Le blog de Jean-François FIORINA

Enseignement supérieur : « Arrêtez de penser produits, pensez marque ! »

Edouard Gassin, campus com

©DR

Entretien avec Edouard Gassin, dirigeant de Campus Com (Nantes, Paris), agence conseil en communication spécialisée dans le secteur de l’enseignement supérieur. Créée en 2008, Campus Com accompagne depuis, stratégie et actions de communication d’une quarantaine d’établissements (universités, écoles et centres de recherche).

Jean-François FIORINA : Quelques mots sur Campus Com, votre agence.

Edouard Gassin : Campus Com est née en 2008. Dans le droit fil de la réforme des universités (loi Pécresse 2007), notre vision était d’accompagner les mutations de l’enseignement supérieur, notamment le passage à l’autonomie et plus globalement la recomposition de l’ensemble du dispositif national. Avec ces grands changements, allaient naître de nouveaux enjeux en matière de communication peut-être moins dans les business schools dont le modèle économique nécessite la vente de leur formation. Nous nous sommes davantage positionnés sur le marché des écoles publiques et des universités.

Jean-François FIORINA : N’est-ce pas un gros mot pour ces écoles de faire de la pub et de la communication ?

De moins en moins, au lancement de l’agence les établissements étaient déjà relativement mûrs. Mais nous n’utilisions pas volontairement certaines terminologies. À l’époque, on ne parlait pas de marque mais plutôt d’identité, aujourd’hui à peine 8 ans plus tard, c’est un sujet abordé sans aucun complexe.

Nous travaillons donc sur ces questions d’identité et de marque. Ceci nous amène, ensuite, à réfléchir à la dynamique de singularisation des établissements. Puis, nous enchaînons sur la stratégie de communication « pure et dure » et les actions.

Une grande marque « mère » dispose d’activités qui peuvent être marketées et même devenir des marques « filles ». Je pense au service de formation continue, aux fondations, à l’ensemble de ces structures.

Nous sommes, en France, encore dans une communication très « produit », performances et activités. Le problème, c’est que ce n’est pas très différenciant. La plupart des établissements sont devenus, ces dernières années, grâce à internet, des médias, elles ont une communication produit sur les réseaux sociaux, le web… Comment faire pour différencier deux universités pluridisciplinaires en s’attaquant uniquement à la question de la formation ou de la recherche ? Elles ont quasiment les mêmes offres. Entre plusieurs business schools, ce n’est pas simple aujourd’hui d’identifier clairement, en quelques mots, les traits saillants de GEM au regard d’Audencia ou de l’Essec. Je suppose que vous en êtes capable mais le grand public voire certains journalistes ?

Nous travaillons donc sur cette question d’identité avec pour objectif de permettre aux marques de trouver des positionnements originaux en allant puiser au-delà des services qu’elles proposent (leur histoire, leur culture). Et surtout, c’est ce qui est le plus compliqué – dépassant souvent d’idée commune de communication – c’est leur vision sociétale. Quel est le rôle de l’école ? Sur son territoire ? En France ? Dans le monde ? Quelle est la différence entre notre rôle et celui de l’université ou de l’école voisine ? Comment travailler avec les acteurs sociaux économiques ? C’est sur cette approche que nous tentons de fonder nos nouvelles identités d’établissements.

Jean-François FIORINA : Quand je parle de l’école du futur, il y a nécessité pour chaque établissement de bien identifier sa mission et sa valeur ajoutée. Dans notre système « égalitaire » d’enseignement supérieur, comment une université peut se distinguer, se singulariser ?

Edouard Gassin : C’est par un croisement de plusieurs éléments identitaires forts qui vont être d’abord l’histoire, nous on a travaillé avec une trentaine d’universités en France, de toutes tailles en région parisienne ou en province. Je constate que dans leurs activités, elles ont beaucoup de points communs et dans leur organisation aussi.

Par contre, elles ont de vrais éléments de différence dans leur histoire ou leur culture. Quelles différences entre l’université Paris-Descartes intra-muros et Paris 8 Saint-Denis université expérimentale construite à Vincennes puis déracinée pour être implantée de force en Seine Saint-Denis ! Ces histoires ont forgé des cultures et des manières de fonctionner très différentes : l’université de Nantes qu’on connait bien ou l’université de Grenoble que l’on accompagne actuellement avec la naissance de « Université Grenoble Alpes » qui sort de terre et qui est, entre guillemets, la fusion des 3 universités. J’explique toujours que la « fusion », par exemple, est une façon trop courte de voir l’histoire, leur storytelling. L’Université Grenoble Alpes est issue de l’histoire de l’enseignement supérieur du territoire grenoblois et pas simplement de 3 entités administratives refondées à la fin des années 60 et réunies au début de l’année 2016.

Jean-François FIORINA : La communication, n’est-ce pas un peu la danseuse du Président, l’occasion de se faire plaisir ? Qu’est-ce que cela apporte aux parties prenantes de l’université ?

Edouard Gassin : Pour nous ce n’est pas du tout le cas. Nous forgeons des marques et les considérons comme des outils, des leviers de croissance, des éléments constituants de la valeur de l’établissement.

Au risque de paraître désagréable, aujourd’hui au sens propre du terme, il y a très peu de marques dans l’enseignement supérieur. Des noms, des logos et des identités visuelles, il y en a. Mais des marques au sens propre du terme, c’est-à-dire quelque chose qui dépasse le produit, qui allume des voyants dans les esprits et place tout de suite une valeur sur les activités de l’établissement. Il y a aujourd’hui, HEC, Sciences Po, Polytechnique, l’ENA et puis la Sorbonne.

Notre travail, c’est de créer des marques, au moins sur leur propre territoire au regard des besoins du tissu socio-économique et pour certains établissements au plan international. Je pense qu’aujourd’hui, nous en sommes encore assez loin.

Dans le paysage international, il n’y a pas, non plus, beaucoup de grandes marques universitaires et d’écoles connues dans le monde entiers. Oxford, Cambridge, Harvard… On a du mal à en trouver d’autres. Peut être bientôt les chinoises ou les africaines, on en est encore loin…

Jean-François FIORINA : Pourquoi la nécessité d’une marque ?

Edouard Gassin : L’idée, c’est de créer de la valeur, par exemple, pour les services de formation continue. C’est une nécessité pour une école d’ingénieur, une école de commerce ou université aujourd’hui. Tout le monde a besoin de vendre de la formation continue et demain encore davantage. Notamment dans le secteur public, les dotations fondent comme neige au soleil, année après année. Dans le rapport Germinet, l’Etat pousse les universités à développer ces services.

On est bien dans une problématique de marque : comment faire demain pour convaincre des entreprises d’acheter sa propre formation continue plutôt que celle de son voisin ? Comment faire un module de 3 jours capable de générer des marges importantes si ce n’est en ayant une marque qui a de la valeur aux yeux des entreprises ? Quand on compare l’offre de formation continue en France, on voit bien que ce qui fait le prix des programmes executive. C’est souvent la marque. Ce qui est logique.

Jean-François FIORINA : quand vous dites qu’il n’y a pas beaucoup de marques, c’est parce qu’il faut beaucoup de temps pour y arriver ou parce qu’on ne sait pas vraiment comment faire ?

Edouard Gassin : Il faut du temps, c’est sûr. Il y a le temps politique de l’enseignement supérieur et le temps de la marque, le second est souvent plus long que le premier.

Dans beaucoup d’établissements, ce n’est peut être pas un problème de technique ou de compétences mais plus un problème d’approche : sortir d’une logique et de communication produit pour aller dans l’ère du communication de marque.

Nous réalisons beaucoup de benchmarks pour nos clients ou pour nous. En général, on entend toujours le même discours « nous sommes les meilleurs dans ce domaine, avec tant d’étudiants, tant de composantes, tant de labos… ». Ce sont souvent des éléments quantitatifs peu qualitatifs, très rattachés aux produits. Peu de questions de marques qui vont être de l’ordre de la vision, de l’émotion, de l’ambition, de quelque chose qui entraîne au-delà des activités.

Nous organisons beaucoup de focus groupes avec des étudiants ou lycéens et parfois avec des chefs d’entreprise. On le fait pour des clients et aussi pour nous-mêmes, pour rester connectés et ne pas se perde dans ce microcosme qui est celui de l’enseignement supérieur. Pour garder un certain bon sens et recul, je pense que c’est très important. Quand on parle avec des groupes de lycéens, ils sont incapables de différencier les écoles et les universités entre elles.

Jean-François FIORINA : y compris dans les business schools ?

Edouard Gassin : Ils répètent le peu d’informations qu’ils ont eu via leur enseignant du secondaire, ce qu’ils ont pu lire, mais ils ne sont pas capables d’aller très loin dans la qualification des différenciations des établissements. Ils ne peuvent pas vraiment répondre à la question : qu’est-ce que cela va vraiment leur rapporter ? C’est souvent le résultat d’un jeu d’influence : profs, copains, parents. Si on fait le même test avec les différences entre les téléphones portables, ce n’est pas du tout la même chose !

Jean-François FIORINA : dans l’enseignement supérieur, nous avons une telle multiplicité de cibles. N’est-ce pas difficile dans la création d’une marque unique ?

Edouard Gassin : Je ne pense pas. Il y a des très grandes marques françaises ou mondiales qui ont des cibles extrêmement diversifiées. J’en prends une, en faisant un peu de provocation, Mac Do. C’est un des seuls endroits où je peux croiser à midi, un cadre supérieur, un ouvrier, une jeune de 14 ans et ou un grand-père avec ses petits-enfants. Il est possible pour une marque d’avoir un discours segmenté vis-à-vis de l’ensemble de ses cibles.

Jean-François FIORINA : On va sortir du contexte français pour ne pas se fâcher. Pour vous, l’exemple d’une bonne marque ?

Edouard Gassin : C’est un peu facile mais je suis obligé de prendre une marque anglo-saxonne. Ce sont souvent les plus abouties telles qu’Harvard. La notoriété de cette marque est pilotée depuis des années à travers le monde par un jeu d’investissements dans de nombreux secteurs. Ils le font l’américaine, en investissant, par exemple, dans des films de cinéma comme The Social Network, sur l’histoire de Mark Zuckerberg. Ils ont payé pour ca ! C’est du placement produit. Il y a également une strategie historique de diffusion de leurs goodies (textiles, produits dérivés, etc) à l’image de l’université.

Jean-François FIORINA : Vous avez dit que vous réalisiez beaucoup de benchmark. Êtes-vous optimiste ou pessimiste sur la situation française de l’enseignement supérieur vis-à-vis de ses concurrents ou partenaires étrangers ?

Edouard Gassin : Je suis plutôt optimiste parce que je trouve, qu’en France, on se flagelle souvent. D’après notre courte expérience, les choses ont avancé à une vitesse incroyable sur les sujets qui nous concernent. Nous sommes convaincus que la marche suivante sera le marketing y compris dans les établissements publics et collectivités territoriales. Il y a marché sur le marketing territorial. On voit bien quel avantage peut en tirer un territoire. Je suis plutôt optimiste, il y a des chantiers et des projets très intéressants devant nous. Face à un certain nombre d’établissements et de mastodontes internationaux, il ne va pas falloir s’endormir sur ses lauriers ! Même si je ne suis pas un spécialiste ou un expert de la question, les établissements venant d’Asie ou d’Afrique vont peut-être commencer à avoir une notoriété et un développement à surveiller.

Jean-François FIORINA : Le numérique… c’est un outil d’accélération de la marque ou, au contraire, est-ce plus compliqué à gérer ?

Edouard Gassin : c’est comme dans tous les secteurs d’activités, l’enseignement supérieur subit les mêmes mutations. Je vais parler de la partie plutôt communication. Les écoles et universités vont devoir aussi changer de pratiques. Elles sont trop dans le « top down », je suis sur les réseaux sociaux pour parler de moi, de la vie de l’établissement, des actualités. Les marques dites commerciales l’ont bien compris dans d’autres secteurs. Elles commencent à investir massivement dans la discussion avec les publics sur les réseaux sociaux notamment.

Jean-François FIORINA : Le numérique ne peut-il pas aller à l’encontre de la politique de marque ?

Edouard Gassin : Non, je ne pense pas. Il faut, aujourd’hui, faire de l’ensemble des acteurs d’un établissement, les ambassadeurs de la marque. Cela ne veut pas dire qu’on leur donne un kit en 10 leçons sur le comment se comporter. Il s’agit de définir de manière très claire quelles sont les ambitions, les objectifs et les valeurs. Puis ouvrir des champs d’expression qui vont rester dans un environnement qui sera cohérent. Pour nous, une marque qu’elle soit universitaire ou non, vit, se transforme notamment au regard des gens qui la portent et la consomment. Je pense sincèrement qu’il y a, entre guillemets, un phénomène d’acculturation des communautés d’établissement en matière d’expression digitale. Il faut leur apprendre à se servir du réseau social tout en diffusant valeurs et ambitions de la marque pour générer cette cohérence. Il y a beaucoup de grandes organisations aujourd’hui qui ont les mêmes problématiques, certains ont commencé à s’y atteler et d’autres non.

Jean-François FIORINA : Ils ne sont peut être pas dans un milieu aussi spécifique que le nôtre ?

Edouard Gassin : Oui c’est sûr mais prenons l’exemple d’une mutuelle d’envergure nationale qui est composée de fédérations régionales. On est dans un univers d’entreprise, et en même temps, ils ont énormément de collaborateurs et sociétaires qui, aujourd’hui, s’expriment sur les réseaux sociaux et sur des sujets qui peuvent être très connectés à la visibilité l’entreprise. Ils sont en train de travailler, de mettre tout cela en cohérence et de diffuser de bonnes pratiques.

Jean-François FIORINA : Tout cela nécessite des moyens et c’est peut-être cela qui porte une certaine ambiguïté ou complexité entre la vision marchande de l’enseignement et la réalité ?

Edouard Gassin : Je vais vous faire la réponse que tout le monde déteste quand on se retrouve à la gouvernance d’un établissement : c’est aussi une question de volonté politique. Puisque nous constatons que d’un établissement à l’autre, les situations sont très hétérogènes. Certains pourtant pas tellement plus riches que leur voisin ont des moyens beaucoup plus importants… Cela questionne.

Cela ne peut fonctionner que s’il existe une stratégie globale. Si, à un moment donné, on fait de la marque un enjeu stratégique qui dépasse les enjeux de communication. Le retour sur investissement génère des cercles vertueux. Il y a quelque chose de l’ordre de la culture et de la volonté politique.

Jean-François FIORINA : De votre côté, avez-vous des questions ou d’autres remarques ?

Edouard Gassin : Oui, beaucoup. Par exemple, en tant que GEM, comment réagissez-vous à mes propos ? Est-ce que vous avez aujourd’hui l’impression d’avoir réussi le job de différenciation avec vos concurrents ?

Jean-François FIORINA : Je me retrouve dans vos propos sur le monde de l’enseignement supérieur et dans ses mutations. Il y aura différents types d’établissements. Dans la cour où nous voulons jouer, il est impératif que nous soyons une marque, référence de qualité, un label qui interpelle et qui rappelle une histoire commune.

Il y a une adhésion d’achat pour la recherche ou la formation continue. Pour Harvard, on ne se pose pas la question de savoir s’il y a du journalisme, du business, etc. On connaît la marque et on achète. Et si la promesse est bien tenue, que le process se passe bien, qu’il n’y a pas une dissonance entre une image et la réalité de l’expérience client, ça fonctionne. D’autres, peut-être, se baseront sur du produit intrinsèque.

Sommes-nous dans la différenciation ? En tout cas, nous nous positionnons comme une école d’identité. Pour les étudiants de classes prépas ou les étudiants du programme grande école effectivement, nous sommes « tagués » ainsi. Pour quelques entreprises qui viennent nous voir aussi, pour d’autres publics, pas forcément. Notre force, c’est d’avoir le mot GRENOBLE dans notre nom qui associe le mot « high tech ». GEM = une business school d’une ville « high tech » où il y aura donc de l’innovation.

Edouard Gassin : C’est vrai que la place du territoire est très importante dans l’enseignement supérieur.

Jean-François FIORINA : Oui la logique de territoire est très importante, il ne peut pas voir de marque s’il n’y a pas de missions ou de positionnement, s’il n’y a pas de justifications concernant ces positionnements. Nous ne pourrions pas être, malgré la qualité de nos équipes, la business school du XXIème siècle. Et je crois que pour nous, il y a eu un positionnement qui, dès la création de l’école, n’a pas changé. Il a évolué en suivant les mutations technologiques.

La deuxième partie de la réponse, c’est que les étudiants français sont très schizophrènes, ils taguent les écoles en fonction de leurs spécificités (Nantes – la RSE / Lyon – l’entreprenariat / Grenoble – la technologie), il n’empêche qu’au moment du choix l’élément rationnel qu’ils vont utiliser ne va pas être la valeur de la marque mais le classement.

Edouard Gassin : Il faut les emmener loin et pousser la réflexion loin avec eux pour leur faire réaliser leur attrait pour une marque ou une autre. En matière de sportswear ou de téléphonie mobile, ce n’est pas forcément une question qu’ils vont se poser et à laquelle ils vont répondre de manière instantanée.

Jean-François FIORINA : Oui, mais la notoriété de la marque dans le sportswear peut venir très rapidement. Pour nous, la temporalité est plus longue. Et elle peut s’effondrer très vite, si on prend l’exemple de France Business School. On sait que la chute peut être rapide et mortelle. C’est une bonne étude de cas pour tout le monde malheureusement. S’il faut 15 ans pour arriver au sommet, en 18 mois, on peut tomber dans l’abîme.

Edouard Gassin : Aujourd’hui, j’ai l’impression que pour un certain nombre de raisons et notamment la structuration de l’ESR au niveau national, l’université change d’image. Il y a encore du négatif mais émerge l’université dans une notion plus positive notamment en matière de recherche ou de diplômes de fin d’études. Ils sont un peu plus valorisés et puis aussi parce que le modèle s’internationalise alors que le modèle des grandes écoles arrive un peu au bout de sa vie. On le voit par exemple, avec l’émergence de l’Université Grenoble Alpes qui vient de remporter l’IDEX. Comment GEM se situe par rapport à cela ? Et demain serez-vous membre de cette université ? Quelle chance aura votre marque vis-à-vis d’une voisine aussi forte ?

Jean-François FIORINA : Bonne question ! Nous vivrons en complément, cooptation, coopération. Il y a une notion de territoire qui est très importante, l’histoire de Grenoble est un peu particulière et ne peut être reproduite dans d’autres villes ou nous avons avec la constitution d’une grosse université avec différentes composantes. Il va falloir gérer cela avec à ses côtés une belle business school et d’autres grandes écoles. Le tout est plutôt d’articuler le système pour que chacun puisse maximiser ses bénéfices. Quitte à proposer des passerelles et collaborations avec les autres. Ce que nous faisons déjà dans les doubles cursus ou d’autres projets communs. Et se dire, ce qui est important, c’est Grenoble. Vu du satellite nous devons exister, il faut mutualiser nos points forts, on peut trouver des complémentarités (corps enseignant, formation et recherche, back office) pour amener du monde à Grenoble et, ensuite, répartir les flux. Je pense que chacun aura un public et une mission absolument particulière. Si on se « tire dans les pattes », on va s’essouffler et on va perdre.

Edouard Gassin : Si je prends l’exemple de l’IAE qui est sur votre territoire. Si le pari du Université Grenoble Alpes est tenu, on peut imaginer que l’IAE de Grenoble devienne la business school de Grenoble.

Jean-François FIORINA : Il y a des aspects politiques que nous ne pouvons pas écarter. Je pense que nous pouvons être un des modèles de mutualisation des capacités de production. Quand je parle de mutualisation, c’est du recrutement d’étudiants étrangers, par exemple. Pour éviter de voir sur un stand à l’étranger « UGA » et un mètre plus loin celui de GEM où chacun a payé le déplacement, la com, le stand…

Cela va prendre du temps, il y a de l’idéologie, des statuts différents, des cultures différentes. Le travail est absolument gigantesque et vous l’évoquiez tout à l’heure la concurrence internationale va très vite. Le temps que nous allons prendre en discussion, organisation de process, tout le monde nous sera passé devant et, là aussi, je vous rejoins avec l’Asie, l’Afrique qui vont se développer à grande vitesse et devenir très attractifs.

On aura perdu les meilleurs étudiants. Le modèle grenoblois fonctionne relativement bien quand on descend un peu dans les strates, extrêmement bien quand chacun a compris qu’il faut mettre l’étudiant au cœur du dispositif. Ce qui est encore un écueil dans les établissements publics et les universités, en général.

Avec l’université ex Stendhal, nous avons en commun une licence de Lettres pour ceux qui viennent de Khâgne. À partir du moment où l’on a compris que nous attirions des élèves qui ne viendraient pas à Grenoble sans ce dispositif, l’université diversifie sa population étudiante et nous faisons grandir nos marques respectives. C’est tout bénéfice. Et là, nous sommes dans un système qui crée de la valeur.

Edouard Gassin : Quelle est votre avis sur la question de l’augmentation des frais d’inscription ? Notamment au sein des universités. Si demain l’IAE a plus de moyens, que va-t-il advenir des écoles comme les vôtres ?

Jean-François FIORINA : Il faudra que nous soyons meilleurs, trouver d’autres ressources, d’autres valeurs ajoutées. La première chose, c’est que l’éducation a un coût. L’Etat dépense un peu moins de 14K€ par étudiant et par an. On a trop tendance à l’oublier et quelqu’un doit financer. Se côtoient un système invisible, parce que ce sont les impôts qui financent l’université, et un système visible, celui des frais « réels » de scolarité des écoles de commerce ou autres. Il y a déséquilibre qui, à mon avis, perturbe plutôt l’université. Je propose la mise en place de chèques versés à la famille par l’État ou la Région avec des établissements labellisés ou en contrat, sur la base d’objectifs précis.

Ensuite, les étudiants sont de plus en plus mobiles et de plus en plus informés donc de toute façon, s’il y a des frais de scolarité, il va falloir trouver de la valeur ajoutée. Pour un business school, la professionnalisation et l’accès au marché de l’entreprise sont clairs. Pour l’université, quelle est sa mission, transmission de savoirs, préparation à des études supérieures, préparation à des métiers, professionnalisation ?

Il doit y avoir débat. Chacun devra trouver sa valeur ajoutée. Le système suisse est un bon exemple de répartition des missions entre établissements. Pour GEM, c’est l’accès à l’emploi dans l’entreprise de ses rêves, avec le job de ses rêves, au salaire de ses rêves. C’est pourquoi les familles sont prêtes à investir et malheureusement certaines fois à se sacrifier. Et il y a aura beaucoup d’autres formules qui permettront à l’étudiant de faire la même chose, y compris dans les universités étrangères.

Aujourd’hui, nous recevions les responsables de nos bureaux à l’étranger. Que nous disent-ils ? Nos concurrents français et étrangers sont capables de proposer – en 24h/48h – des bourses significatives couvrant la quasi totalité des frais de scolarité voire des frais de vie ! Les meilleurs étudiants vont partir rapidement et pour les autres, leur famille remettra peut-être en question le rapport opportunité d’emploi/prix de la formation. C’est une bataille de valeur ajoutée. La marque est un élément de référence mais il y a devoir de réalisation, de satisfaction des attentes vis-à-vis de la marque.

Edouard Gassin : Il n’y aura pas que la notion de qualité du produit mais également une notion d’accomplissement, de transfert d’image. Quand on parle de Polytechnique ou de la Sorbonne, les gens écarquillent les yeux mais ne peuvent dire exactement pourquoi. C’est l’effet « marque ». Alors que la Sorbonne, par exemple, ne sélectionne pas ses étudiants et qu’en fait, il s’agit de quatre entités différentes.

Jean-François FIORINA : Les deux se nourrissent.

Merci pour cet entretien !

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