Le blog de Jean-François FIORINA

Ce « Verdun » de l’échec universitaire

Olivier Babeau, 2017, selection université

Olivier Babeau, professeur des Universités et vice-président de la fondation Concorde est co-auteur d’un récent rapport publié par ce Think-tank économique dont le titre révèle l’ambition, « Bâtissons l’enseignement supérieur du XXI siècle ». Ou comment conduire la réforme de l’Enseignement supérieur vers une orientation et des cursus plus personnalisés qui valorisent l’obtention de compétences, sans spécialisation aveugle et précoce. Pour en finir avec ce « Verdun » de l’échec universitaire. Interview.

 

Jean-François Fiorina : n’est-ce pas un énième rapport sur l’enseignement supérieur ? Quel est son objectif ?

Olivier Babeau : évidemment nous avons toujours un peu l’impression de répéter ou de synthétiser les rapports de nos prédécesseurs. Cela étant dit, je crois qu’en répétant les bonnes idées, nous réussirons à les faire entrer dans la tête des décideurs. Cette dimension didactique est importante et n’est-ce pas la vocation des think tanks ? Je trouve que le gouvernement actuel a déjà pris le taureau par les cornes concernant la sélection et le tirage au sort. C’est une progression qui rend une partie de ce que nous avons écrit dans notre rapport un peu obsolète, et c’est tant mieux. Il y a également de bonnes annonces sur la question des prérequis.

 

Les syndicats étudiants n’ont pas mobilisé la rue alors que cette sélection par tirage au sort constituait le système le plus injuste possible. Y a t-il une explication, un certain fatalisme ?

C’est effectivement extrêmement surprenant. Malheureusement en France, cela peut s’expliquer, nous préférons une injustice qui a des apparences d’égalité — une injustice égalitariste — à une justice qui pourrait apparaître comme sélective, élitiste.

Bien évidemment, c’est une erreur parce que la vraie injustice, c’est de ne pas sélectionner sur le niveau, de ne pas reconnaître le mérite et de trancher de façon aveugle la question des inscriptions en études supérieures. La fermeture complète des syndicats étudiants à toute sélection officielle permettait un certain contentement vis-à-vis de ce tirage au sort aveugle et stupide. C’est la réalité que nous devons accepter.

De la même façon — et j’ose le dire — ils acceptent cette sélection par l’échec, aveugle et déterminée. Elle touche les personnes les moins informées, pas préparées et dont l’entourage est le moins averti. Certains mouvements syndicaux s’en accommodent fort bien et c’est à l’image de l’affectation du tirage au sort. Vous voyez, ce n’est pas très étonnant.

 

Pourquoi envoyer ces gamins à l’échec ? N’y a t-il pas un coût psychologique et social très lourd ?

Nous préférons une façade idéologique rassurante à un pragmatisme qui oblige parfois à prendre des décisions difficiles. Tout le monde a le droit de faire des études supérieures. Donc nous pouvons envoyer un élève titulaire d’un baccalauréat professionnel faire des études de droit. La réalité que personne ne peut nier, c’est qu’il a quasiment 0% de chance de réussir.

Nous préférons assumer ce « Verdun », envoyer les gens au casse-pipe de manière quasiment certaine. Et, au final, faire sortir du système des étudiants particulièrement amers parce qu’ils y ont cru sans les aider utilement. Vous avez aussi dépensé beaucoup de ressources publiques pour rien : un étudiant coûte entre 11 000 et 17 000 euros par an. L’enseignement est quasiment gratuit et subventionné donc finalement vous avez juste perdu des ressources. Tout le monde est perdant dans cette histoire.

 

Vous avez l’habitude de côtoyer décideurs et élites, sont-ils conscients de ce délabrement de l’université, de l’enseignement supérieur ?

Je vais le dire crûment, la plupart de nos élites n’ont pas connu l’université. Beaucoup n’y ont jamais été. Ce sont d’anciens élèves de grandes écoles, de classes préparatoires ou d’établissements comme Sciences-Po. L’université, dans leur esprit, est une mesure de traitement sociale du chômage des jeunes et une espèce de survivance où n’ira que la masse des étudiants qui n’a pas forcement vocation à être professionnalisée.

Tant que les étudiants ne se soulèvent pas, tant qu’ils ne sont pas dans la rue, on estime que ça va plutôt bien. C’est l’approche que nous avons aujourd’hui de cette institution. Elle n’est pas symbole d’excellence même si nous avons encore d’excellents professeurs.

 

Pour en revenir à l’enseignement supérieur, est-ce que notre système dual, universités-grandes écoles/grands établissements, est tenable ?

Je ne suis pas de ceux qui pensent la fusion possible. Pour être lucide, les forces qu’il faut pour unir d’un côté comme de l’autre font que cela me parait très compliqué de fusionner les deux. Dans le meilleur des cas, pourrait-on imaginer que ce dualisme des systèmes entretienne et constitue au moins des aiguillons mutuels à l’excellence et à l’amélioration.

Ayant fréquenté plusieurs des structures du supérieur, facultés, écoles et prépas, je sais qu’il y a de l’excellence dans les deux. Il est tout à fait possible de faire cohabiter et collaborer les deux modèles pour aller ensemble vers l’excellence. Mais sans fondre l’un dans l’autre, sans humilier l’un au profit de l’autre.

 

Nous avons besoin d’une université forte car nous ressentons aussi les impacts de ses soubresauts. Vous avez fait un certain nombre de propositions dans ce rapport, sont-elles classées par ordre de priorité ?

S’il faut isoler les plus importantes, la première serait la fin de la spécialisation trop précoce. Comment former les actifs du monde de demain pour 20, 30, 40 ans ? Qui aujourd’hui est capable de prévoir le monde économique et social de 2060 ? C’est absolument vertigineux.

C’est un défi pour le corps enseignant. L’élément le plus essentiel que nous devons apprendre à nos étudiants, c’est la transversalité, le recul critique, la capacité à être complémentaire de l’intelligence artificielle… Cela se traduit par des études poussées en sciences humaines, le retour au savoir des humanités au sens très large qui permettent de faire des ponts.

Je conseille que chacun puisse construire son propre parcours, c’est vraiment le centre de nos propositions. Nous ne pouvons plus fonctionner en silos. Nos étudiants doivent être en capacité de créer leur parcours avec, par exemple, une dominante mathématiques tout en alliant des connaissances en histoire de l’art ou en sociologie.

Alors évidemment, ces nouveautés bousculent toute notre manière de fonctionner mais il faut bien comprendre que demain, les employeurs ne vont plus recruter des diplômes mais des compétences. Et c’est déjà très largement le cas. Si certaines matières comme l’histoire ou la philosophie viennent picorer des étudiants dans différentes filières, ce système assurera leur pérennité et leurs effectifs tout faisant de l’étudiant un acteur de son propre parcours. Casser cet enseignement en silos est vraiment au cœur de la modernisation du supérieur.

 

Comme pour nous avec l’université de Grenoble et les doubles-cursus, doubles-diplômes. C’est beaucoup de culture générale et la culture générale, c’est la capacité des étudiants à comprendre la complexité du monde. Alors quelle est la mission de l’université ?

Je pense que parmi mes collègues, nous n’aurons pas forcément tous la même réponse et il y a évidemment deux visions qui semblent opposées. D’une part, le transfert du savoir et l’entretien et la production de ce savoir qui est en soi son propre but. Et d’autre part, la professionnalisation qui parait ainsi soumettre le savoir parce que nous la voyons seulement sous sa facette économique : avoir un emploi, donner une compétence utile à employeur potentiel.

Ces deux objectifs ne sont pas complètement antagonistes. Je crois qu’ils doivent pouvoir cohabiter. Evidemment, nous sommes à l’université dans un temple du savoir mais ce savoir n’a d’intérêt que parce qu’il est en rapport avec la société, qu’il permet de la faire respirer. C’est pourquoi je crois que l’université devrait beaucoup plus communiquer, savoir s’ouvrir beaucoup plus à la société.

Demain, il va falloir se former tout au long de sa vie. Je crois vraiment que l’université doit également cesser d’imaginer qu’elle n’est qu’un lieu de formation initiale. La formation professionnelle devrait être aussi présente à l’université. Elle peut donc résoudre cette contradiction et cette position ambivalente.

 

Comment gérez-vous l’innovation pédagogique puisque jusqu’à présent la carrière d’un professeur c’est de transmettre des connaissances et de faire de la recherche. On s’aperçoit que le numérique ou les nouvelles pédagogies nécessitent un temps conséquent. Est-ce un autre choix de carrière ou doit-on l’intégrer dans un projet de recherche ?

Beaucoup de mes collègues ne seraient pas d’accord avec moi mais j’ai l’impression que c’est une voie de carrière qu’il faut développer. Il faut reconnaître que la pédagogie est le point aveugle de la carrière. Peu ou pas de sensibilisation ou de formation. Lors de l’agrégation très peu de temps est accordé à la façon d’enseigner. Nous avons beaucoup cru aux MOOCs, nous pensions qu’ils allaient remplacer les professeurs et c’est un des vraies premières grandes déceptions des révolutions avortées du numérique. La présence physique reste indispensable dans l’action de la transmission. Faire vivre la connaissance, c’est cette facette qu’il faut développer. Aujourd’hui, je reconnais qu’à l’université, elle n’a pas de réelle importance, que vous soyez bien ou mal noté par vos étudiants, cette notation n’atteindra pas votre carrière.

 

Pour revenir sur la mission de l’université, ne faut-il pas préparer aux études supérieures ? Et comment voyez-vous le positionnement des BTS, IUT, des classes préparatoires ?

Une grande partie de l’échec dans les études supérieures est un problème d’orientation et moins un problème de capacités que de relation entre ces capacités et le cursus choisi. Cette orientation est mal faite dans le secondaire. Nous devrons nous en saisir, peut être reformer le lycée, le baccalauréat d’une manière ou d’une autre. Il y a tout un travail à faire sur la préparation aux études supérieures. Les établissements du supérieur devraient jouer un rôle plus important auprès de ceux du secondaire. Il y a un fossé.

 

J’ai été très surpris par deux de vos propositions, à savoir : ouvrir l’apprentissage à 14 ans et l’enseignement professionnel à l’âge de 12 ans… Alors que vous disiez que dès le départ que la spécialisation se faisait beaucoup trop tôt.

Dans notre esprit, ces propositions pouvaient être les plus étonnantes. Mais ce n’est pas une lubie, ce fonctionnement existe déjà en Allemagne. Il s’agit de copier un système qui marche très bien ailleurs et l’opportunité de garder la voie d’un enseignement professionnalisant ouvert et relativement large. Cela ne veut pas dire qu’on abandonne les filières généralistes ou que l’on souhaite enfermer dès cet âge dans l’enseignement professionnel ! Les passerelles doivent rester possibles. Il faut seulement abandonner la stigmatisation de l’enseignement professionnel pour assumer qu’il peut être une voie d’épanouissement. La clef reste l’ouverture. Vraiment, ce n’est pas une voie de garage. On se rend compte aujourd’hui que plaisir, bonheur et réalisation de soi peuvent se trouver dans des emplois très concrets… Alors que toujours déconsidérés. Nous avons fait ces propositions dans une perspective de revalorisation.

En ce qui nous concerne, notre but est de former nos étudiants sur 3 niveaux :

  • le premier : qu’ils trouvent le travail de leur choix, c’est le retour sur investissement.
  • second niveau, qu’ils aient la capacité d’évoluer horizontalement ou verticalement. Le pouvoir d’être libre en permanence en France ou à l’étranger.
  • Et le troisième : donner à ces étudiants qui vont partir pour 30, 40, 50 ans de vie professionnelle, l’adaptabilité requise pour affronter des situations inimaginables en matière de technologies, de mutations sociales, géopolitiques ou éthiques…

Notre mission est conséquente parce qu’il faut que nous les formions à des métiers tout en intégrant cses fameuses soft skills du 21ème siècle. Le tout en un minimum de temps. Pour nous, une des mesures est de travailler avec l’université sur des doubles cursus ou des doubles diplômes.

Pour moi, l’école du futur voit le grand retour de la pédagogie : le professeur d’aujourd’hui doit scénariser son cours, être un bon orateur, utilisant des serious games par exemple. Toutes ces ressources pédagogiques coûtent une fortune et nous ne pourrons pas les assumer seuls. Il y aura un grand besoin de mutualisation peut-être avec l’université sur des opérations ou des projets communs comme la création d’un cours que chacun pourra adapter. Et puis peut-être sur d’autres opérations sur lesquelles nous serions en concurrence.

Commentaire (1)

  1. mal-pensant

    La recette pour limiter l’échec universitaire est connue, c’est celle qu’appliquent avec succès les universités catholiques.
    Encadrement important et serré, effectifs limités.
    http://www.letudiant.fr/etudes/fac/12-questions-reponses-sur-les-universites-catholiques-13314/lenseignement-est-il-identique-a-celui-des-universites-publiques-16497.html
    Quant aux MOOCs on ne peut que sourire en regardant les espoirs que certains y mettaient pour se débarrasser de la corvée de l’enseignement présentiel. Fiasco largement mérité.

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