Le blog de Jean-François FIORINA

Pour enseigner autrement : la communauté de pratique apprenante

L’idée d’une communauté de pratique apprenante (CdP) au sein de Grenoble Ecole de Management (GEM) est née de deux problématiques :  

1/ Réaliser une expérimentation pédagogique sous forme d’un Travail Dirigé où les étudiants exercent des rôles et des fonctions d’acteurs associatifs. Ils vivent des problématiques d’ordre relationnel et managériales, gèrent des budgets et des équipes importants. Comment peut-on les amener à construire une connaissance en Comportement organisationnel et par là même les doter des compétences et de l’expertise associées en renouvelant l’apprentissage pour que celui-ci leur soit utile face à la réalité associative ?

2/ Construire le module autour du partage social et collectif. Pour être plus original qu’un cours traditionnel.

Cette communauté a été pilotée par deux membres du corps enseignant de GEM, Emmanuelle Villiot-Leclercq et Lionel Strub et 3 étudiants référents : Pauline Bourré, Ruben Brami, Ambre Jacquet étaient présents pour cette interview début décembre 2018. 

Jean-François FIORINA : Le professeur a d’abord identifié un besoin ?

Emmanuelle Villiot-Leclercq  (chargée des pratiques et de l’innovation pédagogique à GEM) : Oui, comment faire pour enseigner autrement ? Nous avons décidé de transformer un module entier en un dispositif type : une communauté de pratique apprenante. L’ensemble des heures se déroule au sein de cette communauté : étudiants du parcours, experts et partenaires associatifs du territoire local : AMACO, Culture Ailleurs, Fondation Emergences… L’objet visé est de développer le « Bien-vivre ensemble son engagement et sa pratique associative », et ainsi de construire des interactions basées sur la confiance et la responsabilisation individuelle au sein d’un collectif.

Pour aboutir à un projet comme celui-ci, il vous a fallu du temps…

Emmanuelle : Oui bien sûr, deux mois de réflexion et de conception du module pour réfléchir à la transformation d’un module classique de comportement organisationnel en communauté de pratique dédiée à la notion du « Bien-vivre ensemble » dans le contexte associatif. Le but est de transformer les expériences individuelles et collectives en objet de connaissance et de les rendre diffusables pour les transférer au niveau des associations partenaires du territoire local.

Quelle a été la réaction des étudiants ? 

Pauline : Nous nous étions portés volontaires sans savoir ce que cela engendrerait. Nous occupons trois postes : responsable charte communautaire, responsable communication et responsable animation de la communauté.

Ruben : Notre force est que nous avions tous une base de travail grâce à nos expériences dans différentes associations. Cependant, il faut prendre en compte qu’aucune des solutions que nous pouvons trouver n’est universelle, c’est-à-dire applicable à toutes les associations. Au début, il fallait que nous comprenions que nous n’étions pas là pour donner un mode d’emploi mais des conseils, une méthode… Point positif : il n’y a jamais eu de tabou entre nous. Nous avons réussi à installer une bonne ambiance de travail, à partager le fonctionnement, les problèmes… Dans notre classe toutes associations sont représentées. Et notre volonté est d’aller finalement plus loin que GEM et de partager, échanger pour évoluer.

Comment ont été réalisés le choix des expertises ?

Lionel STRUB (enseignant à GEM) : Une CdP est constituée d’experts. Aussi le point de départ était-il d’assigner chacun des 40 étudiants à un concept pour que chacun d’entre eux en devienne l’expert référent au sein de la CdP. Exemples de concept : harcèlement au travail, motivation, processus décisionnel, leadership, etc. Toutes les notions qui peuvent avoir un rapport à l’étude du comportement organisationnel. En somme, l’idée est de rendre responsable chaque étudiant membre de la CdP de son concept : « J’apprends de des membres de la communauté, et je transmets aux membres de la communauté ». On peut donc dire que le but de la CdP est de favoriser un partage social des connaissances et d’élargir ainsi la compréhension des problématiques rencontrées en contexte associatif et des leviers d’action à mettre en oeuvre.

Au préalable, avez-vous réalisé une cartographie de ces problèmes/besoins ?

Ruben : Oui, et nous l’appliquons. Les conseils des experts ont largement contribué à solutionner certains problèmes dans certaines associations.

Vous avez employé le mot « livrable »… Sous quelle forme ?

Pauline : Une vidéo est en train d’être réalisée ainsi qu’un site internet. Nous travaillons aussi sur des fiches informatives, une pour chacun des concepts.

Ambre : Paul et moi sommes responsables de la charte qui a pour vocation de définir le périmètre, les valeurs et de recentrer l’objet de cette CdP. 

Comment prenez-vous le fait qu’il n’y ait pas d’enseignement classique dans ce dispositif- là et que vous contribuez à le co-créer ?

Ruben : Je trouve ça très intéressant, dans la lignée du « Gem learning model », apprendre par « soi-même ». L’expérience d’être tous ensemble autour d’un projet qu’on mène avec le professeur.

Et le fait qu’il n’y ait pas de solutions « prêt à l’emploi » pour répondre aux problématiques humaines et managériales vécues en contexte associatif?

Pauline : Au début, nous avons fait l’erreur de vouloir donner des solutions à chaque concept et c’est pendant la rencontre avec les partenaires qu’on s’est rendu compte que c’était impossible. Nous en avons alors tiré la conclusion que notre rôle n’était pas de trouver des solutions mais des voies de progression.

Et une fois qu’on vous a assigné une expertise dans le champ du comportement organisationnel à développer, comment vous êtes-vous organisés ?

Ruben : En début d’année, une des activités pédagogiques a consisté à travailler un concept au travers d’un canevas de questionnements. Régulièrement, nous la retravaillons pour qu’elle soit conforme au format des fiches informatives vulgarisées que nous allons proposer aux membres de la communauté et aux partenaires associatifs.

Pauline : Le cheminement a été très progressif. L’échange sur nos concepts nous a permis de ne pas rester bloqués et d’évoluer.

Lionel Strub : Pour structurer la démarche pédagogique, nous avons procédé par étapes :

  1. Faire entrer les étudiants dans un des 40 concepts, se documenter au travers de la littérature scientifique pour avoir une compréhension rigoureuse, et non plus seulement intuitive de sorte à monter en expertise,
  2. Puis favoriser le partage social de chacune des expertises au travers d’un travail collectif,
  3. Ensuite, les faire entrer dans une démarche de diagnostic à partir d’un ensemble d’activités. Cette démarche les a amenés à travailler en lien avec des problématiques qu’ils ont rencontrées dans leurs expériences associatives vécues. L’idée était de développer leur capacité à élargir leur grille de lecture de d’expériences-problèmes qu’ils rencontraient et de leur appliquer un questionnement conceptuel au travers des 40 notions théoriques disponibles de sorte à approfondir leur compréhension et de mettre au jour les possibles interactions entre ces dernières.
  4. Et finalement de les amener à considérer des leviers d’action possibles par rapport aux réalités rencontrées.
  5. Favoriser un partage et une dissémination des connaissances et des expertises développées auprès des autres acteurs associatifs de GEM et des partenaires associatifs du territoire local.

Emmanuelle Villiot-Leclercq : Pour compléter, il y eu un premier moment fort  : le 13 novembre où les experts et les partenaires associatifs et les étudiants membres de la CdP se sont rencontrés : premier partage du fruit des réflexions que les étudiants avaient menées. Au cours de cette journée, les partenaires associatifs ont apporté leurs expériences, et donné leurs conseils sur les ressources initialement produites. À la fin de cette journée, nous sommes repartis avec en tête une nouvelle étape de la construction de la CdP, à savoir la rencontre du 14 décembre.

Est-ce que le dispositif d’enseignement et la matière enseignée ont favorisé les interactions entre vous ?

Ruben : Comme vous semblez le suggérer, il n’y a généralement pas d’échange dans les classes sur comment nous nous sentons. Ici, c’est tout le contraire. Le dispositif d’apprentissage du Comportement organisationnel a facilité la création d’espaces d’échange en toute confiance pour partager des prises de conscience sur nos propres fonctionnements et ses effets. Exemple : un matin vous arrivez et vous n’êtes pas en forme et nous n’avons pas forcément conscience que notre comportement peut avoir un impact sur celui des autres. De la même manière, une association ce n’est pas qu’une femme ou un homme mais une équipe. Et quelques mois avant de faire nos premiers pas en entreprise, cette prise de conscience nous sera été très bénéfique et enrichissante.

Vous avez un peu d’expérience maintenant des cours de management. Pensez-vous que vous avez plus travaillé dans ce dispositif d’enseignement proposé comparativement à un dispositif classique ?

 

Les étudiants : L’investissement est le même. C’est juste qu’il est fait de manière différente, pas de cours individuel à apprendre et restituer sur table le lendemain.

Au-delà de l’aspect académique de ce cours et de son apprentissage, vous sentez-vous maintenant plus à l’aise ou plus engagés dans vos associations ?

OUI ! (collectif des étudiants). Parfois, nous avons un peu de mal à sortir la tête de l’eau. Les petits problèmes dans nos associations deviennent parfois des montagnes. Par exemple, dans les associations, la motivation n’est pas une constante chez tous les acteurs. C’est un sujet délicat à traiter. Aujourd’hui que nous comprenons mieux les comportements, il est possible de se demander quel levier engager pour que ce problème n’en soit plus un.

Si déjà les présidents et les vice-présidents qui ont le rôle des RH font l’effort l’année prochaine de partager ce savoir, ce sera déjà plus facile de diffuser nos outils et notre connaissance.

Du côté des professeurs, est-ce plus facile ou cela demande un investissement plus important qu’un cours institutionnel ?

Effectivement, c’est un investissement et un engagement. Notre présence est à la fois très importante pendant les séances et en dehors des séances pour accompagner la vie de la communauté. La communauté vit grâce à l’investissement de chacun de ses membres, étudiants, professeurs et acteurs associatifs.

Vous êtes allés à la rencontre des associations extérieures ?

Oui tout à fait, nous avons commencé avec des associations qui ont bien voulu écouter notre projet. Elles étaient intéressées par notre approche et le fait de co-construire avec nous. A court terme, l’idée serait d’intégrer de nouvelles associations pour continuer à développer la CdP.

Quelle est la nouvelle étape ? Le 14 décembre ? (NDLR : l’interview a été réalisée début décembre 2018). Est-ce-que toutes les matières enseignées peuvent donner lieu à ce type d’approche ?

Nous ne sommes pas des experts dans toutes les matières, cependant même si aujourd’hui cette communauté de pratique est basée sur l’apprentissage du comportement organisationnel, elle serait susceptible de s’ouvrir à d’autres enseignements comme les RH, les aspects financiers, ou encore la géopolitique. Cette expérience a un fort potentiel d’intégration .

Pour résumé, nous pouvons dire que cette CdP est un laboratoire vivant d’expériences dont l’objet est de favoriser le développement du « bien-vivre ensemble son engagement et sa pratique associative » . L’originalité de ce dispositif est d’intégrer les étudiants dans trois environnements complémentaires  : l’environnement enseignement avec la casquette « étudiant », l’environnement CdP avec la casquette « membre », et l’environnement associatif avec la casquette «  acteur associatif ». Cette triangulation est très intéressante. Elle permet de travailler de manière différente, elle crée du lien.

Je remarque, en tout cas, l’implication des étudiants dans ce module. Représentants associatifs comme étudiants. C’est une belle aventure ! Votre objectif est aussi de matérialiser ce travail sur vos profils des réseaux sociaux, de bien traduire cette expérience. Les algorithmes y sont de plus en plus sensibles. C’est un moyen pour vous d’être encore plus visible encore plus attractif. Merci beaucoup et bravo pour cette expérimentation et la manière dont vous en parlez !

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