Dominique STEILER, personnalité hors normes à la fois chercheur, professeur et ancien pilote de chasse, est titulaire de la chaire Paix Économique de Grenoble Ecole de Management. Il défend une autre vision du management. Créatrice de valeur et de performance, certes. Mais consciente de ses forces et de ses faiblesses, consciente que dans le bénéfice financier produit par l’entreprise, une part puisse être « maléfique », contraire au bien commun, au bien-être des salariés et de tout ou partie de ses parties prenantes, la nature y compris. L’enjeu du manager de demain et de sa formation — tout particulièrement en école de management — est de conscientiser cette responsabilité pour en (re)créer l’honnête homme au sens de celui des Lumières. Éclairage sur ce concept de paix économique, processus continu plutôt que posture, pour atteindre sa « raison d’être » à la fois en tant qu’homme et entreprise.
Jean-François FIORINA : Un petit historique ?
Dominique STEILER : Je suis né en Moselle, d’une famille bilingue. Ma mère est francophone et mon père germanophone. Dans les années 1960, j’entendais mon père se faire traiter de boche par les habitants du village, ce qui n’était pas facile et générait à la fois de la honte et de la colère chez mes sœurs et moi. Mon père a passé du temps avec nous sur les sujets de discrimination, de souffrance, de fragilité, de nationalité pour nous faire comprendre qu’il fallait être vigilant pour ne pas se laisser embarquer dans le ressentiment. Initialement, j’ai cru que mon histoire n’était que linguistique. Pourtant, je me suis rendu compte, que l’endroit était clé et depuis des siècles. Cette histoire en terre de guerre va me conduire à m’intéresser à la paix.
Jean-François FIORINA : Qu’en est-il de ton parcours universitaire ?
Dominique STEILER : Je me suis inscris à l’INALCO (Institut National des Langues et des Civilisations Orientales) à Paris en études de Langue et de Civilisation Chinoise. Cela peut paraître étonnant mais à l’époque, mais l’une de mes intentions était d’avoir un regard décalé qui viendrait éclairer ce que l’on vit. Notre culture parle des entreprises en ces termes : “Sa vision sa mission et ses actions” et nous pousse à ne porter intérêt qu’au but à atteindre ; à la fin seule ne semble compter à l’école que la note ou la performance pour nos entreprise L’orient propose plus la question de la raison d’être et du chemin comme sens de la vie et sens de l’action. Je ne dis pas « c’est mieux », je dis « comment pouvons-nous nous enrichir du regard de l’autre ».
À la suite de cela, j’ai poursuivi en DEA (Master 2 aujourd’hui) qui s’intitulait Réadaptation sociale du handicap, et se jouait entre les facultés du sport, de psychologie et celle de médecine. Mon fil directeur se manifestait de plus en plus comme étant « entre force et vulnérabilité, entre puissance et fragilité”. J’ai choisi le handicap physique comme spécialisation. Très vite je me retrouve à travailler avec l’équipe de France paralympique d’escrime. Alors la question de ma thèse se pose. Plutôt que d’écrire une thèse classique, je me propose de la vivre à partir d’une vraie expérience. Je deviens pilote de chasse dans la Marine Nationale. Pour écrire une thèse sur le thème de la puissance et de fragilité, je voulais l’avoir vécu. Le monde voit le pilote comme un symbole de puissance, pourtant le pilote de chasse sait à quel point il est vulnérable. Je quitte ensuite la Marine avec un sujet de thèse ce qui m’amène à Grenoble. Six mois après le début de son écriture en 1996, le financement de ma thèse est annulé. Le Plan Armée 2000 de Lionel Jospin devient effectif. Je fais alors une conférence avec Loïck Roche sur le stress au travail. Deux mois plus tard, je me retrouve à la CCI et il me propose d’écrire une thèse en management.
Jean-François FIORINA : Comment s’est passée la création à GEM du CDPM — Centre de Développement Personnel et Managérial ?
Dominique STEILER : En 1993, après un master de conseiller en entreprise, j’ai écrit un article professionnel où je proposais la création d’un lieu ressource qui s’occuperait de toutes les dimensions humaines, le projet du CDPM (Centre de Développement Personnel et Managérial) est apparu. Il aura pour but d’accompagner les étudiants tout au long de leur parcours dans l’école, avec le mot d’ordre le suivant : je suis l’acteur de mon métier. Plus que leur CV, ils viennent y construire leur projet, partager leurs inquiétudes, leurs peurs, leurs amours, de la vie.
Si on retranscrivait le CDPM en négatif cela deviendrait : “Arrête de croire qu’il existe à l’extérieur de l’école le métier qui te correspond à 100%, c’est toi qui feras de ce métier celui qui te correspondra. Tu transformeras le lieu dans lequel tu travailles pour qu’il te ressemble et pas l’inverse”. Nous proposions alors une quarantaine de conférences, des ateliers, etc. C’est le CDPM qui a introduit la notion de mindfulness (pratique de la pleine conscience) comme point de départ.
En 2004, le personnel administratif nous fait savoir qu’il est intéressé et ainsi tout un ensemble d’activités s’ouvre au staff, puis aux professeurs en 2006 ce qui, en 2010, conduit à ce que l’école deviennent école pilote pour les enseignements des risque psycho-sociaux dans le cadre du Plan Santé Travail 2 du ministère du Travail qui était en place de 2010 à 2014.
Jean-François FIORINA : Qu’en est-il de la création de la chaire ?
Dominique STEILER : En 2008, Raffi Duymedjian, professeur à GEM, évoque avec moi, à la suite de la vague de suicides médiatisée dans une grande entreprise française, que le langage professionnel peut être agressif et destructeur et que des dommages collatéraux sont maintenant présents. Sur sa suggestion, nous créons alors un cours qui s’intitulera « éducation à la paix économique ». Deux ans plus tard, Antoine Raymond, dirigeant du groupe A.Raymond, nous contacte à la suite à la sortie du livre Eloge du Bien-être au Travail. Au cours de cet entretien, il déclare : « si on continue de faire des affaires comme ça on va se détruire les uns les autres […] Je suis convaincu de ce que vous me dites mais lorsque j’essaye de l’appliquer, je me fais agresser de toute part. » Il termine par une question : « Que faire ? » Et nous créons donc cette chaire sur la paix économique.
Jean-François FIORINA : Comment peut-on définir la paix économique ?
Dominique STEILER : Je résiste encore à la définir. Une citation de Braque me vient à l’esprit “le conformisme démarre à la définition”. C’est quelque chose de l’ordre de la complexité donc complexe à définir. Nous pouvons cependant émettre une définition apophatique, c’est-à-dire : qu’est-ce que n’est pas la paix économique ? Ce n’est pas un but à atteindre. La paix économique devient alors un contrepoint au sens musical du terme, une autre harmonie qui vient transformer la musique existante. Elle est un processus journalier par lequel chacun répond à la question : « comment puis-je faire acte d’Homme aujourd’hui ? » En d’autres termes, réaligner mes propres comportements avec les grandes valeurs humaines pour qu’ils deviennent contributifs du bien commun. Au-delà, c’est aujourd’hui, me semble-t-il, la seule voie possible face aux agressions de l’hypercompétition et pour ne pas tomber dans les pièges de la fuite ou de le guerre.
La force de cette chaire c’est de pouvoir dire que depuis plus de six ans d’existence, sur les cinq entreprises initiales, quatre terminent leur second engagement de 3 ans et ont donné leur accord pour un troisième engagement de trois ans. Elles seront donc avec nous sur 9 ans ce qui est exceptionnel Je l’explique simplement par le fait que l’approche co-construite avec ces entreprises leur apporte les moyens de réflexion et le suivi des projets engagés sur nos sujet.
Jean-François FIORINA : Comment une entreprise peut-elle intégrer ce concept, cet esprit ?
Dominique STEILER : Je vais vous répondre par un exemple. A.Raymond a édité fin 2017 son document stratégique à cinq ans. L’industrie automobile, marché concurrentiel et délocalisable est rude. Dans ce rapport, on peut lire que l’ensemble de la stratégie va se construire en intégrant les “pratiques de pleine conscience et de communication non-violente”. Voilà bien huit ans qu’ils ont mis en place un projet Servant Leadership qui a d’abord été décliné aux deux cents managers et qui est aujourd’hui décliné vers l’ensemble des collaborateurs à travers la planète. Toute l’idée du Servant Leadership est de créer une structure qui se pense, avec l’ensemble de ses parties prenantes, à leur service, quelle que soit la partie prenante interne ou externe.
Jean-François FIORINA : Et pour la communication ? Le reporting ?
Dominique STEILER : La question qui est posée parle de l’intégration concrète de la Paix économique dans les processus de l’entreprise. Pour répondre il convient d’évoquer les dérives instrumentales d’outils pourtant utiles. Prenons l’exemple de l’évaluation annuelle qui est supposée être un outil d’accompagnement pas un outil de classement. Dans la vraie vie et parce que nous avons fait une seconde nature de notre obsession à classer, ce moyen d’accompagnement est utilisé à des fins de verticalisation et de classement. Ce fonctionnement tue l’innovation, la créativité et la confiance des employés. Il y a quelques temps j’ai fait un audit du stress d’un service de recouvrement d’une société immobilière. Les personnels du recouvrement se disaient très stressés. Ils évoquaient la chose suivante : « Notre travail consistait dans le passé à élaborer un plan de recouvrement qui tenait pour nos clients et pour nous. Depuis cinq ans, tous les lundis matin, les employés reçoivent un document Excel avec les cinq colonnes de la semaine et, au bas de chaque colonne, est indiqué le montant que l’on doit recouvrir impérativement dans la journée. Toutes les deux heures notre manager vient valider que le chiffre augmente. Nous traitons tout par téléphone. » On vient tuer la vie, le relationnel, le contact. Dans l’idée de paix économique, il y a l’idée de resocialiser, de réintroduire un système dans lequel c’est le lien social qui sera source de coopération et donc de performance.
Jean-François FIORINA : Dans notre institution d’enseignement, comment former nos étudiants à la paix économique ?
Dominique STEILER : J’aimerai évoquer un autre point pour démarrer. Dans une entreprise à la fin de l’année, on demande à nos étudiants — stagiaires ou alternants — de faire un bilan financier et éventuellement d’exprimer un bénéfice. Dans le mot bénéfice, il y a la question du bienfait. Le Propos est donc le suivante : Pour générer ce bénéfice combien a-t-on créer de maléfices ? Si je deviens suffisamment puissant pour traiter de ma vulnérabilité et de mes fragilités ou de celle de l’entreprise comme de ses forces, dans mon bénéfice, je vais détecter mes maléfices ce qui va m’ouvrir les portes vers la paix économique.
Jean-François FIORINA : Que penses-tu d’imposer ces formations en entreprise comme cela est parfois fait ?
Dominique STEILER : Je suis contre. Lorsque la vague de suicide à France Telecom a été médiatisée, la réponse de l’entreprise fut d’envoyer tous ses en formation de gestion du stress. Après deux jours de formation, non seulement les managers ont ressenti de la culpabilité puisque c’étaient eux que l’on envoyait en formation, et, de surcroît, l’objectif « zéro suicide » reposait sur leurs seules épaules en fin de session.
Jean-François FIORINA : En matière de formation qu’en est-il ?
Dominique STEILER : Je souhaite que l’on repense les formations pour que, dans un temps qui sera surement long, nos futurs managers soient capables de proposer un monde que nous ne pouvons même pas aujourd’hui imaginer car notre « cablage » n’est pas le bon. . Il y a donc un vrai travail d’éducation. Quand la Finlande décide de ne pas évaluer ses enfants jusqu’à quinze ans, c’est parce qu’avant quinze ans, ils n’ont pas la capacité physique suffisante pour supporter le stress lié à l’évaluation. Le fil central de la formation des professeurs et des instituteurs en Finlande, c’est le bien-être et la gestion du stress. Après avoir repéré les processus qui génèrent du stress, de la violence, de la souffrance ou de la dégradation de l’environnement, il faut que le manager puisse remettre en cause ses propres schémas. C’est le plus dur. La performance d’entreprise n’a de sens que par ce qu’elle vient nourrir une croissance et un progrès.
Jean-François FIORINA : Comment les étudiants reçoivent-il le cours de paix économique ?
Dominique STEILER : Aujourd’hui, nous avons un cours qui s’intitule « Management au service de la Paix Economique ». Il est un cours de spécialisation 2A. Nous tentons aussi d’avoir des actions pour que les enseignants intègrent dans leurs interventions cette notion. Il faut bien voir que les choses avancent doucement sur ces sujets. C’est seulement cette année, au moment de l’accueil des premiers arrivants, que j’ai présenté pour la première fois à l’ensemble de la promotion la notion de paix économique. Deux questions principales ont émergé. La première : N’est-ce pas très utopiste ? Et la seconde : Comment peut-on faire, comment se joindre à vous, comment s’investir ? Mes réponses : Premièrement, pas d’utopie pas de progrès ! Le rêve disparaît. Si c’est utopique de vouloir une société civile ou entreprise qui fonctionne bien, qui croît et qui ne détruit pas, alors je prends l’étiquette utopique, sans aucun problème. Deuxièmement, tous les managers que je côtoie aujourd’hui et qui œuvre pour le bien-être savent combien il faut de puissance et de lutte pour avancer dans ces sujets. Plus que des bisounours, les managers qui avancent sur ces sujets sont de vrais combattants… aussi-paradoxal que cela paraisse.
Jean-François FIORINA : C’est une réflexion à long terme. L’individu attend une réponse immédiate à un problème immédiat ?
Dominique STEILER : Oui, c’est là que l’école a un rôle fondamental et elle doit prendre en charge ces transformation au plus tôt dans l’éducation des enfants puis des jeunes adultes qui viennent chez nous. Il y a donc un mouvement en deux directions conjointes
- Dans l’école, la temporalité peut être différente, elle peut être sur le moyen et le long terme
- Dans l’entreprise, qui vit dans une temporalité de l’urgence, il faut des personnes aptes à maintenir les axes qui permettent de s’assurer un travail fait dans la dignité et contributif, réellement de la création de valeur pour le bien commun aussi.
Jean-François FIORINA : La préparation répétée permet la performance.
Dominique STEILER : Oui, tout à fait. Un peu comme nos étudiants qui n’aiment pas les choses routinières, mais il faut comprendre que sans routine ils n’atteindront jamais d’expertise. Avoir quitté le monde des outils nous a fait oublié que le sens que nous trouvons à la vie passe aussi par notre sensation d’avoir une action réelle sur le monde.
J’ai un exemple olympique. Dans une équipe olympique, si je focalise mon athlète sur une seule chose pendant quatre ans — l’obtention de la médaille —, la seule chose que je crée, c’est de la tension. Le bon coach va focaliser sur les petites tâches, la segmentation, l’entraînement. C’est quand je reviens à l’idée de bien faire ce que j’ai à faire que la performance peut arriver de surcroit, par conséquence.
Marie-Jo Perec en 2000 est sous une pression médiatique impossible et chacun attend d’elle qu’elle ramène une médaille d’or à la maison. La veille de sa course, elle quitte l’Australie ayant peur d’être « assassinée » selon ses mots. Plus tard, elle dira « je ne sais pas pourquoi j’ai dit ça ! » C’est un processus de stress classique. On l’a trop focalisée sur le but. Le vainqueur olympique, le vainqueur challenger, dit en général, « j’ai bossé comme un taré pendant quatre ans » et, en deuxième lieu, « je ne m’attendais pas du tout à gagner. Je suis venu ici pour donner le meilleur de moi-même ». L’effort, la joie et le plaisir personnel ont pris le pas sur le but. C’est la création d’une œuvre qui compte.
Jean-François FIORINA : Où en sommes-nous aujourd’hui ? Paix armée, guerre économique ?
Dominique STEILER : J’écris mon livre à Princeton où j’ai été invité un an pour parler de Paix Economique. c’est là que je vais découvrir qui a écrit sur la paix économique alors que la chaire existe déjà. Je réalise que les écrits existants sont tous écrit à la fin d’une guerre et un peu avant la suivante. 1910, 1919, 1935 et 2017.
- En 1910, un économiste belge, Henry Lambert écrit Pax Economica. Il dit en substance, « Attention, il y a quelque chose qui se dégrade au niveau international, il faut que l’on évite la guerre. Il nous reste une chance en tant que dirigeants d’entreprises, c’est de recréer du lien grâce au monde du travail et de refaire en sorte que des échanges s’installent entre les pays pour éviter la guerre. »
- En 1935, Henri Hauser, économiste français, publie un livre qui s’appelle La Paix Économique et dit: « attention, nous sommes en crise économique majeure, il y a un fort taux de chômage, les pays européens basculent dans le populisme. Si on continue ainsi, on va à la guerre. »
Autre exemple, il y a six ou huit mois, Le Monde posait une question à un professeur d’histoire d’une grande université américaine : « Ne trouvez-vous pas que nous commençons à avoir les conditions sociales et socio-politiques proches de celles d’avant la seconde guerre mondiale ? »
- Première remarque, moi je dis « paix », en exprimant le souhait que mes enfants ne vivent pas une guerre. Et les journalistes posent la même question ce qui est loin d’être anodin et même révélateur des conditions actuelles. Réponse de l’historien : « Vous avez raison, les conditions sont très proches de celles de la seconde guerre mondiale mais on a mis en place tout un ensemble de sécurités et de régulations qui peuvent permettent d’éviter cela ». Mais à la fin de l’interview, il ajoute : « Par contre, si au lieu de comparer à 1936-1937, je compare à 1910, là, il faut être attentif car cela y ressemble beaucoup plus… »
Je pense que c’est un vrai engagement sociétal que d’aller vers la paix économique pour amender les dégâts que provoque notre modèle mondialisé actuel, et hyper compétitif et financiarisé.. D’où le rôle fondamental d’une école de management et de la création de la chaire.
Jean-François FIORINA : Que doit-on enseigner dans les écoles ? Peux-tu expliquer ta chaire en quelques mots et les missions d’un responsable de chaire ?
Dominique STEILER : Je suis le responsable historique de la chaire. Je pense que ma première mission, c’est d’être porteur du projet au sens de porte-drapeau. Il y a un important travail à faire en interne et en externe pour raconter — au sens du storytelling — ce qu’est ce lieu de recherche et étudier comment il s’inscrit dans le monde académique, comment il s’inscrit dans le monde de l’entreprise et comment il contribue au bien commun ? Nous formons les sentinelles de la Paix Économique.
Il s’agit donc d’être porteur de projet, de faire un travail de représentation dans des instances diverses telles que des entreprises, services publics, donner ou participer à beaucoup de conférences, de tables rondes. Un exemple, je viens de participer à l’inauguration d’un bâtiment « super écolo » qui donnera un soutien majeur à notre projet de paix économique. Être capable également de faire vivre son équipe au sein d’une institution par des sujets qui ne sont pas communs ou dans la ligne de la culture de l’institution. C’est un sujet qui a toute sa place en école de management.
Autre élément fondamental, et c’est une conviction personnelle, il me semble qu’une chaire peut avoir plusieurs types d’orientations. J’ai choisi de faire une chaire multidisciplinaire qui s’intéresse par tous les champs académiques possibles à l’ensemble des parties prenantes même les plus éloignées comme la Nature, c’est à dire la dimension écologique. Et faire vivre une équipe multidisciplinaire, c’est un sacré boulot ! Quand on fait travailler ensembles des gens qui ne sont pas du même champ, il faut qu’ils acceptent de réduire et d’oublier une partie de leurs connaissances et de leurs compétences afin qu’il y ait un petit peu de place pour l’autre. L’une des missions du responsable de chaire, c’est ça. Cela demande continuellement d’être à la jonction de tous les champs. Voilà deux ans que je ne travaille plus directement mon propre sujet de la pleine conscience et que je me concentre sur des sujets économiques afin d’être capable de comprendre et de me faire comprendre de mes collègues économistes.
Jean-François FIORINA : Une question ?
Dominique STEILER : Bien sûr. Nous parlons à nos étudiants de beaucoup de choses qui leur font envie, du monde, du bien commun. Ils sont très sensibles à cela. Puis arrivent les pressions de la famille, des écoles et du marché. Comment les avoir avec nous ? J’ai quelques idées, mais nous avons peu de moyens humains.
Jean-François FIORINA : Je vais répondre en deux temps :
- Nous avons des étudiants qui arrivent après avoir surmonté une épreuve qui est celle du concours. Ils ont une image de l’école très stéréotypée qui est encore augmentée par celle de leurs parents. Or l’école qu’ont connu leurs parents, celle d’il y a 25 ans et plus, n’est pas celle d’aujourd’hui. Comment donc leur apprendre à apprendre ? Ce n’est pas parce que vous n’avez pas tel ou tel cours que votre projet est fini.. C’est à chacun de réfléchir sur son parcours, sur ce que vous avez envie de faire ou ne pas faire.
Et notre mission est, de plus en plus, d’organiser l’expérience étudiante, c’est-à-dire organiser la somme des activités pour que le diplômé se rapproche au mieux de l’honnête homme tel que le définissait les lumières ou l’homme de bien tel que le définissait le confucianisme, à savoir, faire valoir d’abord sa « part grande » et non pas sa « part petite ».
- La somme des expériences est importante. Ce concept de Paix Économique doit faire partie intégrante de cette expérience. Dans ma propre philosophie pédagogique, cela doit être constitutif de la culture générale. Et bien sûr, c’est utile pour ceux qui souhaitent aller bien plus loin. Comment trouver des éléments d’expérimentation ? Si l’expérience est positive, l’étudiant, une fois en entreprise, pourra certainement raconter son vécu de la paix économique à son manager. Mais il y a cette difficulté de l’intégrer dans cette expérience étudiante. Ils arrivent avec des âges et des maturités différentes, certains étudiants avec des codes très différents. C’est à la fois une richesse et une complexité y compris dans la nécessaire intégration de cette dimension de la paix économique.
Dominique STEILER : On avance dans l’expérience pour qu’à la fin on ait une forme particulière qui s’adapte bien à un élément. C’est à cet endroit que cela se joue.
Jean-François FIORINA : L’école du futur, c’est la somme des expérimentations que nos étudiants doivent vivre. C’est avec la multiplicité de ces expériences qu’ils deviennent compétents et des étudiants les plus « complets » possibles.