Que ce soit en matière d’éducation ou de management, c’est l’humain qu’il faut mettre au centre. L’humain pour donner sens, l’humain pour former et devenir un leader authentique. C’est ce que propose depuis plus de 20 ans Philippe Le Roux dans son cabinet Key People où comités de direction tout comme futurs entrepreneurs formés à HEC peuvent se ressourcer/révéler dans ce qu’il appelle les « humanités », culture générale de l’ouverture et de l’altérité souvent peu présente dans ces instances. Rencontre avec cet assembleur de personnalités improbables pour développer des « choses inutiles » mais essentielles dans « ce changement de civilisation » que nous traversons.
- Jean-François FIORINA : Qu’est-ce qui vous a amené à traiter les problématiques de culture générale appliquée aux dirigeants ?
Philippe Le ROUX : C’est d’abord une histoire personnelle. J’ai eu un choc frontal en 1980 quand j’ai été recruté comme jeune directeur de marché scientifique chez Digital Equipment (DEC), qui était déjà à l’époque le numéro 2 mondial informatique derrière IBM. Une entreprise profondément atypique, dont je peux dire qu’elle était une des pionnières de ce qu’on appellerait aujourd’hui « entreprise libérée ». Elle fonctionnait en réseau, avec 120.000 collaborateurs, chaque manager étant aussi autonome qu’un chef d’entreprise, gérait les contrats d’embauche et son budget de manière très autonome mais en liaison avec le reste de l’organisation… Cette entreprise m’a façonné et fasciné car elle était profondément intelligente au sens humain, mais aussi économique. Dit autrement, elle était très prospère et toutes les parties prenantes en ont été bénéficiaires.
L’objectif numéro 1 de cette entreprise était la satisfaction de ses employés. Elle considérait que si les employés étaient heureux et épanouis au travail, ils allaient produire de l’excellence.
En conséquence, l’objectif numéro 2, la satisfaction des clients, allait de soi. Résultat, l’entreprise était performante et l’objectif numéro 3, la satisfaction des actionnaires, suivait. Cette équation vertueuse a parfaitement fonctionné pendant 35 ans. Et pourtant, elle a disparu.
Pour comprendre ce qui s’est passé, il faut revenir sur son histoire étonnante et méconnue et voir quelles leçons j’en ai personnellement tirées.
Dès 1957, Ken Olsen, jeune chercheur au MIT, mesurant les limites de l’informatique centralisée, créé le premier mini-ordinateur au monde. C’est la naissance de l’informatique personnelle, répartie et partagée. Mais il ne se contente pas de cela. Soucieux de cohérence, il entreprend d’appliquer cette même philosophie dans l’entreprise qu’il fonde, en privilégiant l’organisation décentralisée en réseau qui évite la pyramide et les silos. Et déclare : « Soyons nous-même ce que nous vendons à l’extérieur ». L’adhésion de ses collaborateurs est immédiate et totale. Ainsi, servant sa doctrine « La satisfaction du client va de pair avec la satisfaction des employés », il met concrètement en œuvre une entreprise d’un nouveau genre, au service de l’Homme et non l’inverse. C’est une révolution managériale considérable à l’époque. Elle fera de « DEC » l’une des entreprises les plus admirées et les plus recherchées au monde, pour sa culture humaine élevée et sa performance économique indéniable.
Chez DEC, la primauté déclarée de l’homme sur l’entreprise est très concrète. En effet, tout est organisé autour de la responsabilité individuelle avec incitation à l’initiative permanente – le droit à l’erreur est institutionnalisé -, le management décentralisé, l’intelligence collective, une communication totalement transparente et une formation très développée (19% de la masse salariale !). Et surtout très innovante : dès 1983, je suis formé au management en permanence : savoir-être, coaching, leadership, etc. Chez DEC, l’exercice du management est extrêmement pris au sérieux. Le premier intranet du monde nait chez DEC en 1984, nous échangeons tous par mail dès cette année-là.
Les recrutements se font en accordant autant d’importance à la personnalité (valeurs humaines élevées, esprit collectif, créativité…) qu’aux compétences. Les tests sont interdits, on privilégie et démultiplie les entretiens « pour ne pas se tromper sur les soft skills« . 80% des embauches sont le fruit de recommandations personnelles de collaborateurs internes qui puisent dans leur propre réseau social.
Nous sommes donc bien dans l’incarnation d’une entreprise managée par les valeurs, celles-ci étant validées dès l’entrée auprès des nouveaux embauchés. On est loin de la mise en scène pratiquée dans les entreprises d’aujourd’hui. Claironnées sur les sites corporate ultra esthétiques et dans les réseaux sociaux pour chasser les talents, les « valeurs affichées » ne dupent personne. Surtout pas les millennials en quête de sincérité, de cohérence et de congruence dans la réalité du quotidien. Leur désamour à l’égard des grands groupes vient en grande partie de cela.
J’ajoute que DEC était l’un des pionniers de la RSE et du stakeholding. J’ai d’ailleurs conservé la brochure « Corporate Responsability and The Community » de DEC, qui date de 1983.
La réalité d’aujourd’hui fait apparaître Ken Olsen, génial inventeur mais aussi visionnaire humaniste, pour au moins deux raisons :
- Au plan technique, l’explosion de l’informatique personnelle consacre son choix initial et créatif il y a 60 ans,
- Au plan humain, les entreprises les plus innovantes actuelles sont organisées en réseau de type poly-cellulaire et managées par des valeurs corollaires les unes des autres autour de la confiance.
Nous avions aussi cette appétence pour la culture générale. Dans cette entreprise d’informatique qui fabrique des ordinateurs, de grands intellectuels nous ouvrent l’esprit avec de magnifiques conférences stimulantes puisées dans des disciplines aussi diverses que l’anthropologie, la philosophie ou l’histoire. Elle nous permettent de décrypter le monde, mais aussi le futur. J’ai ainsi la chance de découvrir des gens fascinants comme Edgar Morin ou Théodore Zeldin. Il m’arrive même de partir plusieurs jours en séminaire culturel chez Bruno Lussato, penseur réputé de la micro-informatique, mais surtout homme de culture. Détenteur de la chaire d’organisation au CNAM et professeur à Wharton, Bruno Lussato se aussi fait connaître en 1986 par son livre-pamphlet « Bouillon de culture ». Il y diagnostique une déculturation générale, conséquence d’une confusion de valeurs faisant préférer le plaisir et la facilité aux joies de l’effort intellectuel. C’est à cette époque que, passionné d’art et de musique classique, il crée le Centre Culturel des Capucins à l’ouest de Paris. S’y côtoient des cadres sup et des érudits. J’ai le privilège d’y séjourner à plusieurs reprises. Mes souvenirs sont intacts. Je pense en particulier à cette journée passée autour d’Albert Jacquard. Nous étions huit. Mais le meilleur bénéfice que j’en tire est la découverte de la puissance du détour métaphorique, du pas de côté, pour mieux percevoir une réalité nouvelle qui échappe à tout raisonnement logique conventionnel. Cela me restera, pour établir des regroupements d’idées et de grilles de lectures qui font sens.
Ces expériences ont donc constitué mes bases. J’ai été et je reste fasciné par cette entreprise innovante à tout point de vue. Olsen est un dirigeant visionnaire « inspirant et porteur de sens » remarquable qui a libéré l’énergie créatrice de dizaines de milliers de collaborateurs dans le monde. Les clients, partenaires et fournisseurs aussi adorent cette firme, ses produits, sa culture. Résultat, DEC est riche (plus de vingt cinq milliards de dollars en cash en fond propres en 1988) et célèbre. Elle devient la valeur blue ship de référence de Wall Street et doit même rattraper IBM en 1992. C’est programmé ! Dans le best seller de management, le « Prix de l’excellence » de Thomas Peters et Robert Waterman, DEC occupe une place de choix parmi les plus belles entreprises du monde.
En réalité, elle a fini par disparaître !
Comme tous les membres de son éco-système, j’ai été terriblement déçu de constater son incapacité à survive à son propre modèle. J’en analyse deux raisons majeures :
- Le paradoxe du dirigeant. Tout en s’illustrant comme un manager « libérateur », Ken Olsen exerçait un pouvoir absolu de type autocratique sur le « Central engineering » et les produits. Plus de 30.000 ingénieurs ont ainsi été les témoins consentant de son obstination à ne pas croire ni au successeur du mini qui était le micro (« un gadget selon lui »), ni aux systèmes ouverts fortement réclamés par les clients.
- L’absence de contre-pouvoir. Comment fonctionnait la gouvernance ? Quel était le niveau d’information des actionnaires sur ce qui se passait en interne ? Mais aussi leur compréhension de l’évolution de l’informatique qui allait balayer DEC et fragiliser IBM ?
L’entreprise a périclité assez vite à partir de 1992 car elle a été dépassée par des nouveaux entrants qu’on connaît tous maintenant.
J’en suis parti un peu avant car je pressentais la funeste tragédie. Mes collègues de l’époque n’ont pas compris les raisons de mon départ. J’ai probablement eu aussi ce flair de vouloir évoluer dans autre chose, avec en filigrane l’idée de créer ma propre entreprise.
En 1980, nommé directeur général du leader des grossistes en micro-informatique, je découvre l’univers des entreprises françaises. Et mesure surtout l’écart considérable de culture avec DEC. Pour être précis, côtoyant beaucoup de dirigeants, je découvre que pour une majorité d’entre eux, la question de la qualité du management ne se pose absolument pas. Ils se retranchent sur la réputation du diplôme de chacun de leurs managers qui les rassurent profondément. Cela m’a beaucoup troublé.
C’est la raison pour laquelle j’ai créé Key People en 1994, pour rassembler des chefs d’entreprise qui se posaient des questions sur leur leadership et leur manière de conduire les hommes.
D’où m’est venue cette idée ? En croisant des dirigeants de toutes origines ! Ce n’est pas à vous que je vais dire cela, mais cette population impressionne souvent par son intelligence, son brio, la batterie d’outils qu’elle maîtrise à merveille, que ce soit dans la finance, l’international, la technique, le marketing, l’organisation, etc.
Souvent diplômés des meilleures écoles telles que la vôtre, il arrive pourtant à certain d’entre eux de trébucher parfois. C’est là que j’observe, en analysant finement les situations, que c’est souvent pour une raison unique et récurrente : l’absence de considération envers l’actif immatériel que constitue l’humain !
A vrai dire, c’est quelque chose qui les dépasse, qu’ils n’anticipent pas, sur quoi ils n’ont ni avis ni compétence. Pour résumer cette idée : l’élément humain, qui fait qu’une entreprise est un organisme vivant, ne rentre pas dans aucune cellule Excel de leur tableau de bord.
Avec Key People, j’ai eu envie de contribuer à faire évoluer cette mentalité. Mais surtout, je rêvais d’une utopie : changer le monde en changeant la vision du monde de ceux qui dirigent le monde, en l’occurrence, les dirigeants économiques. J’avais 46 ans et tout m’était permis.
N’ayant à priori aucune légitimité pour cela, j’imagine alors un concept original de cercle sous forme de laboratoire d’ouverture, de réflexion et d’échanges entre pairs sur ces questions, irrigué par des conférenciers passionnants et inspirants.
D’un côté, je tente de convaincre des dirigeants ouverts à l’idée de sortir de leur isolement pour s’ouvrir, s’instruire et échanger en confiance sans avoir peur d’être jugé. De l’autre, je sélectionne des experts ayant une vraie connaissance de ces enjeux et aptes à les transmettre avec talent et empathie.
Très vite, je constate que ce concept séduit une certaine catégorie de profils : les plus curieux d’entre eux mais aussi les plus humbles, parce que capables de remettre en cause leur manière de faire pour être de meilleurs chefs d’entreprise. Ils ont aussi en commun d’être profondément convaincus de l’importance stratégique du facteur humain dans la performance et des innombrables avantages à développer du « mieux-être » plutôt que du « plus avoir ». Me considérant dépositaire des valeurs et de la culture de Ken Olsen, j’étais comblé ! D’une certaine manière, il était réincarné à travers ces jeunes quadras découverts au gré de mes rencontres de l’époque.
A ceux-là, moyennant une cotisation annuelle, je leur propose un abonnement pour dix rencontres par an, de 19h à 23h, de septembre à juin. C’est mon premier chiffre d’affaires. En quelques mois, par la cooptation, je créé quatre cercles de dirigeants à taille humaine (15 membres par cercle, non concurrents) pour favoriser les échanges et faire naître une confiance partagée.
Pour les thèmes, j’oriente mes recherches d’intervenants vers tous ceux capables de proposer des grilles de lecture d’un « nouveau paradigme » dont j’avais eu un avant-goût chez DEC. Dès 1995, je rencontre ainsi des intellectuels d’avant-garde comme Michel Saloff-Coste (« Management du 3ème millénaire ») ou Jean Staune (« Les clés du futur »). Mais aussi Ilya Prigogine, Basarab Nicolescu et bien d’autres. Tous s’inscrivant dans le sillage d’Alvin Toffler, futurologue américain auteur de deux ouvrages de référence : »Le choc du futur » (1970) et surtout « La troisième vague » (1980). C’est dans ce best-seller qu’est prédit pour la première fois une transformation radicale de l’économie, non plus basée sur l’industrie manufacturée et la main d’œuvre, mais sur l’information et la donnée. Grâce à mes dix ans passés chez DEC, je mesure aisément la portée de cette prédiction.
A l’écoute de ces intervenants dans nos labs, nous prenons la mesure de la fin d’un monde linéaire et prédictible et l’émergence d’un nouveau monde, complexe et incertain. Mais aussi des limites de nos modes de lecture, construits à partir des outils de la seule pensée économique. Fruits de la compartimentation et du déterminisme, ceux-ci ne peuvent plus rendre compte d’un monde globalisé et interdépendant, où l’action d’un nombre restreint d’acteurs, l’usage d’une technologie peuvent avoir des conséquences universelles et durables, voire irréversibles…
Il devient urgent de s’approprier de nouvelles logiques pouvant nous donner une lecture globale inédite d’un monde interconnecté et formant un tout. Mais sommes-nous prêts à accepter de changer nos systèmes de représentation. Bref, de changer notre vision du monde ?
Je décide alors d’entrer dans le champ de la culture pour voir si elle peut nous aider dans cette transformation profonde… Clin d’œil à DEC, une nouvelle fois !
Ainsi, une nouvelle catégorie d’intervenants apparaît dans les labs Key People : des érudits. Ils représentaient une grande diversité de disciplines : histoire, sciences, philosophie, sociologie, histoire de l’art, littérature, mathématiques, anthropologie… Cela nous conduit très vite à pratiquer la pédagogie du détour métaphorique dont j’avais déjà mesuré les bénéfices chez DEC.
Ah ! La conférence de la métamorphose des Provinces Unies au XVIIè siècle. Elle est restée dans toutes les mémoires ! Ce que nous racontent les Hollandais de l’époque est incroyablement inspirant pour comprendre le surgissement actuel de l’ère numérique.
Nous sommes en 1997 et c’est très innovant à l’époque.
Au fil du temps, sans nous en rendre compte, nous adoptons une posture d’explorateur qui suppose de lâcher prise et de s’arracher au confort des réalités qui nous sont familières. Il s’agit d’avancer en tâtonnant, de prendre le risque de se fourvoyer, puis de se laisser surprendre par des réalités nouvelles dont on ne soupçonnait pas l’existence et qui désormais feront partie de nous-mêmes.
Concrètement, Key People devient un point de ralliement pour des dirigeants atypiques qui acceptaient de sacrifier une soirée par mois pour être co-producteur d’une conversation ouverte autour d’un thème lié aux enjeux du futur de leur propre entreprise. Progressivement se détachent quatre sujets majeurs, ceux « qui empêchent un dirigeant de dormir » :
- Décrypter et comprendre un monde qui change de plus en plus vite,
- Inspirer une culture de l’innovation « à tous les étages » et pour tout le monde,
- Concevoir l’organisation optimum dans chaque maillon de la chaine de valeur,
- Incarner et entretenir un leadership culturel et humain porteur de sens.
Plus récemment en 2008, nous en avons ajouté un cinquième :
- Comprendre la révolution numérique dans sa dimension anthropologique.
Depuis vingt-trois ans, nous avons organisé plusieurs milliers d’ateliers dans nos labs autour de ces cinq thèmes. Plus de 400 dirigeants y ont participé, restant en moyenne six ans, et affichant une assiduité de 80%. Nous pouvons affirmer que beaucoup d’entre eux incarnent une nouvelle génération de dirigeants, tout autant imprégnée de nouvelles technologies et de mondialisation que de quête de sens et d’équité. En substituant la subsidiarité à l’autorité, en libérant l’initiative et l’information, en prenant le risque d' »oser la confiance » à tous les niveaux hiérarchiques, ces leaders inspirés appliquent une stratégie d’intelligence collective créatrice de profit non seulement pour les actionnaires, mais également pour les clients et pour les collaborateurs.
En parallèle, nous développons la même approche avec des comités de direction depuis plus de quinze ans. De grands groupes font appel à Key People pour les aider à transformer en profondeur la vision du monde de leurs principaux dirigeants, souvent enclins à nier la nature, la profondeur et la vitesse de propagation de l’ère numérique. Ou alors pour agir sur la cohésion d’équipe, la confiance partagée, l’intelligence collective ou les règles du jeu, par exemple…
Nous nous sommes aperçus que nos méthodes étaient également très appréciées pour créer des communautés de cadres dirigeants ou supérieurs qui veulent établir des ponts entre les silos, conduire des transformations culturelles et humaines internes profondes, développer le leadership des dirigeants, etc.
Progressivement, nous découvrons, toujours en marchant, que nos approches sont fondées sur la facilitation et non le conseil. Nous donnons à voir différemment le monde grâce à nos conférenciers mais sans tomber dans le « prêt à penser ». Ensuite, nos facilitateurs-coachs prennent le relais et accompagnent/entraînent les participants à devenir eux-mêmes les acteurs du changement à opérer. Nos missions peuvent durer plusieurs mois. Tout est en fait réalisé par les plus concernés : les acteurs de l’entreprise.
Dans un autre registre, HEC – dans lequel je m’investis personnellement depuis 25 ans, ayant animé beaucoup de jurys – m’a donné envie de créer quelque chose de spécifique pour eux. En 2006, nous avons donc conçu un Module de Développement Personnel fondé sur les mêmes principes pédagogiques que je vous ai décrit auparavant.
Ainsi, depuis onze ans, chaque année, nous prenons en charge une centaine d’étudiants issus de la majeure Entrepreneurs. Les objectifs de ce module intitulé « Etre entrepreneur de soi et de son projet » et qui dure 4 jours, sont de :
- Sensibiliser les étudiants à la dimension humaine dans toute l’entreprise et à la cohérence qui caractérise les grands dirigeants
- Leur permettre d’aborder la nouvelle étape qui les attend en fin de cursus, en pleine conscience de leurs talents et de leurs ressources mais aussi de leurs limites
- Les faire réfléchir au sens de leurs choix professionnels, en accord avec leurs aspirations et leurs valeurs, et non en raison d’un certain déterminisme de l’excellence ou une pression familiale excessive.
Il s’agit d’un territoire peu exploré par eux, qui les incite à écouter leur cœur, à sortir de leur raisonnement très rationnel, hypothético-déductif, pour aller dans l’univers de la conscience, de la conscience élargie, du savoir-être. Il y a une forme d’introspection, de recherche de ce qu’ils sont au fond d’eux-mêmes. Lorsqu’on commence le séminaire, beaucoup nous disent par exemple « Moi je veux rentrer chez L’Oréal, ou dans une banque d’affaires ou je ne sais quoi… » ; à l’issue du module Key People, ils n’ont plus du tout envie de cela mais souhaitent conduire leur propre projet, celui dont il rêve, depuis longtemps parfois. Ils se sentent libérés et prêts à passer à l’acte.
Tous ces programmes sont animés par des facilitateurs coach. On y alterne des conférences en plénière avec du coaching collectif par petits groupes, du coaching individuel et des séances de co-développement. Nos intervenants surprennent beaucoup. Par exemple : Bertrand Vergely, qui a notamment écrit « Deviens qui tu es », Frère Samuel Rouvillois qui leur parle de la vulnérabilité du dirigeant, ou encore le neurobiologiste Pierre-Marie Lledo qui explique à travers la plasticité du cerveau, le besoin nécessaire d’amplifier notre désir d’humanité pour pouvoir vivre en paix avec nous-mêmes et avec autrui.
Ce Module est devenu une pépite pédagogique incontournable, plébiscitée chaque année davantage par l’ensemble des étudiants de la majeure.
Il y a cinq ans, j’ai rejoint le think tank Entreprise & Progrès, association réputée pour ses travaux d’avant-garde ayant pour objet de faire de l’entreprise un bien commun, c’est-à-dire concilier avancées technologiques, progrès social et performance économique. Membre du Conseil d’Orientation, il m’est apparu nécessaire d’inviter les chefs d’entreprise à prendre la mesure de l’impact de l’ère numérique sur le leadership et la nécessaire mutation de l’organisation des entreprises traditionnelles.
Je propose alors de conduire un chantier de réflexion autour de ce sujet. Une trentaine de dirigeants enthousiastes et concernés rejoignent cette aventure passionnante pendant toute l’année 2015 (100 patrons pour le dernier séminaire qui en comptait sept).
Conduit selon les méthodes et avec les conférenciers Key People, ce chantier a un très fort impact. Les participants prennent conscience, ébahis, qu’au-delà de la révolution technologique issue de la convergence des NBIC (Nano-technologies, Biotechnologies, Informatique et sciences Cognitives), se cache un changement de civilisation sans précédent dans toute l’histoire humaine. Tout est remis en question : nos vies, nos modes de vies, nos valeurs, nos façons de consommer, d’être heureux… Et cela ne se limite pas à l’Occident !
Ils réalisent que cette révolution va toucher un à un tous les secteurs à plus ou moins long terme et qu’il faut s’y préparer. Ils admettent surtout qu’ils entrent dans une ère de déstabilisation permanente, même ceux qui se sentent encore à l’abri. Leur seule certitude est qu’ils doivent désormais vivre avec l’incertitude. Autrement dit, être capable d’agilité et de modestie. Il s’agit de bouger très vite, mais avec discernement. Comme le disent les Américains, le monde est VUCA (Volatility, Uncertainty, Complexity and Ambiguity). En français, tout change tout le temps.
Les plus éclairés d’entre eux comprennent que l’entreprise classique est arrivée au bout d’un modèle. Qu’il est illusoire de faire mieux de la même façon. Il s’agit désormais de faire autrement. Mieux, ils découvrent de nouvelles manières de travailler en réseau, accélérées par les outils collaboratifs et surtout l’arrivée massive des millenials. Enfin, ils voient l’impact sur le comportement managérial qu’il devient nécessaire de transformer radicalement. Tout comme leur propre leadership. Ces défis-là, dans le champ humain, leur sont pour beaucoup ésotériques et à tout le moins complexes…
A l’issue de ce chantier, Entreprise & Progrès a produit un ouvrage de synthèse d’une grande richesse : « Etre un leader à l’ère numérique ». 4.000 exemplaires ont été écoulés en quelques semaines, des grandes entreprises en ont acheté par centaines, et commencent à enclencher des transformations culturelles et humaines sans précédent.
- En tant que dirigeant d’une Business School : qu’avons-nous manqué dans la formation ?
Ce qui manque, c’est cette capacité à développer l’esprit de finesse, le fait d’être trop dans un esprit géométrique, dans la formation à l’excellence opérationnelle. Ce qui manque, c’est sûrement de se dire que nous avons besoin de développer le champ de conscience, de développer des choses inutiles… Aller vers la culture générale, faire des hybridations de discipline, par exemple. De notre côté chez Key People, quand nous accompagnons des comités exécutifs d’entreprises importantes, nous leur faisons faire des pas de côté avec des gens inattendus, des philosophes, des lettrés qui peuvent apporter des témoignages historiques extrêmement inspirants pour la révolution numérique. Mais surtout, nous les faisons travailler ensemble après chaque conférence avec des facilitateurs. C’est là que se produit les déclics, dans l’échange et dans l’écoute active.
- Et c’est cela qu’il faudrait enseigner dès l’école !
Je pense qu’il y a en plus une aspiration naturelle chez beaucoup de jeunes individus à développer cette plasticité intellectuelle. Mais ils ne savent pas tous qu’il leur faut aussi développer leur épaisseur humaine. Nous le voyons avec HEC, où les élèves que nous suivons tombent de leur chaise à la présentation de notre module de développement personnel. C’est sûrement moins vrai aujourd’hui qu’il y a une dizaine d’années quand nous avons démarré. L’épaisseur humaine, c’est la verticalité du manager, c’est essentiel pour former des futurs dirigeants. C’est cela qu’il faut enseigner dès l’école. À HEC par exemple, il existe certains électifs sur ce thème, mais qui sont purement facultatifs, fréquentés par trop peu d’élèves d’une promotion, ce qui est bien dommage.
- Ne faut pas un peu de maturité ou d’expérience ?
Oui, c’est ce qu’on dit. Au deuxième ou troisième poste en entreprise, les jeunes se réveillent sur ces sujets. Ils ont entre 30 et 35 ans. C’est un peu comme les start-ups : au début c’est vivifiant, c’est passionnant, c’est l’aventure. On lève des fonds, on rencontre des financiers, on fait des beaux power-point. Vient le moment où la start-up réussit son objectif, elle rencontre son marché, c’est le succès ! Puis, à partir d’une certaine taille, surgissent les problèmes de management. Le créateur découvre qu’il ne sait pas déléguer ou qu’il s’est trompé pour beaucoup des managers qu’il a recrutés. Ou qu’il a de sérieux écarts de vision sur la stratégie avec son DGA. Quand ce n’est pas un conflit de valeurs… Mais il se trouve que c’est son meilleur ami, avec qui il a cheminé depuis la prépa, la grande école… Comment gérer cette crise ? On le sait, 80% des problèmes d’un dirigeant sont d’ordre humain. Plus particulièrement dans les start-up.
Ces jeunes dirigeants ont laissé passer beaucoup de temps sur des sujets dont ils ne sont absolument pas préoccupés. Et là, ils ont un sérieux besoin d’accompagnement et de formation.
Pour ma part, je pense que les mille étudiants d’HEC Entrepreneurs qui ont participé à notre Module de Développement Personnel sont très tôt initiés à l’importance du facteur humain et de leur l’impact de leur propre posture en tant que futur leader. Ils sont beaucoup mieux armés que leurs congénères à traiter ces sujets. Des nombreux témoignages que nous recueillons après leur sortie d’école, il ressort unanimement que le module Key People a été un formidable accélérateur de maturité.
- Est-ce la même tendance à l’étranger ?
Nous avons un petit retard en France par rapport à ce qu’il se fait en Scandinavie ou au Québec. Ce qui m’attriste un peu. Nous sommes un pays avec une magnifique histoire, au cœur de l’Europe. Il ne faut pas hésiter à retrouver l’esprit des Lumières ou de la Renaissance dans nos enseignements supérieurs. Quitte à le rendre obligatoire si besoin. Je vous le dis d’autant plus que Key People vend depuis vingt ans des programmes de formation aux humanités des futurs dirigeants de grands groupes. Ils sont unanimement appréciés par les participants. Je salue au passage le courage des DRH et de leur patron d’avoir oser ces chemins de traverse tellement peu conformes à la doxa dominante orientée business de la formation continue. Quel dommage que ce ne soit pas fait dans vos écoles.
- Qu’est ce que cela veut dire être leader dans une entreprise ?
Avant de répondre à cette question, je dois vous expliquer pourquoi il faut des leaders, plus que jamais dans la mutation actuelle.
Ce qui me frappe beaucoup, c’est le contraste entre l’entreprise en silo et le monde en réseau. J’en souris quand j’entends aujourd’hui des gens expliquer qu’ils vont rentrer dans l’ère du numérique, alors que nous sommes déjà 3 ou 4 milliards d’individus sur 7 connectés : nous y sommes déjà !
Il n’y a donc pas de temps à perdre. Mais une transformation digitale signifie des changements longs, profonds, compliqués et coûteux. Elle affecte l’ensemble d’une organisation qui a pourtant démontré son efficacité au fil des décennies. Forgée autour de modèles économiques et de principes d’action éprouvés, mais qui n’ont guère évolué, cette dernière se révèle soudain inadaptée au Nouveau Monde qui arrive.
Au cœur de celui-ci, l’innovation devient centrale et globale. C’est l’affaire de tous. Elle se déploie à l’appui de nouvelles façons de travailler. On entre dans l’ère du collaboratif et de l’intelligence collective car les grandes idées ne viennent jamais d’une seule personne. Le terrain reprend l’initiative et participe bien plus aux décisions, les équipes travaillent en réseau éclaté.
C’est sans aucun doute le plus grand défi associé à l’ère numérique : instaurer le travail coopératif en mode transversal pour faciliter la rapidité, l’agilité et l’esprit entrepreneurial. Mais aussi mieux dessiner des stratégies nouvelles de rupture afin d’embarquer tous les métiers et fluidifier les interactions entre eux.
L’organisation devient poly-cellulaire et s’affranchit des frontières internes. Fondée sur l’autonomie et les communautés qui se font et se défont, elle remet en cause les logiques de contrôle et de pouvoir qui freinent la créativité, l’initiative et la prise de risque. Le numérique supprime les échelons intermédiaires inutiles. Les structures en silos, baronnies et autres systèmes corporatistes s’en trouvent bousculées. Ainsi que le management pyramidal et très hiérarchisé, particulièrement en France.
On le constate, avant de penser opérationnel et outils, la transformation digitale est culturelle et managériale. C’est un enjeu stratégique majeur. C’est surtout un projet global et c’est pour cela qu’il doit être porté par le dirigeant en personne. Car il est le seul à pouvoir impulser un mouvement qui, c’est sûr, va chahuter violement l’ordre établi. L’exercice est difficile car cela va remettre en cause les pouvoirs et les influences au sein de l’entreprise.
Pour réussir, il lui faut donc beaucoup anticiper les résistances au changement (et les chiffrer en conséquence dans le ROI du chantier). Et éviter de se contenter de rajeunir de vieux principes. Comme le disait Keynes : “La difficulté n’est pas de comprendre les idées nouvelles, mais d’échapper aux idées anciennes.” Il s’agit de faire autrement.
Pour cela, il lui faudra développer sa solidité intérieure, faire preuve de vision, de courage, d’abnégation, de pugnacité et d’indifférence aux critiques, aux pressions, aux lobbies. Comme il découvrira que le chemin est plus important que l’objectif, devenu imprédictible, pour faire face, il affichera plus d’attitude que d’aptitude, plus de convictions que de certitudes, plus de savoir-être que de technique. Car c’est dans sa posture d’ouverture aux idées de rupture, d’envie de changer et de capacité de remise en cause permanente des hypothèses que se fera la différence. En cohésion et en solidarité, le Codir n’est pas en reste ; il doit relayer, expliquer, entraîner.
On l’a vu, le numérique questionne la légitimité et le rôle des hiérarchies. Les managers sont aussi rudoyés par l’arrivée des générations Y peu adeptes du modèle “command-control” multiséculaire. La crise de l’autorité qui depuis quarante ans a affecté la famille, l’école, l’université ainsi que les institutions morales, religieuses et politiques, a ainsi rejoint l’entreprise.
On est donc face à la nécessité de conduire un changement de culture managériale sous-jacent à la transformation digitale. Le manager va devoir opérer un virage à 180° dans l’exercice de ses responsabilités car le monde du “top-down” fondé sur la détention de l’information et l’obéissance est en train de disparaître. Il lui faut devenir un leader d’influence pour promouvoir des logiques inédites de création de valeur fondées sur le coworking et le partage d’informations. À son initiative, de nouvelles règles du vivre ensemble fondées sur la gentillesse ou le don/contre-don apparaissent. Le nouveau manager devient un passeur et l’animateur de l’expérimentation collaborative permanente. Sa posture de donneur d’ordre s’estompe, il devient ressource porteuse de sens. C’est à ce prix qu’il embarque les équipes et contribue au renouveau de l’entreprise. Mieux, avec un tel changement de mentalité, celle-ci gagne en cohérence et en performance. Elle attire et fidélise les meilleurs et boycotte les mercenaires. Surtout, elle est payée en retour par l’engagement de chacun dans toutes les fonctions et l’excellence que cela produit au bénéfice des clients.
Mais si beaucoup de gens se revendiquent leader, peu le sont réellement. Un vrai leader c’est quelqu’un qui n’a pas besoin de justifier qu’il est sorti d’HEC ou de Grenoble Ecole de Management. C’est quelqu’un qui naturellement, embarque les gens au sens où je viens de le définir. Il est passé du pouvoir à la puissance. De l’ego au post ego.
Mettre en œuvre ce type de leadership est compliqué en France. Colbertiste et pyramidale, sa culture n’aide pas à faire évoluer les mentalités de nos élites. Ce sont de brillants sachants. Ils ont du mal à lâcher prise.
- Comment pourrait-on l’appréhender ? Dans le cadre de notre école, nous avons des étudiants qui sont très bons mais comment être sûr que la personne en question corresponde à l’école, et qu’il sera intéressant de travailler avec elle ?
Je pense qu’il faut être créatif dans la manière de recruter vos étudiants. Bien sûr qu’il faut du cognitif, du cérébral, du raisonnement… Mais il faut aussi du comportement.
Donc il faut peut-être aussi mettre les futurs étudiants dans des situations lors du recrutement qui permettent de voir comment ils sont. Dans les entreprises américaines que j’ai connues, le recrutement se faisait non pas à partir de l’analyse de leur CV qui est évidemment nécessaire en soi mais surtout de ce que font les gens dans leurs vies. On nous formaient à étudier les passions des gens : comment ils occupaient leur vie, leurs étés pendant leur jeunesse, savoir s’ils ont des activités associatives… Comprendre cela, comprendre ce qui les motive donne déjà un avis sur les comportements, sur leur état d’esprit, leurs valeurs.
C’est un travail qui n’est pas du tout cognitif. Chez Key People, nous sommes détenteurs d’un agrément américain qui s’appelle le Richard Barrett. Une méthode qui permet de faire des audits culturels en entreprise. C’est extrêmement riche : on commence par interroger en ligne via un questionnaire les salariés sur ce qui les fait se lever le matin pour aller travailler. Nous savons ainsi sur quel levier appuyer pour qu’ils soient heureux.
Je vais prendre l’exemple de mon fils, sorti d’HEC en 2001. Il a fait une prépa que je trouve absolument remarquable, Ginette à Versailles, dans laquelle on éduque très tôt les étudiants au coopératif et à travailler sur les relations humaines. Il y a donc la double approche de la compétition et celle de créer des solidarités au long de leur préparation aux concours. Je pense qu’il faut accentuer ce type de pédagogie. Moi qui fréquente depuis 25 ans des dirigeants d’entreprises, je peux vous dire qu’il y a une corrélation directe entre ceux qui savent animer un comité de direction, qui sont à l’aise dans ce nouveau paradigme dont on parle, et ceux qui ont fait ce genre de prépa. Toute leur vie, cela les marquera dans la mesure où ils ont été bercés à cette relation humaine, à cette altérité, à cette bienveillance à l’autre, à cette notion de valeurs et de personnes.
La financiarisation de l’économie inspirée de l’Ecole de Chicago et Milton Friedman, a sans aucun doute enrichi beaucoup d’actionnaires. Mais aussi contribué à une déshumanisation grandissante au sein des entreprises cotées, et en particulier dans les état-majors. Dans ces endroits, sous la pression de résultats de plus en plus élevée dans un laps de temps qui se raccourci, naissent des comportements toxiques fait de grand cynisme et de violence verbales intolérable. Ce sont pourtant à l’origine des « smart people » bien élevés, bien éduqués, très diplômés. Le système les a transformé en « délinquants relationnels ». Ils n’en sont même pas conscients.
C’est pour cela que nos clients nous appellent : pour réveiller l’intelligence émotionnelle de ces individus et remettre de l’humanité dans les états-majors.
- Le numérique, est-ce une chance de resocialisation et de transformation, ou une accélération des travers que vous avez cités ?
Les deux ! Nous avons fait intervenir chez nous des spécialistes du transhumanisme et de la révolution numérique depuis au moins quinze ans. Le transhumanisme, honnêtement, c’est quelque chose qui m’inquiète un peu. Sans équilibrer avec des personnes qui mettent en perspective la civilisation humaine, qui émettent un questionnement éthique derrière cette tyrannie technico-scientifique foudroyante, on peut se poser beaucoup de questions … Je lisais ce matin un article paru dans les Echos qui s’appelle « Intelligence ou raisonnement » et qui alertait sur l’idée que nous sommes en train de délaisser l’art de la démonstration mathématique, autrement dit la recherche de la causalité, en lui préférant la corrélation et la loi des grands nombres ce qui nous fait céder aux facilités exponentielles de calcul actuellement disponibles. Nous perdons à cause de cela un des héritages majeurs de la révolution scientifique à savoir la recherche de la vérité par le raisonnement pour qui s’en remettait jusqu’à maintenant aux seules intelligences humaines. C’est ce qu’entraîne des phénomènes comme le deep learning.
Mais il y a aussi un bon côté. Si on met en garde sur ces aspects, le numérique peut être quelque chose d’absolument merveilleux. C’est quand même très commode d’appeler un Uber sur son smartphone et de pouvoir dans l’instant aller faire une petite course dans sa ville pour 6 euros !
Cela revient donc, là encore, à élever le niveau de conscience des gens, et non à se laisser embarquer par ce phénomène. Je vais vous livrer une anecdote qui va vous parler : au sein du programme HEC Entrepreneurs, depuis 4 ans, on emmène les étudiants passer une semaine dans la Silicon Valley. À chaque fois, les élèves ont un raidissement lorsqu’ils visitent la Singularity University, ce qui prouve qu’ils ont cette maturité. Ils ne sont pas du tout fascinés par ce qu’on leur présente, mais ont déjà un certain niveau de discernement. C’est plutôt rassurant, non ?
- Mais connaissaient-ils cette université avant d’y aller ?
Bien sûr. Ce que j’observe, et peut-être que vous aussi, de promotion en promotion, c’est l’accroissement absolument vertigineux de la maturité des jeunes et leur appétence pour le savoir-être et pour l’équilibre de vie. Il y a dix ans, j’en voyais beaucoup qui avaient envie de devenir trader, aujourd’hui beaucoup veulent surtout donner un sens à leur vie.
- Je nuancerais parce qu’il n’y a pas de comportement homogène et global. Pour les étudiants à l’heure actuelle, chacun a son propre projet de vie. L’idée de séparation vie privée – vie professionnelle et la recherche de la qualité de vie est de plus en plus importante, mais la plupart veulent encore gagner beaucoup d’argent. Le grand changement est que les étudiants sont conscients et ont défini leur propre projet. Ils engagent avec les entreprises une relation « donnant – donnant ». Et celle qui ne répond pas à leurs objectifs, ils la quittent automatiquement.
Je suis d’accord avec vous. Pour être plus précis, je ne pense pas qu’on puisse faire une théorie globale, mais l’analyse de signaux faibles et d’indicateurs montre cette tendance. Il y a encore, peut-être, majoritairement des jeunes qui veulent créer leur start-up pour imiter Xavier Niel et autres, et devenir riches à 30 ans. Cependant, je trouve qu’il y a de plus en plus de jeunes qui ne sont pas dans cette démarche.
- Vous parliez de signaux faibles. J’en vois plusieurs sur l’entreprenariat. Premièrement, il devient indispensable pour les étudiants alors qu’ils ne veulent pas forcément créer, cela devient une très belle carte de visite. Ils créent également dans une démarche d’indépendance car ils n’ont pas envie d’avoir de structures, de patron. C’est d’autant plus vrai qu’avec le numérique, il n’y a pas besoin de gros investissements, il faut une connexion internet et un ordinateur. Un dernier signal faible que j’ai identifié c’est le fait que ces jeunes vont créer là où il y a les meilleurs avantages. Nos étudiants n’hésitent pas à créer à l’étranger.
Je ne peux pas vous dire le contraire ! Mon fils vit à São Paulo, et a créé une franchise d’une start-up française qui s’appelle Le Wagon, un des pionniers de la formation au codage inspiré des bootcamps américains.
- Pour terminer de mon côté : vous avez insisté à plusieurs reprises sur la culture générale. J’ai moi-même publié sur l’école du futur, et ce que j’entends par école du futur est le retour de deux fondamentaux.
Le premier est la pédagogie. Il faut pouvoir pédagogiser un module, le scénariser, coordonner, aménager, passer des messages et ne pas être simplement dans la distribution du savoir.
Le second, c’est la culture générale. Mais je ne pense pas à la culture générale à la française en étant capable de citer Platon dans le texte ! Je pense à des éléments de référence puisque nous préparons des étudiants qui vont arriver sur le marché du travail, y travailler pendant 50/60 ans, ils n’auront pas forcément de retraite, vont vivre des évènements que nous ne connaissons pas et que nous ne pouvons même pas imaginer d’un point de vue sociétal, technologique, géopolitique… Je suis persuadé que les éléments qui leur permettront de s’en sortir seront ceux qui leur autoriseront la prise de recul : « J’ai de la culture générale, je suis capable d’avoir du raisonnement, de la transdisciplinarité et donc de garder la tête froide ». La grande question est donc de savoir comment l’enseigner à des étudiants qui en sont conscients mais ne l’ont pas vécu.
Je suis entièrement aligné avec tout ce que vous venez de dire. Je pense que la culture générale nous fait redécouvrir des trésors pour nos sujets !
Oui pour un renforcement de la culture générale dans le curriculum scolaire.
Culture générale sur le passé,le présent mais surtout le futur. Il faut développer chez l’apprenant au-delà des savoirs, des savoirs faire et des savoir être , les savoirs devenir ( (qui tiennent compte de la diversité et de la durabilité des situations), des savoirs écologiques ( qui inculquent chez l’apprenant, la dimension de la préservation de la sauvegarde, de la protection, de la survie de l’humanité).
Il faut développer les apprentissages innovateurs et non les apprentissages adaptatifs qui enferment l’apprenant dans le connu et les impasses crées par la linéarité qu’impose cette façon de voir le monde.
Il faut enseigner dans cette culture générale sur le futur,les princes des droits de l’homme dans la forme active et non passive. Voici ci-dessous, quelques éléments de culture générale sur le futur:
a) tout le monde a droit à l’air, droit au vent, droit au soleil, droit à la pluie, qui s’offrent à nous sans distinction de race, ni de religion, ni de continent;
b) tout le monde peut apprendre ou enseigner n’importe où et avec n’importe qui grâce au TIC,
c) chacun peut vivre intensément avec le é-travail, é-commerce, é-tourisme, é-banking, en relation avec les partenaires et des pays qu’il veut, etc…..
d) la carte de crédit pour ceux qui le veulent peut devenir la carte d’identité qui remplit les autres fonctions de contrôle sociale de l’é-humain qui est au cœur du monde et dorénavant peut remplir toutes sortes de tâches partout dans le monde. Ceci devra bannir à jamais tous les petits et le désagrément que causent les visas et autres formes de brimades administratives qui entravent les droits humains.
Fonkoua Pierre