Le pari était audacieux. Intégrer la géopolitique dans la pensée et les études de nos étudiants de grande école de management. Une matière transversale par excellence, qui se situe au carrefour de la stratégie, de la politique, de l’économie et de la géographie. Pari réussi, au vu de son évolution comme compétence et soft skill de l’école du futur mondialisée et comme nouvelle matière enseignée au lycée (cf l’annonce du ministre de l’Education nationale). Nous fêtons également avec fierté le 10ème anniversaire du Festival de Géopolitique de Grenoble ! Un événement à suivre sur place ou online dont l’affluence conforte nos choix.
Cette année, nous ne pouvions pas passer à côté du phénomène des replis nationalistes, Amérique en tête. Remettant en cause le leadership des USA et leur vision du monde, l’effet Trump s’installe et modifie les modes de compréhension de l’Amérique. Une occasion de revenir sur son système d’Enseignement supérieur et de Recherche dont j’ai pu voir la richesse et certaines fragilités lors d’un voyage mémorable dans les Liberal Arts Colleges et, bien sûr, au fil de ma veille stratégique depuis des années.
Une photographie de l’Enseignement supérieur américain
Comme il n’y pas de programme unique (fédéral) avant d’intégrer l’enseignement supérieur, la physionomie du secteur est plus composite qu’en France laissant place à des initiatives et de nouveaux concepts. Ce sont les Etats qui jouent un rôle clé en fonction de différents facteurs telle que leur puissance financière.
Le 1er cycle dure 4 ans, avec une approche ouverte, Liberal Arts. L’étudiant poursuit ses études en spécialité ou enchaîne avec un travail quitte à revenir plus tard pour les finaliser. Le Master n’est pas forcement un objectif comme en France.
Le double système privé/public fonctionne bien. Il n’y a pas de connotation négative du privé, au contraire.
Les Etats gèrent le système des universités publiques, certaines ont une dominante recherche d’autres professionnelle.
Les universités ont paradoxalement un faible taux d’internationalisation de leur cursus même si elles attirent les étudiants étrangers. Les écosystèmes Enseignement supérieur – Recherche – Industrie fonctionnent très bien.
L’importance du numérique est réelle et bien perçue. Les USA sont le lieu de naissance des MOOCs et des leaders des Edtechs. Les universités américaines sont d’ailleurs très bien classées dans le FT MBA online. Elles sont pionnières dans les accréditations internationales AACSB.
On connait les universités mais pas forcément les Community Colleges qui sont en plein développement, moins chers et moins sélectifs, moyens de compenser des niveaux hétéroclites et de motiver certaines populations bien que le taux d’abandon soit élevé (environ 40%).
D’autres modèles universitaires émergent comme l’Emeritus Institute of management (école intégrant plusieurs partenaires académiques) ou la Singularity University (école née dans la Silicon Valley intégrant un think-tank et un incubateur d’entreprises).
Quels enjeux pour l’Enseignement supérieur américain ?
- La bataille de l’influence et de la mondialisation de la matière grise fait rage
Les Etats-Unis excellent dans l’optimisation des écosystèmes Recherche – Enseignement – Industries. Leurs marques rayonnent et attirent les meilleurs. Ils occupent le top des classements mondiaux. Je pense bien sûr au MIT à Boston et à la Silicon Valley. Les moyens financiers engagés sont sans commune mesure avec les nôtres.
Des limites et des contraintes
- À quoi bon s’endetter autant ?
Obama avait souhaité limiter les effets de la bulle financière liée à l’endettement massif des familles et des étudiants américains, en 2ème position après le montant des prêts à la consommation aux Etats-Unis. C’est dire !
Cela pose la question de la poursuite d’études longues et du risque de déclassement au vu des coûts engendrés et des opportunités qu’elle offre sur le marché du travail. Si cette question ne touche pas les grandes marques, elle met en difficulté nombre d’établissements en milieu de tableau qui ne peuvent offrir le débouché à hauteur des espérances et des investissements consentis.
- Rayonnement contrarié et baisse d’influence ?
Les effets de la « trumpisation » des esprits a engendré une baisse de l’attractivité et de l’accueil des étudiants étrangers aux USA, exception faites des grandes marques. Une orientation et un « mauvais réflexe » facilité par le fait que les étudiants américains s’ « exportent » moins que les autres. L’international est vécu à travers des voyages d’études et des projets spécifiques.
La manne financière drainée par les étudiants diminue. Et ce repli n’est-il pas le syndrome d’une réindustrialisation encore fictive au vu de la puissance des GAFAM. L’effet secondaire pourrait porter sur l’efficacité des clusters technologiques qui fondent l’influence des USA, si les cerveaux se mettent à douter de la pertinence de leur passage chez l’oncle Sam ?
- Quel impact du digital (Edtechs, GAFAM) ?
Comme je l’ai souvent expliqué les modèles économiques de l’école et de la connaissance (all inclusive vs on demand) amorcent une phase de mutation exceptionnelle. Les Etats-Unis ont vu naître dans le droit fil de leurs clusters, les MOOCS et les Edtechs, puissants concurrents online des modèles traditionnels même s’ils sont beaucoup mieux perçus qu’en Europe. COURSERA est l’exemple type de ce changement de paradigme. Je vous renvoie à mon post sur les différents modèles prospectifs de l’école du futur. Quels seront à terme les impacts et le niveau résistance des universités dites traditionnelles — à la fois trop grandes pour être agiles et trop petites pour faire face à l’offensive croisée Edtechs / GAFAM ? Elles-mêmes de plus en plus présentes et investies dans les secteurs de l’éducation, de la formation et de la connaissance ? Quelles analogies et anticipations possibles en Europe et en France ?
- Une opportunité pour le « vieux continent »
Le mouvement de balancier de l’attractivité est-il en train de basculer vers d’autres mondes, asiatiques voire européens ?
Les chercheurs les plus prestigieux vont-ils s’éloigner même temporairement de la zone d’influence américaine ? Ce qui ouvrirait pour l’Europe et le reste du monde une fenêtre d’opportunité pour le recrutement de ces talents et la création/renforcement de nos propres clusters d’excellence.
Si le mythe américain fait encore rêver que sera-t-il devenu dans les décennies à venir ?
Pour le savoir, une seule solution, rendez-vous au Festival de géopolitique de Grenoble !
Bon festival à tous !