À l’heure où le nouveau ministre de l’Éducation entre en fonction, je débute une trilogie sur la mondialisation de l’enseignement supérieur en présentant trois systèmes aux logiques d’influence différentes (Chine, Iran et Arabie Saoudite). Ce premier post concerne la Chine qui utilise efficacement son système d’Enseignement supérieur — en pleine expansion — au service d’un soft power, à la fois à l’interne (la montée en gamme de ses universités d’élite) et à l’externe par l’envoi d’étudiants à l’étranger et le développement d’un réseau impressionnant d’Instituts Confucius. Concernant les étudiants de ces pays, je distingue deux catégories, les « fils de nantis » à l’attitude très consommatrice et « les excellents », pour lesquels les gouvernements souhaitent leur retour voire leur « rétention » (en Chine, par exemple) pour participer au développement économique. Pour mémoire, j’avais également posté plusieurs articles sur les stratégies de territoires à Singapour, l’an dernier, en Suisse et au Qatar.
Le soft power chinois en action
« Quand la Chine s’éveillera… le monde tremblera » titrait ainsi le best-seller d’Alain Peyrefitte, en 1973. Et bien en matière d’Enseignement supérieur et d’influence, plus de quarante ans après, la Chine est très bien réveillée ! À l’international, plusieurs informations le démontrent clairement :
- rachat par le chinois Weidong cloud education du groupe de formation continue Demos et de l’ESC Brest. L’Europe continentale est ciblée pour la qualité de ses établissements même si elle jouit d’une moins forte réputation en Chine que le monde anglo-saxon.
- deuxième pays en terme de nombre Business Schools accréditées EQUIS (cf Eric Cornuel, lettre de Headway Consultants)
- à l’extérieur, ouverture d’un campus délocalisé à Oxford en 2018 par la Business School de l’Université de Pékin.
- à l’intérieur, de belles marques installées et une très belle réussite, la CEIBS (China-Europe International Business School), business school cofondée avec l’Union européenne et supervisée par l’EFMD.
La conquête à la chinoise :
« J’attire, je récupère, je m’exporte, je monte en gamme en puissance. »
Une méthode qui s’adapte d’ailleurs à tous les secteurs d’activité y compris l’Enseignement supérieur. Qui n’a pas succombé aux sirènes de l’eldorado chinois ? C’est pour moi le cercle vertueux, du côté chinois, ou, vicieux depuis l’extérieur, de toute approche ou de toute activité dans le pays vis-à-vis des tiers extérieurs.
- Première étape : j’attire le maximum de monde en Chine pour bénéficier de l’expertise et des savoir-faire « invités ».
- Deuxième étape, quand je commence à maîtriser mon sujet, j’érige des barrières douanières, tarifaires ou autres pour limiter l’arrivée d’établissement étrangers, à l’exception du très haut de gamme qui peut apporter une vraie plus-value en termes d’image et de savoir-faire.
- Troisième étape, quand les objectifs sont atteints, partir vers l’extérieur et monter en gamme : implantation de Business Schools chinoises en Europe, politique d’accréditations, sésame de la reconnaissance internationale. Une fois l’écosystème est posé, il a pour vocation d’attirer les talents et les meilleurs cerveaux.
Dans cette logique de conquête et de qualité, leur business schools vont devenir attractives, et la question suivante va se poser : « Vaut-il mieux étudier dans une Business School chinoise ou que dans son propre pays ? » Incontestablement, la Chine marque de points mais ce n’est pas tout.
Confucius reborn !
Autre élément de cette stratégie d’influence et de soft-power, le développement impressionnant de l’implantation des instituts Confucius qui sont des instruments de propagation/diffusion de la langue et la culture chinoises… On en dénombre plus de 1100 à travers le monde ! Leur maillage reflète une volonté politique affranchie de tout complexe et même quelquefois critiquée, alors que la France, dans le même temps et paradoxalement, ferme les Alliances Françaises…
Attirer les meilleurs et exporter « en masse »
Autre élément de cet enseignement supérieur au service du soft-power chinois, le développement de bourses vis-à-vis d’étudiants africains. Attirer les meilleurs étrangers en retenant en Chine les plus doués de ses ressortissants en vue de leur implication dans le développement économique du pays, telle pourrait être la vision quelque peu machiavélique de la Chine quant son dispositif de conquête des talents. Et même si la Chine reste le premier exportateur d’étudiants à l’étranger conséquence de la massification de son système d’Enseignement supérieur, elle forme « quinze fois plus d’étudiants que la France », un véritable « tsunami qui menace notre Enseignement supérieur » titrait dans Le Cercle/Le Monde du 20 février 2017, Etienne Wasmer, spécialiste de l’évaluation des politiques publiques.
Classement de Shanghai
Créer par l’Université de Shanghai pour montrer à ses pairs chinois tout le chemin qui leur restait à parcourir pour atteindre l’excellence internationale, ce classement éponyme est devenu l’un des baromètres mondiaux du secteur. N’est-ce pas l’exemple de la suprématie occidentale battue en brèche ?
Un pôle de recherche de pointe
Longtemps considérée comme de « bons copieurs », les Chinois sont passés à la vitesse supérieure en matière de recherche en créant des pôles universitaires et industriels capables de concurrencer l’Occident. La Chine est en train de devenir un centre de R&D mondial donc en concurrente sur les marchés à valeur ajoutée, prenons toutes les précautions concernant les propriétés intellectuelles et le pillage éventuel sous couvert d’échanges académiques. En tout cas le MIT revoit sa stratégie et cible la Chine, l’Afrique et l’Amérique latine pour se développer (Newstak du 30/5/2017) : « La présence à l’international est au cœur de la mission que s’est donnée le Massachussetts Institute of Technology pour notre pays, et dans le monde. S’engager au niveau international est aussi, à bien des égards, une manière de renforcer notre établissement », déclare Richard K. Lester, directeur associé du MIT et auteur du rapport « A Global Strategy for MIT », paru en mai 2017.
Le rapport identifie sept initiatives clés visant à promouvoir les activités internationales du MIT, tant au sein de l’établissement qu’à l’extérieur. Le rapport préconise notamment de renforcer la collaboration et la coordination avec les établissements et les membres du corps académique dans les différentes régions du monde, et de porter une attention accrue à la Chine, à l’Amérique latine et à l’Afrique.
Parmi les autres recommandations importantes :
• continuer à développer la « global classroom » du MIT [en août 2016, des étudiants du MIT et de Hong Kong avaient collaboré pour mettre en pratique leurs idées entrepreneuriales] ; • réexaminer le plafonnement existant pour les admissions internationales de premier cycle.
Mais… un colosse aux pieds d’argile
Un système disparate
Il faut rester attentif au fait que le nombre d’universités en Chine a explosé sous l’effet conjugué de la massification de l’Enseignement supérieur comme vecteur d’ascension sociale et d’une croissance économique très soutenue qui a créé de nombreux emplois.
Le système actuel, très disparate, questionne. Est-il encore intéressant de suivre des études universitaires, de passer les différents écueils de l’équivalent du BAC, les examens d’entrées et les efforts pour l’obtention d’un diplôme, pour ne pas forcément trouver le travail ou le poste qui corresponde à ses aspirations ?
Des niveaux insuffisants ou peu ciblés
Tout est allé très vite. Les étudiants chinois que nous recevons sont plutôt actuellement des enfants de la nomenklatura ou des nouveaux-riches. Ils n’ont pas nécessairement le niveau académique requis. De véritables business d’envoi d’étudiants chinois à l’étranger se sont développés. Il n’est pas rare de recevoir des offres de services qui promettent de m’envoyer plusieurs centaines voire plusieurs milliers d’étudiants chinois ! Plusieurs scandales ont défrayé la chronique en France et dans le monde (faux étudiants, faux diplômes, etc).
Nous voulons des classes internationales qui reflètent la diversité du monde mais nous ne voulons pas qu’il n’y ait que des Chinois. Autre question : quid de leur retour au pays à l’aune d’une croissance en recul ?
Dans le pays, 8 millions d’étudiants seront diplômés dans les universités chinoises en 2017 soit un million de plus qu’en 2013. Un record qui pose problème : « ces diplômes ont souvent du mal à trouver un emploi à la hauteur de leurs qualifications et les entreprises chinoises se plaignent de ne pas trouver de qualifications dont elles ont besoin ».
On ne peut pas non plus passer sous silence le volume important des étudiants chinois qui fuit vers d’autres systèmes moins académiques — le « par cœur » et des cours intenses sont encore la base des apprentissages en Chine —, moins difficiles et qui laissent plus de place à la créativité et ne correspondent pas aux fameuses compétences du XXIème siècle : créativité, travail de groupe, prise d’initiatives.
Quelle stratégie adopter ?
La Chine est devenue un pôle incontournable dont nous ne pouvons pas nous passer à la fois pour nos étudiants et les entreprises. Sa force d’attraction est mondiale, elle dépasse la seule économie pour aller vers la R&D, les questions géopolitiques, militaires, environnementales. Quelle attitude adopter ? Faut-il se protéger ? Quel niveau de vigilance en tant que directeur d’une grande école ? La priorité est de bâtir une stratégie d’établissement claire, avec deux idées force :
1/ Éviter la trop grande dépendance des universités et grandes écoles vis-à-vis des étudiants ou des groupes chinois. Des rapports commencent à pointer ce risque en terme d’effectifs pour les universités françaises. En ce qui concerne les rachats, la sphère éducative et en particulier les écoles du supérieur sont devenus des investissements « rentables ». Les groupes chinois tels que Weidong avec les rachats de Demos et l’ESC Brest ont entamé leur pénétration du marché occidental.
2/ Collaborer avec les établissements chinois tout en conservant la maîtrise, en construisant des stratégies de niche. Notre mission est d’être au service des étudiants et des entreprises qui nous demandent de former des Chinois sur des métiers de management qualifié ou spécialisé. Paradoxalement cette main cette main d’œuvre est en tension. Nous sommes contraints et dans une situation ambiguë, entre collaboration et affrontement selon les questions posées. Mes solutions ?
- Je privilégie les alliances sur des actions de spécialisations professionnelles ou sur des publics ciblés avec des entreprises chinoises ou opérant en Chine.
- Le développement de contenus pédagogiques, des options, des majeures, des expérimentations, des doubles-diplômes, des summer schools.
Gardons cependant à l’esprit que le système chinois est fait de contrastes :
1/ Il n’est pas forcément capable de faire face à la massification ni aux demandes qualitatives pour répondre réellement aux besoins de son économie et de sa société en général,
2/ Il existe une volonté d’émigration académique parce que le niveau est meilleur à l’étranger. Mais c’est aussi un vrai défi de société qui correspond au nôtre : la question des études sans accès à la promotion sociale, germe de fortes tensions. D’autant plus délicat que la politique de l’enfant unique risque d’avoir deux effets pervers : mettre la pression sur les jeunes qui devront faire vivre sous un même toit plusieurs générations du fait de l’allongement de l’espérance de vie ; imposer un nouveau défi quantitatif dans les années à venir avec la fin de cette même politique entrainant un flux potentiel vers l’enseignement supérieur d’ici une vingtaine d’années.
Il y a bien menace, mais son système est lui-même l’objet de forces contradictoires et de défis à relever ; attention à la concurrence qualitative, « par le haut », je ne serais pas surpris que les Chinois créent dans les prochaines années leur propre système d’accréditations, potentielle référence internationale et nouvel élément de domination et d’impérialisme. Aurons-nous la capacité de réaction suffisante sur la base de nos propres accréditations ?