L’Institut de l’Engagement, créé en 2012 par Martin Hirsch et Claire de Mazancourt, propose à ses jeunes lauréats d’intégrer une entreprise, une collectivité ou un établissement de l’Enseignement supérieur sur la base d’un projet, après leur Service civique. « Le projet de l’Institut de l’Engagement a été de sélectionner des jeunes qui n’étaient pas dans le mainstream en utilisant ses outils plutôt que de les maintenir dans un univers parallèle qui a ses limites » explique-t-il. Une manière d’accompagner différemment leur projet d’avenir : se donner le temps de se connaître, découvrir et savoir s’ENGAGER pour être prêts à voler de ses propres ailes. Dommage que les entreprises — surtout les plus grandes — soient encore trop frileuses pour faire confiance à ces profils méconnus et à fort potentiel. Manque d’information ou manque d’engagement ?
Jean-François FIORINA : Êtes-vous satisfait des résultats de l’Institut de l’Engagement ? Est-ce que cela correspond à vos attentes initiales ?
Martin HIRSCH : Nous sommes satisfaits mais notre équipe voudrait aller beaucoup plus loin. Nous sommes partis :
- D’une intuition : une période d’engagement pouvait servir de déclic, et permettait de faire ressortir des potentiels qui n’avaient pas été détectés dans les parcours classiques,
- Et de constats : dans les premiers services civiques que nous avons lancés en 2010, beaucoup de jeunes ont réussi à trouver des idées et l’envie de se former malgré des parcours marqués par des difficultés et de fortes incertitudes d’orientation.
Les lois dont celle du 10 mars 2010 ne suffisaient pas. Il fallait donc créer quelque chose d’« artificiel », une passerelle entre ces jeunes qui se révélaient et celles et ceux qui pouvaient reconnaitre ou utiliser cette valeur : écoles, entreprises, porteurs de projets…
Cela a bien fonctionné ! Sur la base volontariat, plus de 150 établissements dans le supérieur sont devenus partenaires. Aucun n’est sorti du dispositif et ils sont satisfaits des lauréats intégrés dans leurs filières.
Nous avons été plus déçus du côté des entreprises et notamment des grandes. Elles ont du mal à diversifier leur mode de recrutement. Si nous avons de bons résultats en matière d’insertion professionnelle, c’est grâce au sur-mesure et non à la construction de filières pérennes. Il y a un fort décalage, inexplicable, entre le discours que les grandes entreprises tiennent et la réalité, telle que nous la vivons.
Aujourd’hui encore, ce qui me frappe c’est que de jeunes lauréats à qui nous essayons de mettre le pied à l’étrier, juste après la fin de leur service civique, arrivent à l’entretien d’embauche en expliquant qu’ils n’ont « aucune » expérience du monde de l’entreprise. Cette grande sincérité est rédhibitoire malgré toutes les autres expériences qu’ils ont pu vivre, et qui ne sont toujours pas prises en compte.
Jean-François FIORINA : Parce que nous sommes toujours dans une logique de diplômes ?
Martin HIRSCH : Certes mais pas seulement. Nous sommes aussi dans une logique de parcours standardisés, dans une logique de méfiance et que nous ne savons que peu résonner par équivalence. Exemple : être 6 mois acteur d’un projet dans une association est probablement aussi formateur que 4 mois dans le service marketing d’une entreprise…
D’autant qu’il y a une vraie exploitation et valorisation de l’identification des compétences qui est réalisée…
Je ne pense pas que la cause soit perdue mais pendant ces 6 derniers années, elle n’a été que très partiellement gagnée.
Jean-François FIORINA : Réaction identique pour tout type d’entreprise ?
Martin HIRSCH : Nous avons eu le même mode de fonctionnement avec les grandes entreprises qu’avec les écoles : la proposition d’injecter une petite proportion de lauréats venant de l’Institut dans leur rang. C’est une moindre prise de risque que pour une petite entreprise dont le turn-over est extrêmement faible. Finalement, on arrive à ce que les jeunes ouvrent plus facilement la porte de petites entreprises que celle des grandes…
Jean-François FIORINA : Pour les petites entreprises cela ne m’étonne pas, elles recherchent des profils polyvalents. Y a-t-il des initiatives du même ordre à l’étranger ?
Martin HIRSCH : Le socle sur lequel repose le service civique, existe aujourd’hui dans peu de pays. En Italie, il s’est érodé au moment où nous le développions. En Allemagne, c’était une alternative au service militaire obligatoire. C’est aux États-Unis que nous retrouvons une expérience plus similaire tout en étant dans un contexte fort différent : AmeriCorps et Peace Corps sont deux programmes d’après-guerre basés sur le volontariat de jeunes qui sont considérés comme des atouts absolument extraordinaires pour ceux qui en bénéficient. À tel point que lors d’une rencontre avec l’une des vice-présidentes de Microsoft, la première expérience dont elle nous fait part fut son passage dans Peace Corps et l’aide apportée pour entrer, une première fois, dans une grande entreprise. La valorisation de l’engagement par les employeurs est la plus poussée dans ce pays.
Jean-François FIORINA : Souhaitez-vous le développer à l’échelle européenne ?
Martin HIRSCH : Cela fait partie de nos réflexions stratégiques avec un conseil d’administration qui n’est pas encore totalement convaincu. Certains nous disent « approfondissez et solidifiez d’abord en France » et d’autres, dont je fais partie, pensent que le pas à l’étranger pourrait nous aider à consolider notre démarche. Il y a 3 jours, j’étais avec un jeune responsable d’ONG suédoise d’origine érythréenne – qui se présente aux élections parlementaires – avec qui j’avais cette même conversation. Et en ce qui concerne les questions d’intégration de la jeunesse, la Suède serait très intéressée par ce type d’expérience.
Jean-François FIORINA : Quelle a été la réaction de l’éducation nationale ?
Martin HIRSCH : L’éducation nationale a regardé ce que nous faisions, mais ne s’est jamais complètement engagée dans cette expérience. Je n’exclue pas de pouvoir aller plus loin.
Par exemple, au moment de la réforme du BAC : j’ai eu une marque d’intérêt de Jean-Michel Blanquer et de Pierre Mathiot — auteur du rapport sur la réforme. Je leur ai dit : « Vous cherchez à introduire une épreuve d’oral. Nous l’avons créée pour des jeunes qui n’en avaient jamais passé auparavant, en introduisant des acteurs de la société civile dans nos jurys. Nous restons à votre disposition pour tester des oraux dans le cadre du Baccalauréat avec des personnes bénévoles qui participent à nos propres jurys ». Au-delà des oraux académiques traditionnels, l’idée est de transmettre ce savoir-faire dans l’éducation nationale.
Et alors ?
Personne ne nous a dit non !
Jean-François FIORINA : Vous avez prononcé le mot clef… académique. L’oral de demain ne sera pas de ce type mais plus une aptitude à comprendre et convaincre par la communication et comment susciter l’intérêt.
Martin HIRSCH : Et cela nous savons faire ! Les jeunes qui passent ces oraux ont donc la possibilité de parler de leur projet à des adultes qui viennent du monde de l’entreprise, associatif, de la fonction publique et non pas d’acteurs auxquels ils font face d’habitude. L’interaction est bien plus formatrice et constructive.
Jean-François FIORINA : Voilà le drame de l’éducation nationale, c’est de ne pas avoir préparé les élèves aux nouvelles compétences et approches très tôt en amont.
Martin HIRSCH : Nous vivons l’héritage de l’école du 19ème siècle qui s’est protégée du monde extérieur pour ne pas être sous l’influence de l’église ou du politique. Aujourd’hui, ce mécanisme s’est étendu à tous milieux extérieurs dont l’entreprise. Une des difficultés est de réussir à faire tomber ces protections quand elles se retournent contre les élèves.
Jean-François FIORINA : Nous avons un accord depuis 6 ou 7 ans avec l’Institut de l’Engagement et cela fonctionne bien. Quel serait le message que vous aimeriez faire passer ? Vos souhaits pour aller plus loin ?
Martin HIRSCH :
- Aidez-nous à ce que nos passerelles survivent à parcours sup ou se développent avec lui ! Que l’originalité de nos parcours et que la pré-sélection de l’Institut de l’Engagement puissent continuer sur la même voie qui a présidé la création de parcours sup : Éviter l’absurdité du tirage au sort.
- Il y a peu de concours qui ont la particularité de celui que nous proposons, c’est-à-dire, avoir accès à plus de 150 établissements dans le supérieur.
Nous sommes donc très intéressés par toutes celles et ceux qui peuvent en faire la publicité, qui peuvent montrer ce que notre partenariat a pu changer ou provoquer.
Nous avons répondu à un besoin, fait nos preuves et nous avons un potentiel de développement fort. Le but étant maintenant de porter tout cela avec nos partenaires sur un plan pratique/théorique/militant.
J’aimerais savoir si vous pensez que ce partenariat est connu dans votre école ?
Jean-François FIORINA : Il l’est. Mais cela dépend des promotions. Nous l’avons fait parce que l’un de nos grands principes est d’avoir une grande diversité de population : tout le monde n’a pas eu la chance d’aller à Louis-Le-Grand. Il y a d’autres plusieurs possibilités. Avec l’Institut de l’Engagement, nous avons des étudiants qui réussissent aussi bien académiquement que professionnellement. À Autrans, il y a 3 ans, je suis intervenu lors de la réunion annuelle de l’Institut de l’Engagement et ce fut une révélation. Les échanges ont été très riches et passionnants avec ces jeunes. Mais êtes- vous perçu à votre juste valeur ? Non je ne le pense pas… Il y a encore du chemin à faire.
Martin HIRSCH : Et qu’attendez-vous de nous maintenant ?
Jean-François FIORINA : Deux ou trois communications globales sur les compétences spécifiques et uniques qu’ont les étudiants de l’Institut de l’Engagement. Plus nous mettrons nos expériences et pratiques en commun plus la couverture sera intéressante. Ce qui poussera la réflexion en amont auprès de tous les parties prenantes : Éducation nationale, entreprises…