Le blog de Jean-François FIORINA

Singapour : les recettes du succès de la « petite Suisse »

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Explorons cet intéressant modèle de hub où l’éducation est vécue comme un investissement structurant et une activité économique à part entière. Singapour qui fut l’un des quatre « dragons » dans les années 1980, est un pays qui se gère comme une entreprise. Courte histoire mais influence maximale, je ne cache pas mon admiration pour ce petit bout de territoire devenu l’une des principales portes d’entrée de l’Asie.

Clin d’œil à Sir Stamford Raffles, qui prit le contrôle de Singapour en 1819 pour la couronne britannique. A t-il pressenti l’importance stratégique du lieu ? En tout cas, l’histoire lui a donné raison !

Quel  dynamisme et quels contrastes ! Au sortir de l’avion, en 30 minutes, on passe de l’un des plus grands aéroports du monde aux villages de pêcheurs traditionnels, pour arriver dans une métropole à l’architecture ultra moderne aux accents chinois (Chinatown), indiens (Little India)… Et que dire de ses Food courts – malls climatisés où toutes les cuisines du monde s’y retrouvent, un paradis pour les gourmets. Tout le monde est ultra connecté. Singapour est devenue une réalité incontournable sur la carte de monde.

Singapour, l’histoire d’un petit territoire sans ressources

Au départ, rien ne le prédestinait à devenir l’un des acteurs majeurs de la mondialisation hormis sa localisation. Sans ressources naturelles, composé de nombreuses nationalités, le territoire a dû (re)construire son identité et son modèle de développement, après son indépendance en 1965. Comment est-il devenu l’un des pays les plus influents au monde ?

Avec une population de six millions d’habitants dont une petite moitié provenant de l’extérieur, elle-même composée de multiples ethnies, l’enjeu d’une cohabitation pacifique entre Chinois, Malais, Indiens, populations d’orient et expatriés d’occident, a revêtu une importance cruciale. Cela fonctionne avec l’aide d’une croissance économique soutenue. Les Français y sont toujours plus nombreux, 15 000 aujourd’hui, soit la 2ème communauté française d’Asie, loin derrière la Chine (plus de 30 000 personnes).

Pour bien gérer ces différences, le gouvernement a décidé d’octroyer 2 jours fériés par communauté et quatre langues y sont officiellement reconnues. Son plan d’urbanisme interdit les trop fortes concentrations communautaires. Le pays doit cependant faire face à une des natalités les plus faibles du monde ce qui explique ses inquiétudes vis-à-vis des étrangers. Sa grande crainte est de voir les locaux marginalisés par le déclassement du fait de compétences obsolètes. Un paradoxe quand on sait que sa richesse – 2ème port au monde pour le tonnage exporté, l’un des premiers aéroports avec 5000 rotations/jour et 200 villes desservies – tient à son ouverture au monde !

Singapour se gère comme une entreprise

La force de Singapour réside dans son dynamisme et sa rigueur étatique. La planification à très long terme des infrastructures et des programmes gouvernementaux est respectée à la lettre ce qui lui confère une image et un pouvoir d’attraction forts. Par ailleurs, république dirigiste, elle assure une stabilité politique propice au développement des affaires, à la consommation. Il n’y a quasiment pas de corruption ni de chômage.

Des services stratégiques au cœur des routes maritimes

Tirer parti de sa géographie, de son intelligence et de sa diversité culturelle, telle pourrait être la devise de Singapour. Le pays a donc construit sa richesse sur la fourniture de services stratégiques, financiers, éducatifs. Idéalement situé à la charnière des mondes occidentaux et orientaux, c’est un hub de premier plan aux plans maritime, aérien et financier. Pour les biotechnologies, tout un quartier sort de terre – Buona vista. Une réussite dans un contexte de forte concurrence avec Hong-Kong et les Émirats qui se positionnent sur une offre de services à haute valeur ajoutée souvent sur les mêmes secteurs. Singapour, c’est la porte du marché asiatique et chinois sans la main mise de Pékin comme à Hong-Kong.

L’éducation à Singapour comme moteur de performance

20%, c’est l’importante part de l’éducation dans le budget du pays. Elle vise plusieurs cibles pour lesquelles les exigences sont fortes.

  • Les locaux, le système est intense et compétitif.

Les enfants sont sous pression dès le primaire. Pour progresser, ils suivent des cours privés le samedi, apprennent une 3ème langue, etc. Il y a une véritable compétition dès le primaire pour l’accès aux meilleures filières. Et seulement 30% des diplômés de l’équivalent de notre baccalauréat ont accès à l’université.

  • Les seniors à qui il est offert de se former pour développer leurs compétences et leur employabilité. La faible natalité laisse présager un boom de la « silver » économie.
  • Les étrangers. Le pays souhaite attirer les meilleurs dans les universités. S’il est possible de venir y étudier, le visa de travail est difficile à obtenir. Les locaux sont privilégiés. Les offres d’emploi sont réservées pendant 15 jours aux Singapouriens par l’équivalent de Pôle Emploi. En théorie, le ratio est de 15% pour les étrangers. Cela ne pose pas trop de souci pour les multinationales qui sont très demandées mais c’est un problème pour les PME qui ont des difficultés à recruter. Une politique qui s’applique pour les emplois intermédiaires mais de manière moins contraignante pour les postes de DG ou de Comex.

L’effort national en matière d’éducation s’exprime de manière variée. Un exemple intéressant, le « programme 500$ », une subvention de formation pour tous. Face à la crainte de déclassement déjà évoquée, le gouvernement offre à chaque citoyen en âge de travailler une subvention annuelle pour se former (équivalente à 350€). Libre à lui de la consommer pourvu qu’elle lui permette de monter en compétences (langues par exemple), d’en développer de nouvelles, de maintenir son employabilité. Une manière très concrète et directe d’envoyer un message politique : le salut du territoire passera par l’investissement dans la connaissance, l’immatériel, la formation permanente et l’élévation « qualitative » de chacun.

  • Singapour, un pôle d’Enseignement supérieur fort

Bénéficiant de la stabilité politique et d’une position géographique unique, Singapour a décidé de faire de l’Enseignement supérieur un axe stratégique et un véritable business à part entière. Le système est généralement basé sur l’alternance du passage de l’université à la vie active : bachelor en quatre ans, puis période de vie active, et retour aux études pour un master.

Là encore, le système est très intensif. Les étudiants de GEM en échange me confirment que les étudiants singapouriens travaillent énormément en bibliothèque. Revers de la médaille, un certain manque de créativité.

o   Des universités publiques puissantes

L’Etat singapourien dispose de 3 universités de rang mondial, une 4e est en construction consacrée au design. Les moyens sont donnés pour voir émerger les pépites de demain, les nouveaux Bill Gates ! Avec toujours en filigrane cette peur du déclassement, cette nécessité d’être au top de l’employabilité vis-à-vis du monde extérieur.

En 2000, lors de mon précédent déplacement, SMUSingapore Management University sortait de terre, en partenariat, dès son démarrage, avec la Wharton School ! Seize ans plus tard, elle est au 35ème rang mondial avec 80 000 étudiants et un positionnement APEC.

Ses bâtiments sont fantastiques. Les salles de classe regroupant 50 étudiants ont un acoustique unique : sans micro le professeur est parfaitement entendu en parlant même à voix basse. Tout est fait pour favoriser l’interdisciplinarité, les classes inversées. Les étudiants de GEM auront fait leurs études dans une diversité culturelle inégalée.

Quand je les interroge, ils plébiscitent le dynamisme du territoire, la tranquillité et la sécurité des lieux. Le hub aérien leur permet, avec les nombreuses compagnies low cost, de voyager et de découvrir l’Asie facilement (Vietnam, Malaisie, Indonésie…). Singapour est une bonne carte de visite et une manière efficace de constituer son réseau. 

o   Une ouverture internationale qui valorise deux axes :

L’accueil volontariste par l’Etat des plus grandes marques mondiales. Sont présentes sur le territoire, l’INSEAD, l’ESSEC et l’EDHEC. C’est la CPE, l’agence publique du supérieur qui autorise l’installation des universités étrangères.

Un système ouvert aux providers. Ces établissements proposent des programmes délocalisés d’institutions étrangères à destination des Singapouriens non admis à l’université et d’étudiants de la région. L’ouverture de ces programmes est également conditionnée à une autorisation de la CPE. L’offre a tout d’un inventaire à la « Prévert ».

J’avais également rencontré en 2000, l’un de ces providers, Singapore Institute of Management. 16 ans après SIM est devenu un acteur redoutable et important de l’enseignement

Comme me l’a signalé l’une de mes interlocutrices d’une université prestigieuse, à Singapour, le « public » est considéré comme de très haut niveau et le privé « bas de gamme »

Quelques scandales retentissants ont émaillé l’histoire de ces implantations comme celui de l’Université australienne UNSW. Après avoir empochés les subventions, l’université a décidé de quitter le territoire, laissant sur le carreau nombre d’étudiants.

Par ailleurs, l’obtention de visa de travail pour les étrangers devient plus compliquée limitant l’attractivité de Singapour comme centre de formation pour les étudiants de la zone, sans compter le souhait de la Malaisie de créer son propre hub d’éducation avec Educity.

L’objectif des autorités est d’attirer les meilleurs talents et de développer une activité de service haut de gamme. Une approche renforcée par la création d’incubateurs géants (comme launchpad) et l’investissement dans les technologies d’avenir (notamment biotechnologies). C’est d’autant plus pertinent que de nombreuses entreprises étrangères ont établi leur quartier général asiatique à Singapour

Pour nous, Singapour a une place importante dans la stratégie internationale de l’école, en matière d’échanges (avec NUS et SMU) et de programmes via un provider. Comment faire évoluer ce positionnement ? Pour toute grande marque internationale, la question du choix entre Singapour et Hong-Kong se pose. Bien que cette dernière soit souverainiste et donc soumise inéluctablement à l’influence de plus en plus forte de la Chine continentale.

Il y a une réelle rivalité entre ces deux villes, chacune sachant pertinemment qu’il n’y aura pas la place pour 2 leaders de cette envergure. Qui l’emportera ? La réponse pour l’instant n’est pas évidente.
Petit clin d’œil à la géopolitique, on voit bien ici l’importance de cette discipline dans l’analyse économique !

Les 2 idées forces du modèle singapourien que je souhaiterais que la France adopte ? La planification rigoureuse des investissements structurants du pays et l’investissement dans un Enseignement supérieur hautement qualitatif, international, compris comme un véritable vecteur de croissance économique et sociale.

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