Comme chaque année, l’approche de la fin de l’année académique et l’ouverture des concours d’accès aux grandes écoles donnent lieu à des prises de position souvent tranchées sur la question des classements et des évaluations en général. J’ai noté récemment deux tribunes, l’une de Jean-Michel Huet dans Les Echos stigmatisant les critères actuels d’évaluation des écoles de commerce et celle d’Hervé Monier, « tops en toc ». Etat des lieux et réflexion sur ces outils à la fois utiles, stressants, en entropie permanente (le Times Higher Education va d’ailleurs lancer en 2018 son propre classement). Comment les appréhender, les lire et les faire évoluer pour les rendre plus faciles d’usage et efficaces à vis-à-vis de toutes leurs parties prenantes de l’école, du candidat à l’étudiant en passant par les entreprises, les familles, les établissements d’Enseignement supérieur et de tout autre acteur.
Classements des écoles : le constat
Inflation. Les classements n’ont pas été historiquement les premiers critères d’évaluation des écoles et de leurs programmes. Elles le sont depuis longtemps par de nombreuses entités : l’Etat, la Conférence des Grandes Ecoles mais également la CEFDG pour la maintenance de nos diplômes, le RNCP pour nos titres sans compter les organismes d’accréditations internationales.
Bref, une multitude d’éléments précis et techniques qu’utilisent les classeurs tout en y ajoutant leurs propres critères, le tout augmentant régulièrement en volume. Nous vivons, grandes écoles, sous un feu roulant d’évaluations en tout genre.
De ce fait, les spectres d’analyse ont changé de la seule école et de ses programmes, nous sommes passés à leurs associations, à la recherche, à la transition digitale, à l’innovation pédagogique, aux sports, aux services offerts jusqu’à la qualité du café dans les distributeurs… Le tout pouvant être croisé à volonté générant ainsi un nombre de lectures et de classements sans limite. De quoi en perdre le nord !
Cette inflation n’est pas terminée car j’ai rencontré cette semaine à Londres un journaliste du Times Higher Education qui m’a annoncé qu’ils allaient eux aussi lancer l’année prochaine leur propre classement. Plus qu’à attendre les critères !
À quand un classement par la presse chinoise (en plus de celui de Shanghai)
Numérique et influenceurs. Le paysage évolue en permanence et nous découvrons, chaque année, au détour d’un blog ou d’un réseau social le classement de tel ou tel établissement ou de tel ou tel dirigeant quelquefois sans méthodologie explicite. Je parle ici de classements subis contrairement à ceux des « classeurs » bien identifiés et choisis auxquels nous répondons. Et bien sûr, j’ajouterais les incertitudes du classement Linkedin des établissements.
L’étudiant en prospection est amené à faire une synthèse des classements traditionnels, de ceux du numérique, de l’avis des recruteurs, des sources étrangères comme le Financial Times, de l’avis d’influenceurs et des étudiants, ce qui constitue un volume de données impressionnant à travailler pour lui et pour nous, établissements !
Vers des classements figés. Je discerne dans le classement des grandes écoles de management, un certain nombre de « grappes d’écoles » dont la 1ère division, celle dont le diplôme est visé et ayant grande de master dont le classement risque de se figer dans le temps.
Et sans faire injure aux plus modestes, il sera difficile pour elles de faire face à la seule lecture des critères d’évaluation quantitatifs. Comment vont-elles exister, être mises en avant ? Sur un positionnement de niche, un qualitatif ?
Mon point de vue de directeur
- Ces classements sont indispensables. Ils ont indubitablement servi les écoles à la fois en termes de lisibilité et de visibilité. GEM en est un très bon exemple. S’ils existent, c’est qu’ils ont une utilité. Et j’espère qu’ils continueront à (bien) nous servir !
C’est un élément de la performance de l’année, des programmes d’une école. Cela permet d’alimenter la réflexion. Mais attention, ce n’est pas une fin en soi ni une méthode de gouvernance. Notre politique n’est pas d’être « devant ». Un récent colloque de l’ARCES pointait d’ailleurs cette question dans son intitulé « Les classements ne doivent pas être des « outils de gouvernance » » (AEF 14/6/2017).
- La seule logique du court-terme serait préjudiciable. Nos écoles et leurs programmes reposent sur des séquences de temps long, bien plus que le cycle annuel des classements. Des années qui s’expliquent par la nécessité d’installer des logiques pédagogiques, d’innovation, de recruter de bons enseignants. La qualité ne peut se jouer sur des « coups ».
- Ils incitent également à l’humilité. Et fonctionnent, de temps en temps, comme des électrochocs salvateurs comme en témoigne la baisse dans le classement du Financial Times de notre master en finance publié le 19 juin 2017.
J’interprète les classements dans leur diversité et globalité même si certains sont sujets à caution. Il résulte une cohérence globale sur l’année, le subjectif rend alors le classement objectif. Il y a une forme de classement des classements y compris dans l’espace numérique et dans l’imaginaire de nos parties prenantes. Il y a néanmoins pour nous, classeurs et classés, des thèmes sur lesquels nous devons nous accorder pour pouvoir progresser dans ces questions :
- L’idée d’une base de données unique gérée par la CDEFI à renseigner par l’ensemble des écoles et mise à la disposition des classeurs. Elle limiterait des temps de traitement toujours plus longs pour les écoles et permettrait de définir clairement les critères : qu’est-ce qu’un professeur permanent par exemple ? Une initiative sans lendemain qui avait été lancée il y a une dizaine d’années. Rien n’empêche quiconque de créer des classements donc pourquoi ne pas les prendre en main ?
- La prise en compte du qualitatif. Bien adaptés au top 10 des écoles de management, les critères quantitatifs laissent peu de place aux suivantes. La grande question est de savoir si une entreprise serait capable de recruter sur des critères qualitatifs en bousculant ses habitudes sans se caler sur le classement des écoles du top.
L’évaluation de l’influence d’une école pourrait faire l’objet de baromètres dans la durée laissant place à la diversité de positionnements, à la customisation des critères. L’influence dans tel ou tel domaine pourrait également laisser place à des écoles moins bien classées. Certains experts mettent en place des métas classements comme Olivier Rollot qui prennent en compte ces différents critères.
- Plus de marketing et de simplification. Il faudrait que les écoles entament des relations plus approfondies avec les classeurs. Un travail de marketing, de segmentation et de simplification des classements par cibles et critères pour le service de tous :
Ecoles pour leur performance,
Etudiants et anciens pour la fierté d’appartenance,
Prospects en recherche d’écoles,
Entreprises. Leurs demandes devraient être mieux prises en compte pour éviter qu’elles ne se focalisent trop sur le top des écoles, base sur laquelle elles catégorisent leurs niveaux de salaires.
- Nous pourrions imaginer d’autres périodicités de classements, des baromètres pour lire une évolution comme je le proposais plus haut.
Jean-Michel Huet critique les critères de classement des grandes écoles de management par le fait que l’employabilité n’est pas au centre des évaluations. Mais quelle serait la crédibilité d’un classement où la première des écoles serait beaucoup moins bien classée et inversement ? Sommes-nous prêts à changer nos habitudes de lecture et de représentation du paysage des Grandes Ecoles et de l’Enseignement supérieur ? Est-ce que l’ensemble des stakeholders sont prêts à modifier leurs habitudes de lecture et à changer en conséquence ?
Ces questions feront l’objet de beaucoup cogitation dans les années à venir sous réserve que Linkedin ne revienne pas à la charge avec son classement et ne rebatte les cartes !