dotations de l’Etat et de contrats de recherche.
Christian Liberos : nous souhaitons être force de propositions avec cet Observatoire pour mieux informer les étudiants et toutes les parties intéressées.
Jean-François Fiorina : nous avons besoin de transparence. La vox populi considère que les écoles de management sont pleines d’argent ! Grenoble Ecole de Management va gagner en autonomie au 1er janvier 2017 en adoptant le nouveau statut des écoles consulaires. Le processus est engagé depuis le début d’année. Il reste à régler des questions de fiscalité immobilière, de TVA, de RH. Ces points peuvent avoir des incidences importantes sur notre fonctionnement.
Christian Liberos : Nous pouvons vous souhaiter bonne chance pour votre futur. GEM a fait un parcours exceptionnel en seulement 30 ans. L’école est toute jeune par rapport à d’autres écoles. Vous maintenez vos positions dans les classements. Nous avons besoin des chiffres de votre communauté. L’Observatoire doit refléter l’ensemble des composantes de l’Enseignement supérieur.
Jean-François Fiorina : oui, c’est important d’y ajouter les business schools.
On est encore loin d’un observatoire de « tout l’enseignement supérieur, transparent et fiable ».