On en parle tellement dans les médias et les colloques que certains commencent à saturer. L’« Innovation » devient un mot « valise », une tarte à la crème contemporaine que chacun glisse dans son discours, un axe stratégique que tous les établissements d’enseignement supérieur veulent développer. C’est même devenu une injonction pour les collaborateurs qui doivent tous développer leur fibre innovante et entrepreneuriale. Si l’innovation reste cruciale pour le développement de nos sociétés et nos économies, son apprentissage ne peut se réduire à un « cours » – si complet soit-il. Innover, c’est un continuum, une progression, un état d’esprit à inculquer dès le plus jeune âge, et pas seulement en fin de cursus académique, dans des cerveaux déjà bien « formatés » ;=)
Innovation : de Leonard de Vinci à Steve Jobs
Le parallèle est osé mais ces personnalités avaient une caractéristique commune : la soif d’apprendre et une insatiable curiosité pour des matières quelquefois très éloignées voire contradictoires. Vinci l’artiste, le penseur, l’homme de science et de paix mais également le créateur de machines de guerre, l’homme de pouvoir et d’influence. Steve Jobs, l’inclassable, le rebelle, le créateur mais également le génie du marketing, de la communication et du business. Des cerveaux capables de relier des univers a priori sans connexion. Et pourtant… que seraient devenus Vinci sans son approche universelle et cosmologique ? Et Steve Jobs sans sa passion pour les cultures lointaines et la calligraphie qui lui inspira l’importance de la forme et du design dans l’innovation, fondement du succès d’Apple.
Comment apprendre à innover ?
L’innovation est à la fois une compétence du 21ème siècle comme elle le fut au 1er… Il y eu des périodes de création et de développement incroyables dans l’histoire de l’humanité qu’on opposent à d’autres où régnaient l’obscurantisme et la peur. Il y a donc plus que des cycles, des contextes, un état d’esprit innovant qui peut ou non s’épanouir pour donner de nouveaux fruits. C’est ce que je crois.
À nous éducateurs et décideurs, de susciter, d’encourager ces contextes, de favoriser les apprentissages les plus variés, de faire de la culture générale un pivot du développement personnel, social ET économique.
- D’où l’importance de l’écoute et de la veille pour détecter les signaux faibles qui feront le mainstream de demain, pour détecter les incohérences, les manques et les frustrations pour imaginer et créer le chaînon manquant, les services attendus ou inédits. L’innovation ne peut se résumer à la collecte et à la maitrise d’outils technologiques. L’innovation n’est-ce pas se simplifier la vie ?
- D’où l’importance de l’analyse des questions sociétales, des débats et polémiques pour comprendre les enjeux et jeux des acteurs en présence, les leviers d’influence pour ensuite savoir les actionner. L’influence et l’innovation naissent de la différence et non du suivisme. L’influence et l’innovation naissent la quête de l’usage et du sens.
Pédagogie innovante : cours, modules, ateliers ?
Apprendre à innover mobilise un nombre important de champs disciplinaires (science, sociologie, management) et de méthodes (approche transversale, travail en mode projet, international, créativité, digital, veille et études…) que vouloir rassembler le tout en un seul cours relève de l’exploit ou de la dilution maximale. Le risque est à la fois de réduire cette diversité et cette richesse au plus petit dénominateur commun donc frustrant, ou de voir l’enseignant submergé par l’ampleur de la tâche dont il ne tient par définition qu’un bout de la pelote.
Alors que faire ? Démarrer dès le plus jeune âge. Et pourquoi pas dès le primaire ? L’innovation est un « science » participative dont les rouages ne sont pas évidents pour un cerveau issu de l’apprentissage traditionnel. Elle s’acquiert par le travail de groupe, la controverse, l’exploration pratique, l’erreur, le tâtonnement, mettre les mains dans le cambouis. On parlera dès lors de modules ou de projets.
L’une des difficultés auxquelles nous sommes confrontées aujourd’hui réside dans le fait que l’enseignement supérieur doit faire seul le travail en bout de chaîne. Alors qu’il aurait dû démarrer en amont. Je propose une montée en gamme progressive à intégrer dans les cursus scolaires avec les enseignants, les élèves, la société civile. Comme l’innovation n’est pas forcément qu’une rupture radicale, une disruption, elle peut se vivre dans la durée, dans l’acquisition de nouveaux réflexes de pensée et d’action.
J’ai été frappé par l’expérience menée, de 2011 à 2014, par Céline Alvarez dans une classe de maternelle à Aubervilliers (Zone d’Education Prioritaire). Dans son livre et son blog, Les lois naturelles de l’enfant, elle montre qu’en appliquant à la pédagogie les avancées des neurosciences cognitives, sociales et affectives, les enfants progressent de manière spectaculaire indépendamment de leur milieu social. À trois ans, ils savent lire. Les enseignants se sont également concentrés sur les compétences exécutives de l’enfant dont le développement est très fort à cet âge. Elles ont, par ailleurs, étudié les éléments de pédagogie scientifique du Dr Maria Montessori datant de 1907 ! Elle même engagée dans les quartiers très pauvres d’Italie. Une nouvelle démonstration que l’innovation passe par l’ouverture d’esprit, des méthodes de bon sens ou expérimentées favorablement quelquefois de plus de 100 ans !
Le digital reste également un bon exemple. L’innovation en matière numérique comme je le disais ne se résume à ses outils. On voit bien aujourd’hui que son irruption oblige à repenser les modèles économiques, de la TPE au grand groupe. « Ce n’est pas la plus forte des espèces qui survit, ni la plus intelligente, mais la plus réceptive au changement. » expliquait Charles Darwin. Appliquer au monde de l’entreprise ou des sociétés humaines : Innover (pour survivre), c’est savoir s’adapter pas forcément être le plus fort ! Rassurant non ?
Ce n’est effectivement pas Kodak qui a innové sur l’appareil photo numérique et ce n’est pas Accor qui est à l’origine d’AirBnB