L’éducation à l’île Maurice est gratuite depuis 1976, de la petite école jusqu’à l’université. Elle a d’abord permis de former la main-d’œuvre de l’économie locale de la canne à sucre ou du textile. Au fil du temps, de nouvelles compétences se sont adjointes en matière d’hôtellerie, de finance, de banque, etc. Le développement de l’enseignement supérieur doit maintenant attirer ou rapatrier les talents pour accompagner les filières d’avenir : économies bleue (la mer, énergies renouvelables), verte (biotechnologies), blanche (services en général.) Maurice dispose d’un vrai « capital humain » mais devra faire appel aux investisseurs — tous secteurs confondus (privé, public, international) — pour développer ses potentiels. L’île veut profiter d’une position géographique appréciable, pont entre l’Afrique et l’Asie, pour devenir — à sa manière — un nouveau hub de la connaissance. Interview de la présidente de la République de Maurice, madame Ameenah Gurib-Fakim.
Jean-François FIORINA : pourquoi avez-vous souhaité faire de l’île Maurice un hub dans l’éducation et accueillir des marques étrangères ?
Mme GURIB-FAKIM : Il faut d’abord reprendre la question dans la durée lorsque que l’éducation est devenue gratuite en 1976 à Maurice, de la petite enfance jusqu’à l’enseignement supérieur. Elle a accompagné le passage de la culture de la canne à sucre vers l’industrie textile, et aujourd’hui, l’essor des nouvelles technologies et des services bancaires comme pôles de développement de notre économie.
Nous sommes à la croisée des chemins. Notre économie repose maintenant sur plusieurs piliers dont les services. Pour passer à une économie de la connaissance et développer d’autres pôles de développement comme la biotechnologie, l’économie de l’océan, la biomasse, les énergies renouvelables, il faut donner une formation plus poussée. C’est une des raisons pour lesquelles de grandes universités françaises, africaines ou britanniques se sont implantées à Maurice.
Le but est également d’offrir cette éducation de qualité au continent africain par la mobilité étudiante : accueillir les talents, les former pour qu’ils repartent et développent leur pays. Notre vision et notre ambition sont de développer l’enseignement supérieur comme un véritable pôle de développement à Maurice.
Jean-François FIORINA : quelques villes dans le monde se sont positionnées comme hubs de la connaissance dont Singapour qui développe des universités locales pour en faire de grandes marques internationales. Vous semblez avoir une approche différente qui est d’attirer ces grandes marques. Dans cette perspective, quelle est la situation des universités mauriciennes ?
Mme GURIB-FAKIM : Les universités publiques sont anciennes telles que l’Université de Maurice. Elle avait pour vocation de former les techniciens et cadres du secteur de la canne pour faire tourner cette économie.
Elles ont conservé cette vocation économique et professionnelle mais les travaux de recherche s’y déroulent principalement. Elle commence à diffuser dans d’autres universités privées en matière d’éthique ou de management. Nous prônons également l’échange avec le secteur privé, par exemple avec le BioPark que j’ai créé avec Jean-Louis Roule et le complexe de Socota appartient à Salim Ismael, que vous connaissez bien. L’idée était de développer les biotechnologies, les sciences de la vie pour faire coopérer les universités publiques, le secteur privé et évidemment les universités étrangères. Cet écosystème a pour vocation de tirer vers le haut la recherche et d’en faire un pôle de développement à Maurice.
Avez-vous des programmes d’accueil pour attirer l’implantation d’universités ?
Le Board of investment règlemente les investissements. Les universités sont très sensibles aux conditions d’accueil pour attirer les étudiants de l’étranger. Les campus résidentiels à la manière des CROUS français attirent pas mal d’étrangers, surtout des étudiants africains.
Comment faites-vous pour qualifier et attirer de bons établissements ? Pas mal d’universités dans le monde sont des établissements de mauvaise qualité dont les activités sont très marchandes, non éducatives.
Nous avons déjà plusieurs universités britanniques et françaises installées, Paris-Assas entre autres. Les universités étrangères sont réglementées non seulement chez eux mais aussi par une instance régulatrice locale qui fixe les exigences de qualité.
Pour en revenir à l’université mauricienne, j’ai vu que vous aviez proclamé l’objectif d’un diplômé par famille mauricienne.
Notre volonté est de développer l’aspect vocationnel et l’aspect académique. Un étudiant par famille ne doit pas se résumer à un chômeur par famille non plus. Les formations dispensées doivent répondre à des critères de qualité avec, également, tout l’aspect vocationnel et métier. En s’inspirant du modèle allemand qui est vraiment à développer. C’est un chantier que nous appelons à Maurice les « Polytechniques » qui répondraient à ce marché dont nous avons grandement besoin.
Actuellement, un Mauricien qui veut faire des études supérieures, reste au pays ou s’expatrie ?
Tout dépend de la filière et des moyens dont il dispose. Il y a des filières qu’on ne peut pas offrir ici ; d’autres ont les moyens de les suivre à l’étranger. Pas mal d’étudiants font des démarchent et ne trouvent pas. Ils reviennent dans les filières comme la finance notamment. Le secteur du service a beaucoup évolué au cours de ces dernières années, il est porteur en terme d’emplois.
C’est une question que j’allais vous poser : le marché du travail est-il capable d’absorber tous ces nouveaux diplômés ?
Oui, sur certains créneaux comme la finance, la banque. Ils attirent beaucoup et les rémunérations sont bonnes mais là où le bât blesse, ce sont les sciences où les salaires ne répondent pas forcément aux attentes des jeunes. Grâce à la création du BioPark nous avons attiré des jeunes de l’étranger, mais je le redis, si nous voulons attirer les diplômés de très haut niveau, il faudra développer l’écosystème à Maurice et en Afrique pour qu’ils restent.
C’est ce que nous discutons avec le secteur privé pour mettre la structure en place : des laboratoires où les jeunes peuvent travailler, mais également des filières porteuses et les emplois qui vont avec dans le secteur scientifique. C’est ainsi que nous arriverons vraiment à développer cette économie de la connaissance qui repose sur les compétences.
Souhaitez-vous garder les étudiants étrangers ?
C’est au cas par cas en fonction des compétences. Il y a beaucoup d’expatriés à Maurice, cette politique est gérée par le Board of investment.
J’ai noté également que vous aviez créé une structure — Study Mauritius — qui a pour objectif d’accueillir ces étudiants étrangers ?
À Maurice, nous n’avons pas de ressources dans le sous-sol. Nous nous sommes vite rendus compte que pour développer l’économie comme l’a fait Singapour, Israël, la Suisse ou la Corée du Sud, seules nos compétences comptent. Nous devons donc absolument fidéliser et trouver des réseaux pour attirer ces jeunes.
Les attirer c’est bien, mais il faut ensuite trouver des structures dans lesquelles ils peuvent vivre et exprimer leurs talents. C’est la vocation de Study Mauritius qui aide au placement des jeunes de ce vivier dans des pôles d’excellence.
Dans cette bataille mondiale de la connaissance, quels sont vos points forts, y a t-il des domaines de spécialisation ou une orientation régionale des étudiants, vous positionnez-vous au même niveau que Singapour, Dubaï ou d’autres ?
Dans cette bataille de compétences, chaque pays a développé son modèle, Dubaï a développé son modèle économique.
Nous avons développé notre modèle en fonction de nos forces et de nos ambitions. Nos forces résident dans ce que j’appelle l’économie bleue, l’économie verte et l’économie blanche des services. Et c’est en s’appuyant sur ces pôles que nous nous développerons que nous attirerons les compétences.
Évidemment cela va se construire dans le temps mais l’ambition est là. L’idée est de fédérer au maximum les compétences dans ces différents pôles. Par exemple, dans le secteur des services, il y a une fidélisation des jeunes qui veulent rentrer et qui trouvent des embauches dans ce secteur.
Ce qu’il faut faire maintenant, c’est mettre l’accent sur l’économie bleue : il s’agit de voir comment on peut se donner les moyens, financiers, structurels, réglementaires, les compétences pour faire émerger ce secteur. Le chantier démarre notamment dans les énergies renouvelables. Notre objectif est d’atteindre 30% de nos énergies produites dans les 20-25 ans à venir de façon renouvelable. Tout ce secteur doit se structurer avec des moyens, des compétences et un réseau international capable d’attirer les cerveaux à Maurice, quitte à ce qu’ils repartent, ensuite. Nous sommes dans une logique de flux migratoires. Il est possible de faire beaucoup de choses à distance aussi. Et comme je l’ai dit, il faut toujours regarder l’infrastructure et quels moyens on se donne pour faire émerger nos ambitions.
Quel est le montant de l’investissement total, comment financez-vous ? Bailleurs de fonds internationaux, entreprises ?
Notre objectif est d’abord d’améliorer nos indicateurs. Ensuite, nous regarderons du côté de l’investissement où le secteur privé local pour les infrastructures et les projets, entre-autres hôteliers, a beaucoup investi.
Au niveau régional, nous devons analyser l’écosystème de l’environnement dans lequel bailleurs, investisseurs et entrepreneurs peuvent être sécurisés pour investir. Il leur faut des retours d’investissement attrayants.
On essaye également de faire dialoguer les secteurs public et privé pour obtenir un réel partenariat. Il y a également des pays comme l’Inde, la Chine qui ont pas mal de projets, donc l’enjeu, c’est de faire fonctionner notre diaspora avec les pays de peuplement. L’Union Européenne et la France sont des partenaires très importants. L’idée est de faire passer le message que l’île Maurice est un pays qui fait beaucoup dans le tourisme mais que c’est également une île intelligente où il s’y passe beaucoup d’autres choses.
Vous vous positionnez comme un des leaders de l’Afrique, et vous avez évoqué la Chine qui porte une politique ambitieuse et agressive de développement, avez-vous eu des offres d’implantation d’universités chinoises ?
Pas pour l’instant, mais nous avons beaucoup de rapprochements. La Chine a déjà un projet important qui se met en place. Nous avons des relations diplomatiques avec ce pays depuis l’indépendance, il reste un partenaire important.
Je suis en contact avec pas mal d’universités chinoises. Je crois que ce n’est qu’une question de temps avant qu’ils se décident à s’implanter. Nous avons déjà des banques chinoises, beaucoup d’investissements chinois. Les universités chinoises seront intéressées mais comme vous dites, il faut contrôler la qualité.
Concernant l’éducation et l’enseignement supérieur à Maurice, il y avait 2 défis qui sont indiqués dans différents articles : la question du créole et de la langue d’enseignement et, second point, la coïncidence entre égalité et ethnicité au sein de la population. Est-ce simplement l’expression des journalistes ou est-ce un vrai défi d’avoir une formation unique pour tous
Nous avons déjà l’éducation gratuite. Elle est d’ailleurs obligatoire jusqu’à 16 ans depuis la petite enfance. Cette politique, au départ, a été perçue comme dangereuse mais nous nous sommes rendus compte que l’éducation était le seul moyen d’améliorer le bien-être social. C’est un choix de société partagé et voulu par la population.
Vous avez également parlé d’ethnicité et de créole. Quand j’étais enfant, les professeurs enseignaient en anglais et en français mais quand il s’agissait de faire comprendre un concept, nous passions par le créole. Il a toujours été un support de l’enseignement, on parle toujours créole, et je ne vois pas de problème avec son usage dans l’enseignement. C’est d’ailleurs la langue maternelle des enfants, celle qu’ils maitrisent donc elle doit rester un support pour l’enseignement.
Pour en venir à l’aspect éducation, comme je l’ai dit, l’éducation est accessible à tout le monde. On a observé une amélioration du niveau de toute la population, 92% est éduquée. Tout Mauricien doit avoir accès à une éducation car c’est le seul outil qui assure une mobilité sociale importante. C’est notre rôle que d’assurer l’accès à une éducation gratuite pour tous. Nous essayons de le faire ici grâce au capital humain.
Merci, voilà une belle conclusion. Ce sont de beaux projets qui véhiculent une belle vision politique car je suis persuadé que l’enseignement est la base de la croissance des pays mais également un élément de soft-power très important.
Des prix Nobel ont dit que notre géographie jouait contre nous mais nous avons pu prouver que cette géographie est, au contraire, stratégique. Nous sommes maintenant un pont entre l’Asie et l’Afrique, nous voulons agir comme tel entre ces deux continents.
Je partage cette vision politique de ce Pays mais faut il encore que l’ensemble de la population puisse bénéficier des retombées économiques. L’idée d’un hub dans le domaine de la formation est de surcroît un avantage comparatif aux pays voisins notamment ceux de la COI. L’évolution sur le plan économique de ce Pays est à suivre de près car ce pays a une très bonne culture du business et de l’entrepreunariat… ce qui permet a Maurice de s’intégrer aussi facilement dans tes partenariats géopolitiques. Le dernier exemple étant l’ouverture avec des pays faisant partie des BRIC…à savoir la Russie…En prenant une option sur l’enseignement supérieur Maurice se donne les’moyens de ses ambitions…
Yannick
C’est vrai que Maurice est une richesse en voyant l’évolution qu’elle a pu accomplir ses dernières années. Il serait très intelligent et prometteur d’investir dans l’éducation pour garantir un avenir meilleur et une réussite.