Les temps sont au repli, au moins dans le discours. Après le coup de semonce du Brexit, en juin dernier, avec 52% de Britanniques pour la séparation de l’UE, puis l’élection, la semaine dernière, d’un Donald Trump « isolationniste », la tendance se confirme. En tant qu’établissement du supérieur opérant dans le monde entier et largement dans la sphère anglo-saxonne, nous devons anticiper et nous préparer aux conséquences de ce changement d’ère. Impacts déjà sensibles et scénarios pour l’enseignement supérieur français et au-delà.
Être présent au Royaume-Uni, une évidence. Pour poser le cadre, une business school d’envergure internationale ne peut ignorer le Royaume-Uni. Nous y sommes présents à plusieurs titres :
- Les programmes délocalisés
Il s’agit de programmes/cours entièrement dispensés à Londres sous contrôle pédagogique de l’école d’origine. En l’occurrence, GEM propose : 1 MBA, 1 MSc Fashion Design and Luxuary Management, 1 MSc Finance, 1 Bachelor of International Business.
Ces programmes intéressent des étudiants venus du monde entier, ils privilégient Londres pour l’anglais, son influence et les réseaux internationaux de cette métropole.
- Le programme Transcontinental à Cambridge où se déroule une partie du programme Grande École pour un groupe d’élèves.
- Des échanges académiques (classiques) type Erasmus au semestre, à l’année ou dans le cadre de double diplômes.
- Des partenariats avec les Universités anglaises dans le cadre de programmes européens. Ils couvrent beaucoup de domaines comme la recherche. Jusqu’à présent, il a toujours été utile d’avoir un partenaire anglais dans les appels d’offre européens car ils sont très forts pour trouver des financements (européens).
Brexit : impact et influence sur l’activité
Je considère qu’une cohorte d’environ 250 étudiants est concernée, chaque année, par les actions précédemment citées. La mise en œuvre opérationnelle du Brexit aura donc une influence mais le processus d’ « insularisation » a déjà commencé, il y a deux ans, avec la limitation du nombre des visas pour les étudiants étrangers hors UE. Premier coup de Trafalgar !
Par ailleurs, la Chartered Association of Business Schools dans son rapport annuel observe une augmentation de 17,5% du nombre des étudiants initialement inscrits qui ne sont pas présentés au début de l’année académique 2016-2017. Un chiffre atteignant 20% dans certaines universités.
L’impact négatif est réel sur notre activité en terme administratif, du fait des complications dues à la gestion des visas, et en terme de communication car ces incertitudes véhiculent une image négative, des interrogations auprès des étudiants.
Par contre, nous y avons un avantage financier car nous réglons en livres sterling.
Les suites du Brexit
Il est encore trop tôt pour statuer mais nous devons anticiper compte tenu des cycles longs liés à la vie de nos établissements d’enseignement supérieur, même si le débat outre-Manche ne semble pourtant pas totalement tranché.
Il est clair que nous ne pouvons tirer un trait sur le Royaume-Uni pour de nombreuses raisons : langue, histoire, géopolitique, savoir faire spécifiques dont la finance, réseau de business schools puissant et dynamique. Encore moins sur Londres, une ville très attractive ne serait-ce que pour les Français qui y constituent la première communauté d’expatriés. Il y a aussi des questions pratiques. Il est plus court de se rendre de Paris à Londres que de Paris à Grenoble…
Il n’est pas pensable non plus pour nous de quitter les lieux pour une question d’image de marque. Sans compter les programmes et partenariats pédagogiques énoncés précédemment. Notons à ce propos, les courriers reçus de nos partenaires universitaires britanniques à la suite du Brexit, réitérant leur volonté de collaborer malgré les événements… Les universitaires et les chercheurs ne cachent leurs inquiétudes quant aux possibles coupes budgétaire dans les programmes de recherches transnationaux financés par l’Europe. (The Guardian, 13.11.2016).
Les Britanniques paradoxalement champions de la chasse aux subventions européennes en quittant l’Union perdront cette manne. Stopperont-ils les flux d’échanges ? J’image que non. Des accords bilatéraux de réciprocité seront alors négociés. L’hypothèse d’un raidissement de l’attribution de visas aux étrangers sera peut-être une opportunité pour le « continent » par un afflux d’étudiants en France et dans le reste de l’Union ? Voire de professeurs de talent. Nous recevons, d’ailleurs, nos premières candidatures spontanées. Une information qui recoupe l’inquiétude des non nationaux non européens installés en Grande-Bretagne comme le raconte ce professeur australien dans cet article du Times Higher Education du 10.10.2016.
À moins que la « perfide Albion » ne décide de décentraliser ses établissements en France créant ainsi une nouvelle concurrence. Imaginons un étudiant de classe préparatoire démarché en France par une université britannique prestigieuse pour suivre son cursus académique sur notre sol. Deuxième coup de Trafalgar !
Brexit : s’adapter à une nouvelle géopolitique à la britannique
Vont-ils se recentrer sur leurs fondamentaux historiques, le Commonwealth, par exemple, pour y intensifier leur influence ? Nous devrons alors nous adapter pour continuer à bien gérer les relations avec nos alumnis et les entreprises partenaires basées sur place et rayonnant dans leur sphère (nouvelle ?) d’influence.
Outre-Atlantique, cette fois, il est également trop tôt pour savoir ce que sera la politique de D. Trump, entre limitation de l’immigration et préservation de l’influence des grandes marques US de l’enseignement supérieur dans le monde. Aucun discours n’a fait état pendant la campagne d’une quelconque stratégie en matière d’enseignement supérieur. Les faits sont têtus, le tiers des étudiants chinois à l’étranger sont accueillis aux Etats-Unis, seront-ils toujours les bienvenus et attirés ? Les observateurs indiquent un probable arrêt – au moins temporaire – de l’internationalisation de l’enseignement supérieur US (University World News, 11.11.2016).
Au vu de ces séismes politiques, l’Union européenne a d’autant plus intérêt à serrer les coudes et proposer une alternative crédible et ouverte pour ces étudiants qui ne trouveront peut-être pas aussi facilement le port d’attache qu’ils souhaitent. En prenons-nous le chemin ? Il n’en tient qu’à nous, Européens et Français, de faire de ces difficultés à venir, une opportunité et une force. C’est une responsabilité que nos politiques doivent intégrer pour préserver ce qui fait la force et l’image des éléments de compétitivité de notre enseignement supérieur dans le monde.