La publication des résultats de l’étude PISA vient de nous rappeler une fois de plus l’importance d’un système éducatif performant. C’est l’occasion de donner la parole à l’un de ses fins connaisseurs, acteur engagé et crédible, Jean-Michel Blanquer qui publie L’école de demain. Personnalisation, effort, plaisir, savoirs fondamentaux, des mots que l’auteur place très haut dans ses propositions pour une école renouvelée. Intéressante mise en perspective (continuité ?) d’un actuel directeur de grande école de management (ESSEC) au parcours ministériel et éducatif conséquent dans l’Éducation nationale.
Jean-François FIORINA : Pourquoi écrire un livre (de plus) sur l’école dans cette profusion d’ouvrages sur le thème ?
Jean-Michel BLANQUER : C’est une bonne chose que l’école intéresse et passionne, surtout à un moment où le pays doit se prononcer sur son avenir. Cette vitalité du débat a de quoi rendre optimiste. Chacun sent bien qu’il faut une nouvelle donne si l’on veut plus d’efficacité et d’équité de notre système scolaire. Il faut une forme de renaissance.
Ce que j’ai voulu faire avec L’Ecole de demain, c’est nourrir le débat par une démarche méthodologique qui vise à objectiver chacune des propositions en reposant sur trois piliers : ce qu’enseigne l’expérience ; ce qu’enseigne la science ; ce qu’enseigne la comparaison internationale.
L’éducation est un sujet très sérieux qui mérite d’appuyer les affirmations non pas seulement sur des opinions ou sur son expérience personnelle mais, autant que possible, sur des points démontrables.
Sur cette base, j’ai cherché à proposer une vision globale et formuler des propositions concrètes, de l’école maternelle jusqu’au lycée, pour résoudre les difficultés majeures de l’école française. C’est pourquoi j’indique les mesures qui seraient souhaitables à la fin de chaque chapitre. Je cherche à identifier les leviers de progrès à court, moyen et long terme. Et je suis convaincu que ces progrès sont à notre portée.
Pourquoi un directeur d’une des meilleures business schools s’intéresse à ce sujet ? Serons-nous (ESC) impactés à terme ?
Mon fil rouge dans la vie, c’est l’éducation. Je pense que l’éducation est ce qui définit l’être humain. Je pense qu’elle est ce qui pourra nous faire encore progresser dans le futur à un moment où l’idée même de progrès est en crise. Mon parcours m’a conduit à exercer des responsabilités très diverses dans le champ de l’éducation : professeur, directeur d’un institut, recteur d’académie, directeur général de l’enseignement scolaire et aujourd’hui directeur d’une grande école de management.
Je suis très heureux à la tête de l’ESSEC parce qu’il y a justement dans cette école une tradition humaniste qui pousse à engager notre recherche et nos étudiants à contribuer à améliorer le monde. Notre but est d’amener nos étudiants à l’excellence professionnelle mais aussi à l’implication au service de la société.
De plus, toute institution d’enseignement supérieur doit s’intéresser à ce qui se passe en amont de son recrutement. Aujourd’hui, si certains pans de notre système d’enseignement, à commencer par les écoles de management, fonctionnent bien, il n’en va pas de même partout. Ainsi, le champ scolaire est caractérisé par une très grande hétérogénéité de situations, avec des élèves, des écoles et des établissements qui vont bien et d’autres qui vont mal. Or beaucoup de choses se jouent dès le plus jeune âge. Il est donc logique et impératif d’y porter attention.
Les maux de l’école sont connus. Nous sommes très forts dans le diagnostic mais incapables d’inverser la tendance (dégradation de notre système scolaire).
Bien sûr. Tout le monde est conscient des difficultés que rencontre l’école française et en particulier de la part importante d’élèves en situation délicate dès l’école élémentaire. Les enquêtes internationales comme PISA nous le rappellent d’ailleurs très régulièrement. Toutefois, je crois que nous sommes parvenus à un moment inédit de maturité du débat éducatif, qui permet d’envisager des pistes d’action pertinentes et de les mettre en œuvre. Notre école a trop longtemps souffert d’effets de « stop and go » liés aux alternances politiques. C’est extrêmement néfaste. Mais je crois qu’aujourd’hui, grâce à ce que nous enseignent l’expérience, la science et la comparaison internationale, les lignes sont en train de bouger. Il suffit de regarder la question de l’apprentissage de la lecture. Après des batailles épiques, et surtout très néfastes pour des générations d’écoliers, tout le monde ou presque s’accorde aujourd’hui pour reconnaître l’importance de l’enseignement explicite du code alphabétique ! Ce n’était absolument pas le cas il y a 10 ans et les progrès récents des sciences cognitives ont joué un rôle majeur dans cette évolution. On pourrait dire la même chose de l’enseignement des mathématiques qui pourrait connaître un rebond sur la base de méthodes qui fonctionnent.
Dès lors, nous pouvons souhaiter et espérer le déploiement de politiques éducatives sur la longue durée, ce qui est absolument nécessaires si l’on veut obtenir des résultats. Cela recréerait les bases d’une confiance de la société dans l’école.
Quant à l’enseignement supérieur, il y a des parallèles possibles, notamment l’écart entre des étudiants qui réussissent très bien et d’autres qui échouent. D’ailleurs, c’est souvent ici la conséquence de choix d’orientation inadaptés, faute d’avoir su proposer des alternatives stimulantes au lycée, voire de difficultés bien plus anciennes non résolues à la sortie de l’école élémentaire et du collège. C’est aussi dû à une conception et à une structuration de l’enseignement supérieur qui doivent être repensées.
Quelle devrait être la mission de l’école ? Peuvent-elle être différentes en fonction de ses publics ?
Pour moi, la mission de l’école primaire c’est d’abord d’apprendre à lire, écrire, compter et respecter les autres. Sur cette base indispensable, l’école doit permettre à chaque élève de devenir un adulte libre en exprimant le meilleur de ses talents et de ses capacités.
D’ailleurs, l’enseignement du français, qui doit être la grande priorité des temps à venir, est un enjeu politique majeur, au sens le plus noble du terme, tant la langue entretient un rapport étroit avec la Nation.
S’accorder sur le caractère national de l’école ne signifie pas un enseignement identique pour tous les enfants. En effet, au regard de la diversité des situations et des besoins, il faut pouvoir apporter des réponses adaptées en concentrant les moyens là où les besoins sont les plus importants. Cela a aussi et surtout une traduction pédagogique. Si nous devons veiller à ce que l’ensemble des élèves ait une bonne maîtrise des savoirs fondamentaux, il faut, à partir du collège, commencer à proposer des parcours différenciés pour leur permettre d’exprimer leurs talents ou d’approfondir leurs aspirations. La personnalisation plutôt que l’anonymat. Le parcours spécifique plutôt que l’indifférenciation.
On doit aussi prendre toute la mesure de la révolution numérique qui suppose encore plus une maîtrise des savoirs fondamentaux de la part des élèves si on veut qu’il soit des citoyens libres et éclairés. On doit aussi en tirer toutes les conséquences pédagogiques, notamment à partir du collège.
Il faut enfin laisser une plus grande liberté aux équipes pédagogiques en les incitant à prendre des responsabilités pour créer des dynamiques collectives autour du chef d’établissement pour faire réussir chaque élève. C’est le sens de l’indispensable autonomie des établissements qu’il faut instaurer.
Tu es nommé ministre de l’Éducation nationale. Ta première décision ?
Quel qu’il soit, le prochain ministre de l’Éducation nationale devra concentrer ses premiers efforts sur la langue française et en promouvoir un apprentissage explicite, progressif et méthodique. En ce sens, l’école maternelle et le cours préparatoire sont les premières priorités pour combattre les inégalités et les difficultés à la racine. Il faut faire de la maternelle une véritable école du langage et élargir le vocabulaire des élèves, en particulier ceux qui sont issus de milieux modestes, enseigner l’écriture et la lecture avec des méthodes qui ont fait leur preuve, puis prolonger ce processus d’apprentissage tout au long de la scolarité pour déployer progressivement l’ouverture au monde de l’enfant et de l’adolescent. Cette école où effort et plaisir vont ensemble est possible.
Je vous signale qu’à Schola Nova, en Belgique, les élèves de primaires se passionnent pour le latin en le parlant. C’est assez facile quoi qu’on en pense. De plus, l’apprentissage des conjugaisons françaises se fait bien plus aisément ainsi.
Remettez les humanités gréco-latines en honneur partout dès les études primaires, et toutes les discussions stériles qui sont suscitées depuis 50 ans cessent d’avoir un fondement quelconque.
De plus, quel ascenseur social!