Le blog de Jean-François FIORINA

Entreprendre au rythme de la mondialisation dans un pays pauvre. Acte 2 : de la réalité du terrain à l’international

entreprendre dans la mondialisation, mondialisation dans un pays pauvre

Deuxième chapitre de mon voyage à Madagascar dans lequel le groupe familial SOCOTA s’adapte à un environnement instable, saisit les opportunités et crée de la valeur. L’ensemble du groupe compte 8000 salariés dont 7.000 dans son pôle textile et habillement, un exemple de réussite internationale spectaculaire dans un des pays les plus pauvres et les plus corrompus au monde. Étude stratégique.

  • Une stratégie soumise aux aléas géopolitiques et politiques de Madagascar

1)        1ère phase : le gouvernement marxiste nationalise les entreprises en 1975.

En un instant, tout est perdu. Le père de Salim Ismail, actuel président du groupe SOCOTA (voir mon post précédent) se retire en voyant s’effondrer tout ce en quoi il croyait. De longues négociations avec l’Etat malgache conduisent finalement à un montage un peu particulier avec l’aide des bailleurs de fonds internationaux qui avaient financé initialement l’entreprise (Banque Européenne d’Investissement, Société Financière Internationale filiale de la Banque Mondiale).

La Convention qui a été signée a permis à l’Etat malgache d’acquérir la majorité du capital à hauteur de 51% pour 1€ symbolique. En contrepartie, la Famille Ismaïl conserve une part minoritaire à hauteur de 49%. Elle est considérée comme un partenaire privé étranger ! La Convention garantit d’une part la libre disposition des 49% et le libre transfert des dividendes leur revenant et d’autre part que toute nationalisation future donnera droit à une indemnisation équitable à dire d’expert. La gestion de l’entreprise est planifiée en périodes contractuelles de 3 ans, à la manière d’une SEM.

Cela a permis d’atténuer le choc, de pérenniser le fonctionnement et… de disposer de ressources financières notamment pour créer l’usine de l’Ile Maurice.

Premiers pas dans la diversification avec l’armement d’une flotte de pêche dans le canal du Mozambique.

La période de malgachisation débute (langue, économie, système) avec une mainmise de l’Etat qui entraîne, hélas, le développement de la corruption à grande échelle. Le pays est totalement saccagé : en matière d’éducation, l’enseignement ne doit se faire qu’en malgache, rien n’est prévu, aucun manuel, aucun matériel pédagogique. En résulte une génération d’incultes doublée d’une culture de l’insularité, le pays se referme sur lui-même.

La période marxiste entraine un véritable effondrement économique.

2)        2ème phase : La période de libéralisation économique

Au milieu des années 80, virage à 180° ! Madagascar demande l’aide du FMI et de la banque mondiale. En échange, ces institutions exigent la libéralisation des échanges et la reprivatisation des entreprises nationalisées. C’est le cas pour la filiale textile de Socota dont la famille Ismaïl reprendra le contrôle en rachetant à l’Etat les actions qu’elle lui avait cédé pour 1€ à leur valeur mathématique (1989). Cette nouvelle étape va ré-ouvrir une nouvelle espérance dans l’avenir. Mais les effets pervers de l’ouverture demandent de nouvelles adaptations drastiques.

a) Pour l’activité textile

Début de la décennie 1990, les frontières ouvertes exposent le pays aux importations massives et frauduleuses de textile bas de gamme venues d’Extrême-Orient.

L’absence de droits de douane et de TVA (20%) pour ces importations entraîne en 2 ans la perte des 70% de parts de marché textile intérieur détenus par Socota . Mais le groupe réagit et décide de moderniser l’usine, de redéployer la production vers l’export au sein de la Zone Franche Malgache. Avec la création d’un bureau de design à Paris pour monter en gamme.

L’export est d’autant facilité par l’AGOA – African Growth Opportunities Act dont Madagascar est signataire. Il permet d’exporter sans droits de douane aux USA.

Dans un 2ème temps, la nouvelle stratégie d’intégration verticale entre sa production de textile et d’habillement permet d’élargir ses services et de pénétrer de nouveaux segments du marché international de la mode (milieu des années 2000).

b) Pour l’activité d’armement de pêche

La délivrance inconsidérée de licences de pêche à de nouveaux opérateurs entraîne une surexploitation de la ressource crevettière et sonne le déclin de l’activité. Le groupe décidera alors d’investir dans une ferme d’élevage de crevettes BIO sous la marque OSO.

Une première ! Avec toujours ce souci de différenciation, de création de valeur :

  • premier producteur de crevettes à l’échelle mondiale certifié par la marque française d’Agriculture Biologique (AB) –,
  • intégration verticale pour contrôler la filière, avec l’entrée en 2009, au capital de R&O leader français de la distribution des produits de la mer et d’eau douce avec une participation initiale de 47%, La Présidence du CA et la DG opérationnelle de R&0 sont assurées aujourd’hui respectivement par Gauthier et Mathias les deux fils de SalimISMAÏL (il ne doit pas y avoir beaucoup d’entreprises malgaches à avoir réussi une évolution stratégique de cette nature dans une entreprise française de premier plan dans son secteur – ndlr !).

3)        3ème phase : crise politique à Madagascar, crise économique en Europe et fin de l’AGOA

La réponse ? Le renforcement de la stratégie d’intégration verticale, en se positionnant auprès de ses clients internationaux comme guichet unique africain (« one stop shop ») offrant des solutions de mode, l’augmentation des capacités de production avec embauches massives.

  • Une adaptation au développement économique de l’Ile Maurice

L’implantation dans la Zone Franche mauricienne a changé de manière radicale l’état d’esprit du Groupe SOCOTA ainsi que sa vision du monde :

  • adaptation à la concurrence internationale,
  • modernisation des métiers, absorption de savoir-faire,
  • intégration dans des chaînes de valeur mondiales hautement concurrentielles,
  • Connaissance des consommateurs non africains.

Cette démarche a inspiré le business-modèle malgache. Parallèlement, le prodigieux essor économique de Maurice et l’augmentation corrélative de ses coûts salariaux, entraine la délocalisation de son industrie textile. Le pays délaisse le textile et décide de devenir un centre de services.

Cette perte de compétitivité entraîne le rapatriement des activités à Madagascar mais l’entreprise n’abandonne pas Maurice pour autant. Les liens tissés sont forts et la fidélité à ceux qui l’ont « aidé » font que le Groupe Socota va investir dans la création d’infrastructures destinées à accueillir des laboratoires R&D dans les biotechs, puis dans un excellence lab avant de créer un incubateur. L’idée est d’exploiter également les ressources de Madagascar véritable « pharmacie du monde » et terre reconnue d’exceptionnelle biodiversité (en particulier dans le Nord du pays).

Prochaine étape en cours de lancement : l’agriculture à haute valeur ajoutée dans le paysannat avec une conviction forte : « …le développement de Madagascar sera rural ou ne sera pas ».

  • Quelles problématiques de développement à Madagascar ?

Elles sont nombreuses, « rien n’est facile à Madagascar » comme je l’ai souvent entendu.

Problématique N°1 : la gestion des Ressources Humaines. Pour le groupe SOCOTA, c’est LA question prioritaire.

1.1      Tout est à créer !

Former

Nourrir

Soigner

Pour certains ouvriers, l’entreprise est le seul endroit où ils ont de l’électricité et où ils peuvent se laver …

1.2      Comment attirer des talents ?

1.2.1 L’insuffisance du système de formation et l’enseignement supérieur à Madagascar

Pour pallier ces manques, le recours à des expatriés est largement utilisé, en excès. Il faut également travailler sur la diversité et la créativité des étudiants.

Le système est de faible qualité, dès le primaire, avec des professeurs peu ou pas payés. Peu de culture générale, difficulté à écrire avec un niveau de langues insuffisant. L’enseignement en malgache a pénalisé toute une génération qui a elle-même (beaucoup) d’enfants qui ne peuvent être formés… Et la géographie rend difficile l’accès aux écoles.

Le modèle de l’apprentissage est basé sur le par-cœur, il manque d’ouverture d’esprit et sur le monde. Ne permet pas l’expression critique ou créative. Les élèves répondent poliment à ce qu’attend l’interlocuteur (ou que l’on pense qui l’attend). On s’excuse quand on prend la parole.

Quelles insuffisances pour l’enseignement supérieur ?

Le système n’offre pas la possibilité de travailler en équipe ou l’apprentissage de la prise de décision. De ce fait, seul celui paye, peut avoir une éducation (à l’étranger), pour les autres, c’est un synonyme d’échec. Les grèves sont régulières à l’université. Avec la hausse démographique, c’est une bombe à retardement

Internet trop cher

Paradoxalement, les coûts augmentent alors qu’ils diminuent dans d’autres pays, sans compter les problèmes d’alimentation électrique

1.3      Le management

Paradoxalement, le Malgache réussit très bien quand il est à l’étranger (médecin, architecte, ingénieur…) mais n’a pas le même comportement dans son pays d’origine. Difficile de se projeter au vu de la situation économique et politique.

Le poids de la tradition et l’importance de la parole de l’ancien limitent les possibilités de changement. Sa parole n’est pas remise en cause.

L’insularité renforce l’effet miroir : Madagascar est peu tournée vers l’extérieur et sa connaissance du monde est assez faible. Cela se traduit notamment par le petit nombre de liaisons aériennes : Turkish Airlines vient d’ouvrir récemment une liaison mais les grandes compagnies « voraces » (Emirates, Qatar) ne desservent pas l’île. Air Madagascar annule souvent ses vols tandis qu’Air France pratique de prix élevés à faible fréquence.

Les grandes villes étant situées à l’intérieur des terres, l’avion est le seul moyen de transport efficace, compte tenu de l’état des routes, peu praticables et peu recommandables.

Le pays subit une corruption généralisée et banalisée, perçue comme une forme normale de redistribution des richesses.

Problématique n°2 : l’instabilité politique

L’Etat ne rembourse pas les crédits de TVA due aux entreprises exportatrices : le problème est en voie d’amélioration mais le passif s’est élevé en 2014 à plusieurs dizaines de millions d’euros ! Par ailleurs, Socota qui figure parmi les principaux clients de la société malgache de fourniture d’électricité n’a pas voix au chapitre : les contrats lui sont imposés de manière unilatérale. 

Problématique n°3 : faire face à la nouvelle concurrence internationale, notamment de l’Ethiopie qui bénéficie d’un fort soutien des autorités publiques locales et d’investisseurs internationaux.

  • Le défi de la formation

Comment disposer d’un management fort pour le groupe SOCOTA ? A la fois conscient des réalités et capables de maintenir les positions à l’international notamment. Une question qui concerne particulièrement le middle management.

Le grand écart devient toujours plus important entre la réalité malgache et les exigences internationales. Socota pourrait être située en occident, elles a de vrais besoins en compétences du 21ème siècle (cf mon post à ce propos).

Comment faire ?

1ère possibilité : attirer des malgaches de la diaspora

Sur le papier, tout est possible : ils sont qualifiés, ont de l’expérience, et connaissent la culture locale et internationale.

Mais ils ne veulent pas revenir au pays car ne trouveront pas de situation équivalente ni pour eux ni pour leurs enfants (éducation, perspectives).

Par ailleurs, les familles sont exigeantes vis-à-vis de celui ou celle qui a réussi (et qui donc doit financer). Au final, cela ne fonctionne pas.

2ème possibilité : distribuer des bourses pour étudier à l’étranger, au vu de la faiblesse de l’enseignement supérieur. Mais ne reviennent pas…

3ème possibilité : former sur place

Faut-il le faire soi-même ou en nouant des partenariats avec des établissements ?

Avec les universités ? faisable mais limité

À tenter avec des écoles d’ingénieurs mais pas en management.

Avec les écoles ? Oui mais tout est à structurer. Je vous renvoie vers mon article où je parle de mon expérience de mentor de l’ISCAM. http://www.efmdglobal.org/edaf

Cela prendra du temps. Un exemple : la corruption. Toutes nos institutions occidentales en parlent dans les cours d’éthique. Bien évidemment tous les étudiants sont offusqués MAIS quand le phénomène se banalise dans votre environnement,
comment faut-il en parler et former ces étudiants ?

Au final, quelle illustration de l’histoire de la mondialisation ! Qui montre également le caractère primordial du rôle de l’éducateur, l’importance de la formation pour le développement d’un pays au plan culturel, économique et social.

Et une rencontre extraordinaire avec une personnalité fascinante, Salim Ismaïl. Homme de conviction et de principe qui redonne confiance en l’être humain !

 

DISCOURS DE M. SALIM ISMAÏL A LA CEREMONIE DE REMISE DES DIPLÔMES DE LA 25ème PROMOTION DE L’ISCAM LE 1er SEPTEMBRE 2016

 

 

 

 

 

Commentaire (1)

  1. Fabrice Bertin

    Un Grand merci Jean François pour tes propos
    Nous continuons à investir massivement tant dans notre outil de production que dans la formation. Notre centre de formation est maintenant agréé par le ministère et nous serons en 2020 plus de 11 000 salariés a Antsirabe Amities

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.